Chronique n° 114 – Place à la vie

Imprimer cet article Imprimer cet article

Au lendemain du 11 novembre 1918, Arcachon sort marqué par la guerre, avec ses deux cent cinquante-huit jeunes tués au front et avec les 20 835 blessés soignés ici, dans nos huit hôpitaux, officiels ou bénévoles. Pour honorer ses morts par un monument, la ville lance une souscription, au mois d’août 1919. À cette date, le grand architecte arcachonnais, Roger Expert, dessine un projet de mémorial. Il se présente sous la forme d’un glaive de bronze, haut d’environ dix mètres. Sa lame porte les noms des victimes. Elle repose sur deux portiques tronqués entre lesquels un adolescent élève une couronne. Un obélisque aussi hautement symbolique qu’artistiquement léger. L’argent pour le bâtir rentre lentement et ce n’est que le 28 février 1923 que le conseil municipal, après concours, s’accorde sur le projet déposé par le sculpteur lyonnais Maspoli. Le monument, d’un coût de 125 000 F, est tout le contraire de celui proposé par Expert. Autant le sien est fin et élancé, autant celui de Maspoli est massif. Autant celui d’Expert est symbolique, autant le modèle choisi est des plus classiquement réaliste, sur le thème de « La France victorieuse offre la paix au monde ».

Il est inauguré dans l’après-midi du 11 novembre 1924, après qu’une matinée religieuse et non officielle eut soulevé des protestations devant « Les propos pessimistes et inopportuns de l’abbé Bonnet, fustigeant l’ambition, la convoitise, le luxe, la jouissance », écrit Guy de Pierrefeu. Cette jouissance que l’on veut tant retrouver après des années d’épreuves ! La cérémonie achevée, présidée par le maire Ramon Bon, la foule envahit la plate-forme où sont gravés les noms des disparus. Le monument d’Expert avait sans doute aux yeux des édiles, le gros défaut qu’on n’aurait pu y lire ces noms gravés trop haut.

Mais la vie reprend son cours, d’autant plus vif qu’on est entré dans les années folles. Les Jeux olympiques se déroulent à Paris, “Gastounet” préside la République, sur la Tour Eiffel flamboie le nom de Citroën, le couturier Paul Poiret déchire le corset des femmes et le tourbillon de la “Revue nègre” ébahit le public, lorsque l’exotique Joséphine Baker danse aux rythmes du jazz de Sydney Bechet. Qu’importe, si les fascistes de Mussolini prennent le pouvoir en Italie et si le franc ne vaut plus que quatre sous. On veut vivre, vivre, vivre ! Et la jeunesse riche danse aux sons de l’orchestre d’Eddy Elkins dans les salons de l’hôtel Continental, en ville d’hiver. La ville d’hiver, justement et son ambiance médicale, ne sont donc plus dans l’air du temps. Déjà, en pleine guerre, la municipalité a refusé, unanimement, que s’ouvre ici un sanatorium pour soldats tuberculeux. Veyrier-Montagnères, qui multiplie les fêtes et les réjouissances, n’est plus dans la ligne du docteur Lalesque qui prônait le calme absolu pour les phtisiques. D’ailleurs déjà, dès 1912, la publicité lumineuse que le maire a lancée dans Paris indique « Arcachon, sa forêt, sa plage ». Exit les soins aux malades … Après la guerre, le très influent professeur Paul Carnot qui visite Arcachon, affirme que « L’air de la station ne peut être efficace que pour la prévention des maladies pulmonaires », donc pour les enfants. Car maintenant, la montagne l’emporte sur la mer pour soigner la tuberculose si bien qu’ici, les préventoriums remplacent les sanatoriums. Et le classement en “Station climatique” obtenu depuis 1914 n’empêche pas cette évolution.

En 1926, des critiques fusent contre l’immobilisme du maire Ramon Bon dans l’animation et le développement de la ville, sa doctrine étant d’éviter des impôts trop hauts. Tant et si bien que les élections de 1929 mettent à sa place Marcel Gounouilhou, le PDG du journal bordelais, “La Petite Gironde”. Comme le développement de Pyla-sur-Mer et de Pilat-Plage inquiète beaucoup les commerçants arcachonnais et que Gounouilhou déclare : « Il faut montrer qu’Arcachon n’est pas peuplé de tuberculeux », la station entame vraiment une autre politique touristique. Le docteur Lalesque, farouche et sincère défenseur de la cure libre, meurt en 1935. Armaingaud est décédé un peu avant. Ceux qu’on appelle « Les clinicards » ont disparu et, avec eux, tout le lustre de la Ville d’hiver. On n’y voit plus de têtes couronnées dans les villas qui s’étiolent et commencent même à mal se vendre. Coup de grâce : la streptomycine, découverte par l’Américain Waksman, apporte des soins efficaces contre les maladies infectieuses. Mais, en 1923, une exploration extraordinaire peut refaire d’Arcachon une ville de cure. C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

Ce champ est nécessaire.

Aimé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *