Vito Dumas

Fils d’un Italien et d’une Argentine, Vito Dumas 1900-1965 naît à Buenos Aires en 1900 ; il réalisera le premier tour du monde en solitaire – de l’Antarctique plus précisément –, via les trois caps, à bord de Legh II, entre 1942 et 1943.

Après une enfance d’insouciance, la dégradation de la situation matérielle de sa famille amène Vito Dumas à gagner sa vie dans divers emplois.

Sportif accompli, champion de natation[1], certaines sources affirment qu’il a également suivi une formation de pilote de sports aéronautiques[2]. En 1923, professeur de natation, il étonne ses fans avec ses raids dans le fleuve Paraná et le Río de la Plata. Dans une piscine de la capitale fédérale, il plonge la tête la première dans un niveau d’eau très bas et se casse le front dans un dramatique accident. Il est marqué de façon indélébile d’une cicatrice spectaculaire, mais ces épisodes laissent souvent des cicatrices à l’âme.

En 1931, il vient en France pour une tentative de traversée de la Manche à la nage : il décide de ne pas tenter le défi lorsqu’il apprend qu’une femme, l’Américaine Gertrude Ederle l’a réussi le 6 août 1926 : après une femme, c’est inacceptable pour un porteño (désigne les habitants de Puerto de Nuestra Señora de los Buenos Aires).

N’ayant pas les moyens de payer la traversée de retour vers l’Argentine, il se rend à Arcachon. « Demandez un certain Bossuet, lui dit-on, cet homme construit des bateaux ».

Il frappe à la porte de la villa de Louis Bossuet et se présente : « Je suis un athlète ; traitez-moi comme tel. Je n’ai pas plus de fortune que mon enthousiasme, et ma grande ambition est d’offrir à mon pays quelque chose qui le distingue dans le concert du yachting mondial. »

Dumas, par ses paroles et ses projets, ravive en sa mémoire le souvenir de ses jours heureux, de sa jeunesse, auxquels il a aussi rêvé ; pris de logorrhée, il s’épanche auprès de cet homme aux cheveux de neige et au visage qui révèle une bonhomie naturelle.

Il se fait tard !

« Cela fait mal de ne rien avoir qui convienne à ce que vous souhaitez, lui répond Bossuet, mais… si vous voulez faire un tour dans le chantier, allons-y avant qu’il ne fasse nuit ».

Un chemin de terre étroit les y conduit. Des gabarits, des charpentes, des squelettes de navires en construction, sont les premières choses qu’aperçoit Dumas : ce n’est pas ce qu’il cherche ; il n’est pas satisfait ! Plus loin, recouvert de vieilles bâches que le temps a mises hors d’usage, Vito aperçoit les belles lignes d’un classe internationale. « Celle-là ! – les yeux brillants de joie – Celle-là ! » : Vito Dumas découvre Titave II (désigné Le You, entre 1920 y 1931 – Lloyd’s Registrer of Yachts), architecte Joseph Guédon, 8 mètres JI  construit par Georges Bonnin en 1912 pour Félix Picon[3], voiles Claverie, abandonné par son propriétaire.

  • Que dites-vous ?
  • Ça ! Je veux cette coque !
  • Mais vous êtes fou ! Ce bateau a terminé sa carrière, il en a fini de gagner des régates ! ancien et usé, il est destiné à être mis au rebut. Ôtez-le de vos pensées ! J’allais me réchauffer les pieds cet hiver, près de ma salamandre[4]. »

Avec un sourire amical et une tape sur l’épaule, Louis Bossuet poursuit :

Ce bateau est bien pour naviguer ici, dehors il ne peut rien convenir. Je ne pense même pas qu’il puisse passer le cap Finisterre !

Traditionnellement, cette classe de bateaux est celle de l’aristocratie et des capitaines d’industrie qui ont la voile dans le sang. Dans le club des propriétaires, pas si fermé que ça, on trouve les grandes familles royales d’Europe tout autant que les Krupp, les Rothschild et les Siemens.

  • Eh bien, monsieur Bossuet… Voulez-vous me le vendre ?
  • Ma conscience me dit que non. Quand il était à vendre, même avec la possibilité de naviguer, personne n’en voulait. Maintenant que son avenir est pointé vers une flambée, un acheteur apparaît, vous. Et rien de moins que de l’emmener naviguer dans votre pays ! Une main sur le cœur, que dirais-tu à ma place ?
  • Monsieur Bossuet, permettez-moi de dormir cette nuit sur le bateau. Vous savez ce que cela signifie pour un marin. Dans le meilleur lit du meilleur hôtel, je ne pourrais pas dormir aussi bien qu’ici.

Le « vieux Bossuet[5] » (terme employé par Vito Dumas) le remet en état, renforce la coque. Voici d’ailleurs ses caractéristiques : longueur de coque, 12,82 m ; flottaison, 7,75 m ;  largeur, 2,16 m; tirant d’eau, 1,62 m.

Le 8 mètres JI, cependant, n’est pas un bateau conçu pour la navigation océanique, mais pour naviguer en régates dans des baies et des eaux abritées. Quelques modifications sont apportées au roof, pour fermer les hublots, les lucarnes et fermer partiellement la baignoire.

« En Argentine, il m’est arrivé une fois d’apercevoir le rio à travers les fentes d’un bateau comme le mien : une drôle de sensation. Mais en transformant mon sloop en cotre à tapecul avec trinquette et foc plus facile à gérer en solitaire, je me dis que j’aboutirai bien à diminuer les efforts du fait de sa répartition sur plusieurs points et que, avec un grand mât et un mât d’artimon, au lieu d’un seul espar, je parviendrai de la même façon, en réduisant le travail de chacun d’eux, à soulager le gréement[6]. »

Claverie frères, villa Bon Air, 80, boulevard de la Plage, à Arcachon confectionne une nouvelle voilure pour le bateau désormais gréé en yawl : foc, 5 m² ; trinquette, 7 m² ; grand-voile, 35 m² ; tapecul, 6 m².

« Arcachon, 20 novembre 1931,

Cher Aníbal, Je t’écris ceci enfermé dans une cabine de classe internationale de 8 mètres. Si vous ne savez rien sur le type de ces bateaux, votre ami Martínez Vázquez vous mettra au courant (il fait référence au spécialiste de la plaisance du magazine El Gráfico). Ne pensez pas que je suis fou quand à l’avance des nouvelles du présent j’ai annoncé les plans de mon voyage.

L’endroit où je me trouve est un village de France qui surplombe la Côte d’Argent, dans ce qui forme le golfe de Gascogne. Pour un marin ce golfe est un grand mot ; mais je vous préviens qu’il n’y a pas moyen d’être dedans pour s’apercevoir que c’est exagéré. Quoi qu’il en soit, nous verrons comment il me traite. Quand vous lisez ceci, je suis peut-être parti en mer, de là aux îles Canaries puis à Rio de Janeiro.

C’est mon idée. Maintenant, nous allons voir si les éléments me le permettent. Je n’ai pas de moteur ; le bateau est armé de yawl et sa coque est un parfait Finkeels[7], champion vainqueur de toutes les régates de sa classe. Sur le pont c’est 11 mètres 60 centimètres. Maintenant, ils calfeutrent et peignent. Je pense que c’est le plus étroit des navires qui a tenté un voyage comme celui que je propose ; mais d’un autre côté, il est plus rapide que n’importe lequel d’entre eux.

Eh bien Aníbal : la raison de mon aventure est d’avoir engagé ma parole pour faire quelque chose de valable pour le sport argentin. Mes moyens sont réduits et la vie que je traverse, moi seul connais les sacrifices qu’on m’impose.

Un jour, si le destin ne parle pas plus tôt, je vous donnerai plus de détails.

Pour l’instant, un câlin pour le cher ami comme si c’était hier, quand nous avons quitté la piscine de gymnastique. Si je n’arrive pas, vous parlerez pour moi. Vous direz que j’ai sacrifié ma famille, mon bien-être et ma vie pour le sport et la patrie.

Vito Dumas. [8]»

Après quatre longues années sur la terre ferme, le navire repose enfin sur son élément naturel.

Vito jette le dernier bord dans la vie de Le You. Sa destinée n’est plus le feu mais l’histoire ; « je nourrirais des fantasmes au lieu de poêles ». Et il largue l’amarre ; il glisse doucement, poussé par la brise, répondant à ses lignes fines de grande classe. Excellent pour la course. Une manœuvre d’amarrage impeccable et une ovation sur le quai, Monsieur Bossuet, le premier admirateur de Dumas à Arcachon, le serrant dans ses bras lui dit : « Cela ne s’apprend pas. Pour le faire, il faut avoir une vocation. Admirable… Admirable ! »

Dumas est prêt à appareiller[9]. Mais est-ce que j’irais à Buenos Aires ? Sa structure fragile résisterait-elle aux ravages de l’Atlantique ?

Son départ, prévu le 3 décembre 1931, est salué ce jour-là par le consul général d’Argentine à Bordeaux. Les jeunes se dirigent, comme hypnotisés, vers le récent Titave II ; pour ceux qui s’en souviennent, vers le célèbre Le You. Mais ils lisent tous, sans comprendre, Lehg[10] [Lucha, Entereza, Hombría y Grandeza = Combat, intégrité, virilité et grandeur ; d’autres personnes y voient les initiales d’un amour de jeunesse pour lequel nous resterons extrêmement discret compte tenu de la lignée de la demoiselle en question ; il peut être aussi la traduction de « chaloupe » en langue scandinave].

Changer le nom d’un navire porte malheur, Vito le sait ! Mais le Bassin est sa cuve baptismale : elle lui portera sûrement  bonheur. Le curé de Saint-Ferdinand (Victor Diaz de Mendivil 1854-1936) procède à son baptême, mais l’eau bénite a été oubliée à l’église : un garçon court à vélo la chercher et après un moment, il est de retour. Beaucoup de gens assistent à la bénédiction non sans une certaine inquiétude et un certain souvenir, car ils y voient quelque chose comme la tombe de cet homme bon et génial qui a su se faire apprécier de tous ; d’autres se souviennent de rêves horrible, avec de grands navires sur le point de faire naufrage au large de Saint-Jean-de-Luz. Il ne manque pas non plus le prophète de malheur qui dit, en se moquant, que le Lehg ne serait pas un cercueil très confortable, et qu’il valait mieux être dévoré par des lombrics que par des requins de l’Atlantique.

Le curé, après le rituel, veut prononcer des mots qui, saisi par l’émotion, ne sortent pas ; ils se regardent en silence, et cet homme en soutane qui connaissait les horreurs de la guerre de 14, ne peut, face à Vito, retenir ses larmes. Suit une étreinte fraternelle. « Bien… Bonne… chance, mon fils ! »

Ils montent à bord du Lehg.

De la main de Vito Dumas, lui-même : « Des hommes de mer à la peau tannée par le sel et le vent discutent près de mon bateau.

    – Celui-là, dit l’un d’eux, étalera tout juste 25 milles par beau temps.

    – Vous croyez ça ? intervient le second, eh bien moi, je ne pense pas. J’ai navigué à bord, il y a dix ans, et on a bien failli y laisser la peau devant Saint-Jean-de-Luz. Dès qu’il y avait un peu de mer, les jointures faisaient déjà de l’eau.

Un troisième, peut-être un peu plus généreux mais dont la voix tranche comme un couteau de calfat, précise pour finir.

    – Il ne passera pas le cap Finisterre…

Tous les trois ignorent que Vito est à l’intérieur du bateau et que entends ce qu’ils disent. Mais ce sont des marins et ils ne parlent pas sans raisons. Tous les trois ont beaucoup navigué et ils sont aussi familiarisés que possible avec tous les problèmes de la mer. Ils ne méconnaissent rien non plus des bateaux. [11]»

Vito Dumas prévoit un équipement minimal : un réchaud à pétrole, un seau, un compas magnétique ; et peu de provisions : 3 kg de pommes de terre, 2 kg de pain, 1 kg de sucre, un autre de café et un de cacao ; deux bouteilles de vin, une de rhum et 2 bonbonnes d’eau. Dans l’achat de ces éléments, il investit jusqu’au dernier franc ; il lui reste 20 pesetas en poche…

Contrairement à ce qu’annoncent certains journaux, Vito Dumas, n’est pas parti jeudi 3 décembre : ce jour-là, piloté par le bateau sardinier (pinasse à moteur) « Chat-Botté » (à Hubert Longau ; patron Lauga), ayant à son bord le patron Lauga, Jean Bossuet, fils du constructeur arcachonnais bien connu, et Hubert Longau, président de l’U. C. Arcachonnaise, il ne peut franchir les passes, l’amarre ayant cassé deux fois. Le «Chat Botté » l’a pris en remorque jusqu’à Arguin ; mais les Passes sont infranchissables. Retour à Arcachon !

Nouvelle tentative le 8 décembre.

Le mauvais temps retarde le départ ; le navigateur est navré de se voir immobilisé sur le Bassin alors qu’il pensait déjà piquer droit vers les Canaries.

Nous avons le plaisir de passer plusieurs heures avec cet excellent marin et de constater qu’il connaît merveilleusement les côtes Ouest de l’Atlantique Sud. Malheureusement, le retard apporté à la réalisation de son projet, lui fait craindre d’effectuer le trajet de Rio à Buenos-Aires par mauvais temps. Vito Dumas n’envisage aucun résultat financier ou publicitaire de sa traversée : c’est un sportif ; il admire Alain Gerbault et veut l’imiter. Doué d’une volonté tenace, il a foi en son succès et fait partager cette foi à ceux qui, ces derniers jours, ont eu la bonne fortune de l’approcher.

Lehg, remorqué par la pinasse à moteur Chat-Botté, à M. Longau, adjoint au maire d’Arcachon, n’a pas réussi à franchir les passes mercredi 9 décembre après-midi ; il revient à Arcachon[12].

« Je monte à bord. C’est la dernière nuit que je vais passer en France où l’on m’a si amicalement accueilli. J’allume ma lampe qui se balance doucement au plafond du roof.

Sur la banquette je dispose les focs et mon peignoir comme j’ai fait les nuits précédentes. C’est là tout mon lit, je n’ai ni matelas, ni couvertures. Un équipement de régatier somme toute, auquel je n’ai rien modifié, pas même la hauteur sous barrots qui reste à 1,55 mètres et m’interdit de me mettre debout. Seules les ouvertures du pont ont été obstruées hermétiquement et le cockpit, qui était très ouvert, est en partie bouché maintenant avec des planches. Pour pouvoir me faire quelque chose de chaud, je dispose d’un réchaud à alcool ordinaire et sans suspensions[13]. »

C’est de Cannes, le 25 avril 1923, qu’est parti Alain Gerbault sur le Fire-Crest pour sa magnifique et solitaire croisière autour du monde. Partir de Méditerranée est à la portée de tout le monde, navigateurs passagers, voire can(n)ards… Mais partir d’Arcachon, sortir des Passes, gagner le large d’une côte plate et déserte, trouver en plein golfe les vents favorables, est une prouesse à la portée des seuls loups de mer. Notre hôte, M. Dumas, la tente ; à la vérité, il a, pour l’éclairer au départ, le « Phare d’Arcachon » dont J.-J. Gilabert entretient la flamme avec une vigilance qui honore la presse de notre cité.

Avant de mettre les voiles, Dumas prie pendant une heure dans l’église Saint-Ferdinand, ce qui confirme ses convictions religieuses profondes.

Le 12 décembre[14] 1931, Lehg arrive vers midi en vue des passes, qu’il ne peut aborder qu’aux premiers flots de la marée montante (basse mer à 12 h 48). Le passage offre quelque difficulté, l’amarre s’est une fois rompue ; enfin, grâce à l’expérience et aux connaissances professionnelles du pilote Lauga, Lehg est amené en plein mer. Effectivement, le temps n’est pas vraiment beaucoup plus clément, mais ça passe (sans jeu de mot) ! Une performance avec un tel bateau pas du tout prévu pour la haute mer ! Sans oublier qu’il n’y a aucun moyen moderne de navigation…

Trois à quatre milles séparent bientôt le « Chat-Botté » du banc de Pineau, lorsque Jean Bossuet, jugeant les dangereuses Passes suffisamment éloignées, conseille à M. Vito Dumas d’appareiller. Lehg met alors cap à l’ouest et s’éloigne toutes voiles hissées.

L’émotion et la joie de Vito Dumas sont grandes, d’autant plus grandes qu’après neuf jours d’immobilisation dans le Bassin, il craignait de voir encore son départ ajourné. Il nous a dit son intention de ne pas faire escale avant Las Palmas (Canaries), où il se ravitaillera et touchera le courrier qui lui sera adressé chez M. le consul d’Argentine.

Le Chat-Botté reste quelque temps en mer et M. Lauga évalue à 5 nœuds la vitesse de Lehg qui pique sur l’Ouest-Sud, droit en direction du cap Ortegal. Les sportifs ne peuvent que souhaiter la réussite de cette audacieuse tentative[15].

Son but, entièrement sportif, est d’égaler Alain Gerbault pour qui son admiration est grande ; Lehg, bateau ponté, est conçu pour faciliter la manœuvre d’un homme seul. Il emporte pour trois semaines de provisions alimentaires[16].

Louis Bossuet aurait dit à l’équipage du Chat Botté : « Ce soir il y aura du bois sur la plage ![17] », un dicton descriptif des accidents habituels en essayant de négocier la Passe.

La tradition veut qu’en « cadeau de fin d’année », le patron du chantier accordât à ses employés d’aller récolter la moisson de bois échouée au bas des dunes du Pilat provenant pour la plupart de quelques coques naufragées. Pour ce faire, des bacs sont tractés jusqu’à cet endroit de côte sauvage où battent de plein fouet les vagues océanes. Le ramassage fait et une fois le bois coupé, cette manne est répartie entre chaque ouvrier. Se doutant quelque part que l’aventure de Vito Dumas tournerait court, Louis anticipe sur son hypothétique réussite en ce moment de l’année ; heureusement pour le navigateur, il n’en fut rien[18] !

« À terre, on m’avait dit qu’il serait préférable que j’aille relâcher à Saint-Jean-de-Luz d’où je longerais ensuite la côte cantabrique plutôt que de couper à travers le golfe de Gascogne et risquer d’y être surpris par le mauvais temps. Et comme j’ai mis cap à l’Ouest, parce que mon intention est bien de me tenir à mon plan en traversant le golfe pour reconnaître ensuite le cap Ortegal (limite occidentale du golfe de Gascogne) et, si la chose est possible, de doubler du même coup le cap Finisterre, je les vois qui se prennent la tête dans les mains. Pour eux je vais droit à la mort.

Je remplis de kérosène le réservoir de mes feux de position pendant que les dernières lueurs du couchant éclairent encore.

 Lehg subit les assauts d’une très forte tempête dans la traversée du Golfe, durant laquelle son pilote solitaire souffre beaucoup du froid.

L’eau, qui s’infiltre à travers la coque et le pont, inonde la cale, obligeant le marin à écoper d’un simple seau passant ainsi des journées entières sans pouvoir fermer l’œil.

Et voilà que, pour comble de misère, je manque à virer. Legh, privé de toile, répond mal à la barre. Quatre à quatre, je hisse la grand-voile. Même chose, le courant, sans doute décuplé par la brise et la violence folle des remous m’empêchent de venir dans le vent. Alors, à une demi-encablure des cailloux, je fonce sur eux, droit comme une flèche, puis je donne de la barre, passe par le vent arrière et j’envoie « Legh » sur son nouveau bord. Paré encore cette fois-ci, mais il était temps. »

Des pêcheurs au chalut rentrés à Arcachon rapportent que des pêcheurs de Saint-Jean-de-Luz leur ont signalé avoir vu au large, dimanche 13 décembre à 11 heures, le « Lehg » avec sa grande voile, marchant à bonne allure dans la direction du cap Ortegal ; son passage en vue du Ferrol et du cap Ortegal ne tardera pas à être signalé[19].

Mardi, Lehg vogue à pleines voiles au large de Saint-Jean-de-Luz sur un océan docile. Les dieux immortels, vous dis-je, vous sont propices.

À chaque escale, « D’où venez-vous ? » demande-t-on au navigateur solitaire. D’Arcachon, répond-t-il. À son arrivée qui sera triomphale, quand il touche au port argentin objet de ses vœux, c’est le nom de son port initial qui vient sur ses lèvres et qui se confond dans sa gratitude avec les noms de nos concitoyens, ses compagnons de départ Lauga, le jeune Bossuet, Longau, Gilabert [20].

Louis Bossuet, le constructeur arcachonnais, armateur du « Lehg », dès la réception d’un télégramme personnel de M. Vito Dumas, samedi 26 décembre, dans l’après-midi, reçoit la visite de l’« Athlète ». Nous pouvons ainsi prévenir nos lecteurs, intéressés par cette tentative remarquable, que « Lehg » a touché Vigo le 24 décembre le plus naturellement, du monde, sans aucun incident à déplorer. Il a parcouru 1 100 milles nautiques.

Le petit voilier appareille le 26 décembre et continue sa marche vers les Canaries[21].

Le “Diario de Las Palmas” du 15 janvier 1932 raconte l’histoire, – impressionnante, surtout si on la regarde du prisme de la navigation de plaisance actuelle – du voyage entre Vigo et le port de La Luz : Le 24 décembre 1931, veille de Noël, je l’ai passée sur mon bateau, le traversant. Un soir de Noël, en seule compagnie d’un calfat, dansant avec la mer avec la seule musique du vent et des coups de marteau. On m’a préparé des fêtes à Vigo, ce que je n’ai pas pu accepter car la lune était en pleine lune, ce qui a, trois jours avant ou après, provoque de brusques changements de temps, lors des orages, laissant présager de passer la côte portugaise avec une mer agitée et des vents violents, et fuir le détroit de Gibraltar.

Le 26, à 13 h 20, j’ai quitté la baie de Vigo, accueilli par d’innombrables amis, rencontrant des pêcheurs qui m’ont souhaité bonne chance et m’ont donné des directions et des horaires. Il commence à faire nuit lorsque je quitte les îles Sisargas par l’arrière, le temps restant calme à environ cinq milles desdites îles. Lundi soir, des pêcheurs qui, par paires, s’affairent à leurs tâches, m’ont dit que j’étais au large de Porto. Le calme a joué contre moi, car je n’avais parcouru qu’environ quatre-vingts milles.

Comme son frère, il donne des surnoms à tout : aux vents, aux astres, aux enfants, aux outils, aux amis… Il a à bord une sculpture en bois, une petite poupée qu’il a lui-même sculptée et dont la fonction est d’appeler les vents avec ses lèvres comme celles d’un petit sifflet. Son nom est Lisandro ;

c’est un gaucho, avec des caractéristiques similaires aux criollos (monture exclusive des gauchos) que Florencio Molina Campos dessinait à cette époque. Il a un visage joyeux, les mains dans les poches et une expression de gratitude envers les vents, compagnons fondamentaux de tous les marins. Témoin muet des airs que Vito chante à bord, Lisandro a dû l’entendre chanter l’hymne national face au drapeau, à chaque fête nationale[1].

[1] – http://www.histarmar.com.ar/NAUTICA/VITO-DUMAS/MateandoconVitoDumas.htm

Mardi déjà, comme il prévu, les symptômes de la tempête commencent. Quand le soleil s’est couché j’ai remarqué qu’il se perdait dans un horizon de nuages ​​menaçants. Le temps était au nord. Dans la nuit du 29, vers huit heures, le temps s’est levé, se présentant avec un vent fort, qui a brisé le croissant de la bôme du mât d’artimon. Je suis allé le réparer, et c’était presque fini, une vague a frappé le côté du bateau, me jetant à l’eau, avec la chance de porter une corde dans les mains. Ainsi je fus remorqué par le sloop sur une longue distance, à une vitesse fantastique. Aucun effort n’en valait la peine mais j’ai dû remonter et j’ai finalement réussi à lever un pied et à l’accrocher, à me contrôler et à monter. Si je lâche la ligne, je perds le bateau.

Mercredi à l’aube je travaillais à des réparations, avec un vieil opinel, cadeau d’un vieux marin de Bordeaux, et il m’a échappé des mains et je l’ai perdu en mer. Puis j’ai pris un poinçon et je l’ai perdu aussi. La mer, violente, ne me permettait pas de travailler. À trois heures du matin, j’étais au large de Lisbonne, le vent m’emportait à une vitesse énorme et les vagues, que je ne voyais même pas dans le golfe de Gascogne, montaient parfois, me recouvrant complètement. Certains navires, attendant d’entrer à Lisbonne, étaient « à la cape », et j’ai donc essayé de me positionner sous le vent de l’un d’eux, pour passer la nuit. Mais je me suis dit : « Et s’il n’y avait pas de navires ? Ala, surmontons la mer ! J’ai abandonné cette défense et combattu, passant un jour, le premier, sans rien manger. Quand j’ai voulu partir à la recherche de nourriture, dans la cambuse, je me suis retrouvé avec les allumettes trempées, manquant donc de toute lumière, marchant dans l’obscurité complète et la trouvant inondée.

Le 30, j’ai été surpris par une mer hachée, aux prises avec elle et se dirigeant vers les Canaries. J’ai voulu connaître ma situation et en consultant la carte marine, je l’ai trouvée emportée par l’eau, ainsi qu’une boîte de biscuits que j’emportais, dernier rempart sur lequel je plaçais mes espoirs de nourriture. À midi, j’étais à vingt milles de la côte, en reconnaissance. J’ai repris la haute mer, ne revoyant plus que le ciel et la mer pendant plusieurs jours. J’ai passé les deuxième et troisième jours, sans manger, les 30 et 31, et j’ai été frappé par une houle dans le détroit de Gibraltar, me rendant incapable de bouger, devant toujours être à la barre. Le premier jour, un peu de calme m’envahit, avec un temps aride la nuit, m’épuisant presque, mais réagissant par un effort de volonté.

Le 2, j’ai aperçu un navire, auquel j’ai demandé de l’aide et de la nourriture avec la “corne des brumes”, et ils ne m’ont pas répondu. Profitant d’un petit calme, j’entrai pour la première fois dans le roof, après tant de jours sans y parvenir, trouvant quelques anchois que je dévorai avidement. Aussi quelques cubes de sucre et un peu de rhum, nourriture que j’ai dû rationner pour éviter la faim. La même chose avec l’eau, dont il n’avait que sept litres. La nourriture a manqué quelques jours plus tard. Et tout au long du voyage, pas un seul navire ne m’a donné de la nourriture et de l’aide. Seule la rencontre avec les grands dauphins, au nombre de trois ou quatre, a suivi mon bateau par paires. L’apparition d’un poisson volant m’a dit que je venais dans les régions chaudes. Fatigué, affaibli, j’ai mis la grand-voile pour faire avancer le bateau plus vite. Enfin la faiblesse m’abattit ; quelques manœuvres, je me suis assoupi. Vers trois heures du matin, j’ai entendu un bruit particulier de coup de vent. J’ai sauté sur le pont et quand j’ai amarré la grand-voile, j’ai réalisé que j’étais au large de la côte africaine du cap Juby. J’ai corrigé la direction vers le sud-ouest et me suis réveillé le 12 à La Graciosa… (, 1 200 milles nautiques parcourus).

Sur sa couverture, le « Diario de Las Palmas » du 13 janvier 1932 fait écho à un grand exploit nautique. Vito Dumas, est arrivé à l’île de Graciosa (Canaries) le 11 janvier 1932 (1 200 milles nautiques parcourus). Le lendemain, le même journal raconte l’aventure : « …Lanzarote est la première île sur laquelle il tombe. Il s’approche de la pointe nord. Des marins professionnels, incapables de comprendre son aventure, l’avertissent du danger de cette partie de la côte. Ce sont les récifs d’Orsula (Orzola). Il faut tourner vers le nord, emprunter le détroit du canal entre Lanzarote et Graciosa, et arriver sur cette petite île. C’est ce qu’a fait Dumas.

Il appareille de Isla Graciosa le 12 janvier ;

Comme j’avais des parents à Las Palmas, Don Esteban Navarro, l’oncle de ma femme, j’ai désigné Las Palmas comme terminus de ma deuxième étape, afin de le voir et j’ai quitté Graciosa le matin à cet effet.

Quand je suis parti, j’ai examiné la carte marine qu’ils m’avaient donnée au Ministère de la Marine à Madrid, je n’y ai pas vu le nom de Las Palmas, mais celui de Gran Canaria. J’ai lu celui de La Palma et je me suis dirigé vers elle, après avoir quitté l’île de Gran Ganaria à minuit et comme j’ai vu de nombreux navires suivre la route du nord, j’ai pensé que l’erreur était dans la carte, confondant Santa Cruz de La Palma avec Las Palmas, ce qui n’apparaissait pas sur ma carte, et vers La Palma je me dirigeais et si je n’avais pas trouvé le paquebot « Guanche » je serais arrivé à l’île de La Palma ».

Cependant, il ne serait pas facile pour le navigateur de rejoindre Las Palmas, selon le même journal. « …De Tenerife, ils nous ont télégraphié que le sloop de Vito Dumas était ce matin à sept milles de Punta Anaga, et que le capitaine du paquebot « Guanche » a parlé avec Dumas… », dit enfin le journal, textuellement, « … À ce moment – trois heures de l’après-midi – le veilleur de l’Isleta nous informe qu’un petit navire blanc, à deux mâts et sans pavillon, est en vue, dans la partie nord de l’Isleta, devant le site connu sous le nom de Las Coloradas. Les signes, coïncidant avec ceux du petit bateau du navigateur solitaire, suggèrent qu’il s’agit du « Lehg ». Nous espérons que les autorités de la Marina, les sociétés, notamment le Yacht Club, et Las Palmas en général, accueilleront Vito Dumas, le marin solitaire, comme son aventure le mérite. Le navigateur solitaire arrivet à Puerto de La Luz à six heures de l’après-midi le 13 janvier ; 100 milles nautiques.

L’arrivée de Vito est un événement, et il est reçu par le commandant de la marine, le consul argentin, M. Miguel Ángel de Gamas, et le premier adjoint au maire, des représentants de la presse et du Yacht Club. La presse se fait l’écho de ses premières déclarations, parmi lesquelles se détachent les beaux coups de pinceau repris ci-dessous : « La vie charmante, homérique, léonique, celle des gens de Graciosa. J’étais comme l’un des miens, avec ces pêcheurs, et j’ai été très ému par une femme qui, un enfant dans les bras, m’a parlé de ce que ma mère allait subir. »

Le lendemain, Vito Dumas rend visite au Gouverneur, au Président du Cabildo et au Maire de Las Palmas de Gran Canaria tandis que le soir il dîne avec Don José Gonzálvez (Pepe Gonzálvez est son “consignataire honoraire”) à l’”Atlantic Club” ; le menu est le suivant :

Hors d’œuvres

Consommé aux quenelles de semoule

Darne de Merlan a la Romaine. Mayonnaise au Curry

Fricassée de Poularde toulousaine au riz

Roastbeef brochet. Pommes risollées.

Légumes

Charlotte-Montréal

Fruits

Café y cigarrillos.

Vins, Cocktails, Liebfraümilch (vin blanc du Rhin)

St-Julien

Mumm. Café, Liqueurs

Le 17, Vito Dumas donne le coup d’envoi du match de football entre “Marino” et “Victoria” (“Victoria” gagne). Les animations et banquets continuent et il en est de même autour d’un thé, d’un champagne ou d’un vin en son honneur (au “Nikko Club”, “Mercantile Circle”, etc…). La même chose lors de la visite des paquebots d’Argentine (comme le “Conte Rosso”) qui font des excursions à l’intérieur de l’île (vers la ville de Moya).

Don José Gonzálvez accompagne le navigateur au Collège canarien des arbitres de football, où Dumas laisse l’autographe suivant : « Je pense que je trouve dans les bons arbitres du Collège canarien des arbitres de football, plus de courage qu’il n’en faut pour se battre avec les furies de la mer ». Vito va également avec Pepe Gonzalvez à Santa Cruz de Tenerife, sur le bateau à vapeur « Ciudad de Cádiz », déjeuner à l’hôtel Quisisana avec les autorités consulaires de cette ville.

« … et mon séjour à la Grande Canarie devint un vrai paradis. Tous les jours, je fais de grandes promenades à travers l’île où la terre cultivée à flanc de montagne a été amenée de pays voisins et souvent je vais fureter dans les grottes que les Guanche habitèrent en leur temps sifflant, paraît-il, pour communiquer entre eux et s’avertir mutuellement de l’arrivée du collecteur d’impôt, si habilement du reste, prétend la légende, qu’aucun percepteur ne parvient jamais à joindre l’un d’entre eux…

Finalement, et après tant de vie sociale, il est temps de partir. « Lehg » hissé par la grue portuaire et réparé avec abnégation dans les ateliers COPPA, l’entreprise de construction des travaux de Puerto de La Luz, est finalement ancré devant le Yacht Club en attente de ravitaillement.

Le départ est prévu le mercredi 27 janvier 1932

La dernière soirée, un champagne, est organisée par la COPPA. Vito Dumas passe sa dernière nuit à Las Palmas sur son bateau. Le matin, il entend la messe dans l’église de San Antonio Abad. À une heure, le bateau largue les amarres et, en compagnie de barques, remorqueurs et sloops, quitte l’île de Gran Canaria.

Le “Diario de Las Palmas” du 28 janvier donne la liste des aliments avec lesquels il part du port de La Luz :

Don de M. Manuel Díaz Casanova : 5 kilos de dattes. 1 fromage. Une boîte de biscuits. 10 kilogrammes de pommes de terre. Une boîte de mortadelle. 5 boîtes de goyave. 1 boîte de cacao. 5 kilos de sucre. 5 sachets de chocolat. 1 kilo de café moulu. 2 saucisses. 6 bidons de lait. 100 oranges. 6 pots de fruits. 12 citrons. 2 bouteilles de cognac. 3 paquets d’allumettes. 5 kilogrammes de noix.

Don de Don José Gonzálvez : 40 boîtes de beurre (20 livres). 5 boîtes de chocolat aux amandes. 10 boîtes de cigarettes “Ardath” (500 cigarettes). 6 paquets de tabac hollandais. 144 bouteilles d’eau Firgas. 72 de Teror (eau minérale des Canaries). 50 kilogrammes de biscuits marins. 2 boîtes de jambon cuit. 72 œufs. 12 cierges. 12 piles de lampe de poche (six charges). 4 kilogrammes de nougat assorti. 2 kilogrammes de turrón. 1 assiette de fromage. 2 boîtes de cacao. 6 boîtes de confiture. 3 pots à bonbons assortis. 6 ampoules de lampe de poche. Un assortiment d’huile (deux bidons). 2 bidons contenants avec leurs couvercles. Une lanterne cylindrique. 7 kilogrammes d’olives du pays.

Don de M. Tomás Gómez Bosch : des paquets de chocolats de son usine.

Don de Don Castor Gómez Navarro : caisses de bière “La Tropicale” de leur usine.

Indépendamment de l’approvisionnement, le commandant de la marine donne au navigateur solitaire plusieurs cartes marines et vérifie ses chronomètres et autres appareils. La poétesse Mlle Josefina de la Torre lui dédie un exemplaire de son dernier livre… Le pharmacien Federico León Santana lui remet une petite trousse d’urgence, avec tous les éléments essentiels, avec tous les cas d’accidents, blessures et contusions. Dumas est également muni d’un pistolet avec deux boîtes de cartouches au cas où il serait attaqué par des requins…

Le même journal inclut la citation textuelle suivante : “Comme fait curieux, nous devons en enregistrer un : Vito Dumas a pris du poids pendant son séjour à Las Palmas. Le lendemain de son arrivée, il pesait 74 kilos et hier matin, avant le déjeuner, son poids accusé 87 kilos, c’est-à-dire qu’en 13 jours il a pris 13 kilos…” C’est pas « Comme j’aime ! »

En plus des dispositions et respects mentionnés précédemment, Don Alfonso Canellas lui donne un chronomètre nautique ; Don Alejandro Dávila, deux gros régimes de bananes ; Don Santiago Gutiérrez Martín, deux boîtes de cigares spécialement fabriqués ; le photographe Maisch, plusieurs photographies de l’île, et Don Enrique Puiguriguer (administrateur COPPA), un drapeau espagnol[1].

Il appareille de Las Palmas le 27 janvier.

[1] – http://apuntesjdrz.blogspot.com/2016/09/1932-la-escala-del-navegante-solitario.html

Un télégramme au Lloyd’s, daté de Buenos-Aires, 14 mars, fait savoir que le navigateur solitaire rencontre pour la dernière fois le 4 mars par le sister ship Eastville, à 170 milles du cap Frio.

« “Du pain !” criais-je au bateau qui passait près de moi. Je n’avais même pas pris le temps de dire bonjour. Les gars interloqués par mon irruption, se demandaient comment, à bord d’un bateau ayant toutes les apparences d’un plaisancier, on pouvait bien manquer de l’essentiel[22]. »

Après 46 jours de navigations très calmes et 4 500 milles nautiques, ce n’est pas sans émotion que les Arcachonnais lisent la dépêche annonçant le naufrage de Vito Dumas, le 13 mars, sur la côte inhospitalière, à 75 miles au nord de Rio Grande do Sul aux confins du Brésil et de l’Uruguay. Cette nouvelle occulte, de la une des journaux, l’enlèvement du bébé[23] de Charles Lindbergh.

Endormi (le sommeil, ennemi sournois des solitaires à cette époque, sans navigateurs satellites ni gouvernails automatiques), Lehg s’est mis au plain,

artimon brisé, sur la plage Mostardas sur les côtes de la province de Rio-Grande. Le hardi navigateur, propriétaire, patron et pilote solitaire de Lehg, ce fin voilier sorti de nos chantiers, vient de connaître sur mer les affres de la tempête côtière qui faillit coûter la vie à Costes et à Le Brix, lors de leur grand périple aérien. L’émule d’Alain Gerbault a pu toucher terre à la nage et atteindre ainsi son but par performance athlétique qui n’aura surpris aucun de ses amis et connaissances[24].

Toutefois, d’après une information de La Nacion, de Buenos-Aires, parvenue à Bordeaux par l’Aéropostale, Vito Dumas n’aurait pas fait naufrage mais le Lehg, s’étant trop aventuré près des terres, s’est seulement échoué. À la nage, Vito Dumas va quérir les secours nécessaires[25] ; il espère que la Providence lui enverra un secours.

Dieu, qui naviguait sur ces eaux pour préparer le mât de sa goélette Maria Maria, lui envoie trois compatriotes montés à cheval qui viennent auprès du malheureux Lehg. Dumas leur raconte sa mésaventure. L’un d’eux propose de porter la nouvelle au capitaine des ports, M. Pais Leme, qui organise rapidement l’expédition de tous les articles de récupération.

Une fois cela fait, ils réparent le bateau, le mettant en état de reprendre la mer. Un beau geste de ces gens du pays frère. Vito lui-même dira plus tard qu’il a également reçu l’aide d’une entreprise industrielle, du journal “Critica” qui lui envoie

un avion qui atterrit sur cette côte désertique avec des journalistes et du matériel et d’un esprit généreux… Encore une fois, Mme Lehg ? En signe de gratitude, Vito donne au Regatta Club de Rio Grande do Sul la canne du Lehg, qui est toujours là[26].

À l’afflux de chèques, Vito s’énerve : « Je n’ai nul besoin d’argent, juste un coup de main. Aujourd’hui, j’ai reçu 2 000 pesos ; demain on m’en enverra 5 000. Je ne veux pas de cet argent ; je ne suis pas commerçant, je suis sportif ! »

Grâce aussi à son frère Remo, il parvient à renflouer le Lehg après 22 jours échoués sur la plage.

Le bateau remis à flot, appareille le 5 avril.

Il arrive à Montevideo (Uruguay) le 9 avril et appareille le 11 avril, 300 milles nautiques ;

Il arrive à Buenos Aires (Argentine) le 13 avril 1932, à 125 milles nautiques.

Lorsqu’il arrive à Buenos Aires, la foule l’attend.

« Las trece horas de una tarde incolora, del dia trece de abril, mientras d’espacio, se poblaba de ruidos que se untan al clamor de mi pueblo, que desde tierra aguardaba : cobraba amarra, frente al Yacht Club Argentino, dando fin a mi crucero. 

Antes del abandonar mi barco, lo abarqué con la mirada, a él, que fue mi compañero de pesares y alegrías, y como un último adiós, al que ya nunca volvería a surcar, las azuladas aguas de los mares y juntos ser bañados, por las tormentas de los trópicos. »

     

          

Sur les treize heures d’un après-midi sans couleur, le 13 avril, tant que j’avais de la place, ont été peuplées de bruits qui ont enduit la clameur de mon peuple, qui attendait depuis la terre : amarrage, devant le Yacht Club Argentino, fin de ma croisière. 

Avant d’abandonner mon navire, je l’entourai de mon regard, lui, qui fut mon compagnon de peines et de joies, et comme un dernier adieu, avec qui je ne naviguerais plus jamais, les eaux bleues des mers et me baigner ensemble, par les tempêtes des tropiques. 

Malgré une expérience réduite de marin, l’état déplorable du bateau, et l’inadaptation de celui-ci à une traversée transocéanique, il réussit une traversée de l’Atlantique en 5 étapes et 76 jours, parcourant 6 270 milles nautiques (11 600 km) entre le 13 décembre 1931 et le 11 avril 1932 et revient à Buenos Aires. 

En plus d’être doué pour la sculpture, Vito Dumas peint des huiles, des détrempes, des aquarelles. Sa valise en bois chargée de peintures à l’huile et de pinceaux l’accompagnera jusqu’à la fin de ses jours. Ses dernières années sont caractérisées par ce qu’on pourrait appeler sa « période bleue ».

Il peint la mer, son éternelle compagne ; toujours une mer immense, calme ou agitée, et les voiles de leurs navires : ses Leghs, ses Sirios, ses Lornas, à part les radeaux, les frégates, les clippers, les canots. Toujours une immense mer et un seul petit navire[1].

[1] – http://www.histarmar.com.ar/NAUTICA/VITO-DUMAS/MateandoconVitoDumas.htm

  

Le Lehg est toujours visible à Lujan en Argentine au musée “Enrique Udaondo” à côté du « Plus Ultra », le premier hydravion qui, avec son copilote Julio Ruiz de Alda, l’enseigne de vaisseau Juan Manuel Duran et le mécanicien Pablo Rada, a traversé d’Espagne à Buenos Aires en 1926,

piloté par Ramón Franco y Bahamonde Salgado Pardo de Andrade (frère cadet du généralissime Francisco Franco), né en 1896 à Ferrol (Galice) en Espagne, décédé le 28 octobre 1938 à 6 h 06, près de l’île de Majorque, d’où il entendait bombarder la zone républicaine de Valence, son hydravion de fabrication italienne CANT Z.506 Airone3 s’écrasant en mer.

 

[1] – En 1923, il tente la première de ses cinq tentatives pour traverser le Río de la Plata (50 km) ; il n’atteint pas son objectif mais établit un record de séjour dans l’eau : 25 heures ! Le Figaro du 16 février 1923 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k293493v

[2] – La web náutica para los amantes de la mar de habla hispan

https://www.navegar-es-preciso.com/personajes/newscbm_862630/10/

[3] – Félix Picon, fera partie de la délégation olympique française de voile à Anvers-1920, avec Albert Weil et Robert Monier, où ils ont remporté la médaille d’argent dans la classe internationale 6,5 m. Monier appartenait à une famille de négociants et d’armateur dont les activités étaient réparties entre Bordeaux et Saint Pierre et Miquelon. La famille avait également une villa à Arcachon, Roxane.

[4] – La Salamandre, poêle en fonte, à combustion lente, a été inventée par Edmond Chaboche.

[5] – Louis Bossuet est né en 1870.

[6] – https://www.sillages-forum.com/t27p150-vito-dumas-ou-la-nav-astro-de-rechappe

[7] – Vito Dumas se trompe : La quille d’un finkeel est généralement boulonnée sur la coque et plus profonde et plus fine qu’un full keel ;  le safran est séparé de la quille. Pour un full keel, la quille s’étend d’avant en arrière sur au moins 50% de la coque et est entièrement intégrée à la coque ; le safran est alors dans le prolongement de la quille.

[8]Vito Dumas  “La leyenda continua…….” http://www.vitodumas.com.ar/haza_arcachon.htm

[9] – http://www.vitodumas.com.ar/stern-02.htm

[10] – Plusieurs auteurs indiquent à tort Legh.

[11]https://www.sillages-forum.com/t27p150-vito-dumas-ou-la-nav-astro-de-rechappe

https://archive.org/details/httpswww.facebook.comgroupscomunidad.de.navegantes.nahuel.huapi_202009/page/n1/mode/2up?view=theater

[12]Le Yacht du 12 décembre 1931

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k83722952/f9.image.r=%22Vito%20Dumas%22manche%201931?rk=21459;2

[13] – https://www.sillages-forum.com/t27p150-vito-dumas-ou-la-nav-astro-de-rechappe

[14] – Plusieurs auteurs indiquent, à tort, le 13 décembre.

[15]Le Yacht des 12 décembre & 19 décembre 1931

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k83722952/f9.image.r=%22vito%20dumas%22arcachon?rk=64378;0

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8372296g/f6.item.r=%22vito%20dumas%22

[16]L’Athlète du 16 décembre 1931

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k45593288/f1.image.r=%22vito%20dumas%22?rk=321890;0

[17]The islander Magazine https://theislander.net/vito/

[18] – « Les chantiers Bossuet », bulletin SHAAPB n° 113, 2002 https://htba.fr/file/SHAA_113.pdf

[19]Le Patriote des Pyrénées du 17 décembre 1931

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k52572103/f4.item.r=%22vito%20dumas%22arcachon

[20]L’Avenir d’Arcachon des 13, 19 & 20 décembre 1931

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6157512x/f1.image.r=gilabert?rk=21459;2

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5422473d/f1.image.r=%22vito%20dumas%22?rk=21459;2#

[21]L’Athlète du 30 décembre 1931

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4559330b/f2.item.r=%22vito%20dumas%22arcachon

[22] – https://www.sillages-forum.com/t27p150-vito-dumas-ou-la-nav-astro-de-rechappe

[23] – Le 12 mai, il est retrouvé mort dans un fossé près de la maison.

[24]L’Avenir d’Arcachon du 20 mars 1932 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54216887/f2.image.r=vito

[25]Le Yacht du 26 mars 1932

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8372373t/f12.image.r=%22Vito%20Dumas%22manche?rk=42918;4

[26]Voiles http://www.vitodumas.com.ar/voiles-13.jpg

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Raphaël

Un commentaire

  1. Admirable !
    Nous ne sommes décidément en rien égaux. Il y a le commun des mortels, dont je fais partie, et il y a les hommes d’exception, dont Vito Dumas fait partie.
    Quoique tous les deux des hommes, je ne suis en rien son semblable… si ce n’est à l’occasion de mes rêveries les plus folles.

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