Alors que toute la planète-France (ou presque) semble savoir que la fameuse chanson de Pascal Obispo, « Tombée pour elle », est un hommage au Cap Ferret… (il est vrai que le sous-titre, « l’Île aux oiseaux », aurait pu m’aiguiller…), je suis resté persuadé que cette chanson était dédiée à… une femme. La raison de cette subite révélation ? Je vous le donne en mille: « Frédélian » !
Il y a quelques années, une cousine, de passage au Cap Ferret, s’informe discrètement auprès de la caissière de la plus célèbre pâtisserie de la côte noroît :
– Avec un nom pareil, vous êtes sans doute d’origine arménienne ?
– Non Madame, le grand’père s’appelait Alfred, et la grand’mère Éliane.
Depuis Frédélian est resté célèbre dans la famille Cottin comme « la pâtisserie arménienne » où l’on est sûr de trouver les meilleurs canelés du Bassin !
Dans les années trente, Alfred (né en 1905) et Éliane (née en 1907) Michaud (mariés le 22 décembre 1925 au Cap-Ferret) créent une boulangerie–pâtisserie–confiserie, située rue des Fauvettes, dans le quartier Bélisaire. Quelques années plus tard, les Michaud installent un nouvel établissement boulevard de la Plage (où il se trouve toujours.) La boulangerie–pâtisserie s’agrandit d’un salon de thé dansant, et connait un véritable succès : depuis 1939, les habitants des alentours se retrouvent le dimanche après-midi au bal, sur la terrasse de la pâtisserie ; c’est alors le lieu de rencontres où l’on danse à deux et l’on partage un gâteau entre amis. La « mode » du Cap Ferret aidant, c’est devenu aujourd’hui une véritable Institution.
Assise derrière son comptoir, Madame Michaud rédige, au crayon papier et sans calculette, les additions (bien salées pour autant de sucré !) sur les cartons à crêpe ou des morceaux de boîte à gâteaux endommagées…Un vrai poème que vous pouviez déchiffrer en emportant vos achats.
Liliane et Jacky[1] Michaud reprennent définitivement les rennes au début des années 60. « J’ai tout appris avec mes beaux-parents » confie Liliane. Car si c’est elle qui tient la caisse et gère les comptes, la jeune femme aime aussi mettre la main à la pâte et ajouter son grain de sel dans les créations maison. Les ingrédients du succès ? La qualité, le goût et le travail bien fait. Ajoutez-y une entente exemplaire entre les époux, une bonne dose d’amabilité avec les clients et le sourire en toutes circonstances. Des hordes de gamin suivi par leurs grands mères se précipitent en maillot de bain pour la sacro-sainte glace journalière.
Désormais, il faut d’abord se rhabiller avec un polo Ralh Lauren ou Abercrombie avant de traverser le boulevard de la plage, sinon vous allez passer pour un péquenot !
Frédélian c’est aussi le gâteau du dimanche que le bordelais vient chercher après la messe de 11 h. Les plus anciens entendent encore le Père Castaing (un phénomène, celui-là !) arrêter la fin de sa messe pour sermonner violemment ses ouailles en leur rappelant que Frédélian ferme à 13 h. et qu’ils peuvent assister à la communion sans craindre de manquer de gâteaux. Non mais !
L’hiver, Jacky est aussi chasseur et marin pêcheur. Il quitte son laboratoire pour aller lever les filets avec son fils. « Il n’était pas rare que les clients repartent avec quelques bars en plus de la frangipane » plaisante-t-il. Un certain art de vivre qui les a comblés. Parents de 3 enfants, grands-parents et aujourd’hui arrières-grands-parents, Liliane et Jacky passent le flambeau en 2005 : la maison Richard quitte Andernos (reprise sous le même nom par un jeune pâtissier prometteur) pour reprendre Frédélian revendu à prix d’or (avec ses recettes conservées secrètement chez le notaire).
« Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? » : simple question de Nicolas ou Fanny Longein, née Delord, et voilà le moment de faire le plus délicat des choix… Un Puits d’amour ? (aujourd’hui, ce dessert se donne toujours autant en spectacle dans la vitrine de la Maison Frédélian !) Une glace craquelin aux éclats de nougatine ? Non, un canelé (avec un seul « n »). Ou plutôt une gaufre au sucre, la viennoiserie au beurre d’Isigny, les éclairs au chocolat ou café, mille-feuille framboise, mais aussi Tigré (biscuit pâte d’amande et ganache au chocolat) et Train du Plaisir (le même, mais au kirsch et à la pistache) : c’est là toute la magie de Frédélian. À fondre ! À peine la décision prise, on pense déjà à revenir le lendemain, puis le surlendemain, pour pouvoir tout goûter. Il faut dire que, dégustés à la pointe du Ferret, les gâteaux sont forcément meilleurs ! Ils ont le goût des vacances, de la douceur, de soleil et du sel, de l’enfance et de l’insouciance. Ils ont la saveur si particulière des instants qui pourraient durer toujours.
Un café, un jus de fruits et une viennoiserie, une vue dégagée sur le Bassin et la dune du Pilat, les premiers rayons de soleil, un vent frais et léger… Voilà, vous êtes prêts à attaquer la journée du bon pied ! Profiter de la terrasse pour son petit déjeuner ou un café pour être vu tout en restant anonyme, c’est tout un art pratiqué par les people du Ferret. Grands spécialistes : Pascal Obispo (encore lui !) et Julien Courbet.
Nicolas Longein, natif de Châteauroux, formé en pâtisserie chez Villedieu à Marseille, mais aussi à Poitiers et à Paris, a repris cette maison douce et fameuse, gardant l’esprit de ce salon de thé. Actuellement, noté 3/5 sur le site tripadvisor, et des commentaires (août 2020) souvent acerbes, peut-être pourriez-vous donner votre avis…
Sources :
Souvenirs de François & Françoise Cottin
http://www.gillespudlowski.com/23438/produits/ferret-un-canele-chez-fredelian
https://lecapferret.net/2013/05/07/fredelian-patisserie-intemporelle-et-incontournable/
http://www.ville-lege-capferret.fr/wp-content/uploads/2019/07/revue-municipale-LCF-n70.pdf
http://www.fredelian-capferret.com/heritage/
https://feeds.mydistrikt.com/11405807061895891531-2/
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[1] – L’été sur la plage, il rencontre Liliane dont les parents bordelais viennent tous les ans en vacances au Ferret. Ils se marient en 1954, elle a 23 ans et quitte son métier de comptable à Bordeaux pour travailler avec son époux au sein de l’entreprise familiale.