Chronique n° 092 – Une mosaïque intraduisible

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Les décennies qui, à Arcachon, précèdent la Grande guerre, s’affirment comme une période particulièrement active pour la ville. Et sa légende, tout comme son aventure, s’écrivent dans une presse souvent élogieuse et qui ne rien refuse rien à la Compagnie du Midi. Une preuve : en 1863, pendant l’éclosion de la Ville d’hiver, “Le Siècle” écrit : “Arcachon est une page éblouissante de l’Inde dorée. On y retrouve le climat de Nice, les horizons pourpres de Venise, les brises fortifiantes de Pau, l’azur éclatant du Midi”. Et le même journal d’évoquer, les fêtes dans le parc du casino mauresque, les chevauchées joyeuses, les excursions en mer, les voitures et les chasses. Sans oublier, on s’en doute, “les femmes charmantes et les baigneuses de distinction”. Un charme auquel succombe Antoine Gautier, un ancien maire de Bordeaux. Il ne manque pas dans son “Memorandum” d’observer “Une nuée de cocottes qui se renouvellent sans cesse ; elles galopent de tous les côtés, à pied, à cheval, en voiture ; elles ont des traînes, des petits chapeaux avec des panaches de toutes les couleurs et de toutes les formes”.

En 1868, le charme de la Ville d’hiver agit sur Édouard Guillon, l’auteur du guide “Châteaux historiques de Gironde”. Il écrit : “La ville haute est une mosaïque intraduisible de chalets, de villas, de chaumes, de cottages, jetés çà et là, au hasard du paysage, cachés parmi les pins”. Extraordinaire réussite de cette Ville d’hiver qui donne l’impression de fonctionner “au hasard”, alors qu’elle repose sur une conception des plus raisonnées. Édouard Guillon, subjugué, ajoute donc : “Ville d’agréments et ville médicale, séjour de malades pauvres et du riche opulent, Arcachon est le lieu le plus curieux à visiter dans le département”.

Le 1er décembre 1869, la gazette “Le Bordelais” remarque : “La ville d’hiver est celle du monde entier car chaque année, l’Espagne, l’Angleterre, la Russie et l’Allemagne y sont représentées”. En 1872, le lecteur du “Globe” découvre que son rédacteur, Bouthillier de Baumont, est saisi d’étonnement devant le buffet chinois de la gare, devant les coupoles du casino et les mille becs de gaz qui éclairent son parc. Et le journaliste de vanter “Les longues avenues droites de la ville, tandis que figuiers, arbousiers et pins se disputent l’ombrage des jardins des demeures basses”. Puis, au trot de jolies voitures découvertes, il grimpe dans la Ville d’hiver “Où les pins entourent de gracieuses constructions et les couvrent de verdure”. Il parcourt de larges allées qui, dit-il, “servent de promenades aux piétons, aux cavaliers, aux dames à cheval ou en voiture, qui viennent savourer l’atmosphère balsamique des forêts, par jouissance, voire même par ordonnance médicale”. On note ici le souci constant des responsables de la ville d’hiver, qui inspirent le rédacteur du “Globe”, de minorer l’aspect médical d’Arcachon, tout en l’évoquant habilement.

Certes, il y a le revers de la médaille. “Le Courrier d’Arcachon” du 29 juillet 1866, dénonce “Les groupes de cavaliers qui parcourent le boulevard de la Plage à une allure déréglée alors qu’il est encombré”. Et le journal de s’indigner “Devant des chevaux lancés à fond de train qui, sans être guidés, tournent brusquement parce que des chevaux de la même écurie passent à côté allant en sens inverse”. On croirait les ânes de Gavarnie ! Le 6 août 1868, le journal “La Guienne” fustige “La nuée de colporteurs, de fournisseurs, de mendiants de toutes sortes et d’orgues de barbarie dont l’étranger est assiégé”.

Quant au révérend père Baudrand, le fondateur de l’école Saint-Elme, lucide sans doute mais peu charitable, il écrit le 24 avril 1866 : “Saint Ferdinand est le côté crapuleux d’Arcachon avec une multitude de maisonnettes et de guinguettes d’un aspect douteux qui sont pendant la saison le rendez-vous du demi-monde et même du quart de monde de Bordeaux”. C’est là qu’il développera son école ! Mais le père Baudrand de préférer “La solitude du “Moullo” qui sera toujours défendue des envahissements d’Arcachon par la distance ou par l’argent” Effectivement avec la mode du Moulleau, c’est une autre histoire qui commence.

À suivre…

Jean Dubroca

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