Salles – Du régime pastoral

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Depuis des siècles, les landes de la Gironde et du département des Landes sont soumises au parcours des troupeaux. Cette jouissance commune, résultat de la tolérance, dérive de la situation topographique des lieux, de la stérilité du sol.

Quelques communes possèdent ces parcours en droit, en vertu de titres authentiques sur d’anciens et vastes domaines seigneuriaux. L’habitant des landes considère ce parcours comme une charge que chaque propriétaire doit supporter et dont il peut profiter, les cultures étant identiques, les moyens doivent être aussi identiques. La végétation grossière et si peu nutritive de ce sol ingrat est rebelle, quant à présent, à toute transformation que le temps seul peut accomplir utilement. Ce parcours fournit le pacage nécessaire aux nombreux troupeaux de bêtes à laines que possèdent les communes. Ces troupeaux produisent les engrais les plus efficaces et les moins coûteux pour la culture des terres arables. Cette dernière culture est nécessaire à l’agencement de nos propriétés. Le régime pastoral est non seulement d’intérêt départemental, mais encore d’intérêt général.

Les mercuriales du marché aux bestiaux de Bordeaux indiquent jusqu’à 3 000 agneaux portés et vendus en un seul jour ; ces jeunes animaux proviennent en grande partie des landes de la Gironde.

Sur tout ce qui compose le domaine communal, le parcours est entier, absolu. Sur la propriété privée, il est ordinairement exercé par réciprocité, et subit alors des restrictions gênantes de la part de certains habitants et surtout de la part des propriétaires qui n’habitent pas le pays. En sorte que celui qui veut jouir d’un parcours ne se sent à l’aise que dans le domaine communal. C’est la ressource du grand comme du petit propriétaire, et surtout du métayer ; les uns et les autres s’en servent, s’il existe, le petit propriétaire et le métayer en subissent difficilement la privation ; car ils en ressentent plus impérieusement l’utilité indispensable. De là viennent les luttes soutenues depuis des siècles avec tant d’ardeur, chaque fois que le domaine communal est touché, diminué et détruit. Ces luttes sont marquées dans les annales de notre pays par les grands incendies qui le ravagent à différentes époques, telles les années 1755, 1803, 1822, 1836, enfin 1870.

La nécessité du parcours arrache encore aux hommes bien des faveurs, car on ne sait user assez de ménagements, si l’on ne veut pas être soumis à de terribles épreuves ; c’est ainsi que la loi du 19 juin 1857 précipite la destruction du régime pastoral.

Permettez-moi un retour sur le passé, afin de mieux faire saisir la ténacité de la lutte contre la culture forestière et le régime pastoral.

Le 3 novembre 1561, les habitants de la paroisse de Salles, menacés de la perte de leurs usages, demandent à émigrer à leur seigneur Pierre de Lur, vicomte d’Uza. Une transaction intervient. Les habitants obtiennent le droit de « faire paccager les bestiaux et faire leurs coyallas, [parcs à bestiaux avec parfois une cabane pour le berger] dans toute l’étendue des landes, et couper bruc, brande, jaugue et fougère ». Entre autres dispositions importantes, le droit de parcours a sa clause, et le régime pastoral est conservé : « A été dit et accordé que ledit seigneur ne pourra pignorer (saisir) ni prendre aucun bétail des habitants de Salles trouvés en ses bois seigneuriaux et prés, ni en faire payer aucune amende en aucun temps. »

Le seigneur stipule tant pour lui que pour ses hoirs et successeurs présents et à venir, ainsi que les habitants de Salles, toutes lesquelles parties, du reste, se soumettent respectivement à une garantie réciproque, au cas d’éviction et de trouble, et ce dans les termes qui suivent : « Lesquels dits seigneur et habitants, de leur bon gré pour eux et les leurs, ont respectivement accepté et stipulé toutes et unes chacunes les choses susdites et ont promis et par ces présentes promettent le tout entretenir et garder, sans jamais ne venir au contraire, et au cas qu’aucune des parties fût troublée ou inquiétée ès choses susdites ou en aucune d’icelles, ont promis et seront tenues lesdites parties s’en porter bonne éviction et garantie l’une partie d’icelles à l’autre respectivement envers et contre toute personne en jugement et dehors, sans contredit et pour tout ce que dessus faire tenir, garder et accomplir de point en point et selon sa forme et teneur ledit seigneur Louis Delur, d’une part, et les habitants de Salles dessus nommés, d’autre part, et de leur bon gré ont obligé, hypothéqué et par ces présentes obligent et hypothèquent l’une  d’icelles à l’autre, savoir : ledit seigneur Delur, tous et uns chacuns ses biens, meubles et immeubles, présents et à venir quelconques, et lesdits habitants leurs propres personnes, ensemble tous et un chacun leurs biens et choses meubles et immeubles présents et à venir, mêmement lesdits habitants, l’un a tenu pour l’autre et chacun d’eux seul et un pour le tout, et ont renoncé au bénéfice de division et ordre de discussion, lesquelles personnes ès biens susdits lesdites parties respectivement ont pour ce soumis et soumettent aux juridictions et rigueurs, et ont renoncé et renoncent sur ce lesdites parties à tous droits, lois, coutumes, titres, exceptions, raisons et moyens à ce contraires par lesquelles lesdites parties ou aucune d’icelles se pourraient aider à venir ou faire venir contre la teneur et l’effet de ces présentes, laquelle teneur lesdites parties ont promis et juré aux saints Evangiles Notre-Seigneur, forcé tenir, garder et accomplir, sans jamais aller ni venir au contraire directement ni indirectement par eux ni par autres interposées personnes en aucune manière. »

Cette clause finale, jointe à la stipulation du droit de parcours qui la précède, donne la mesure de l’importance des obligations que les parties s’imposent respectivement par ce dernier acte, qui éteint leurs contestations ; elles donnent surtout la mesure des sentiments qui les animent lorsqu’elles jurent de tenir, garder et accomplir la convention, sans jamais aller ni venir au contraire directement ni indirectement.

Les droits conventionnels d’usage (padouens et padouentage) concernent les droits de pacage, d’ajoncs, de bruc (la bruyère), de fougères et d’apiés (les ruchers). Ils sont attribués aux habitants d’Arès et Andernos par leur seigneur Jean Durfort, à ceux du Captalat du Buch reconnus en 1550 par Frédéric de Foix, puis renouvelés par Gabriel Dalesme, en 1561 aux Sallois, en 1571 à Certes par Isabelle de Savoie (et confirmés en 1736 par Emery de Durfort marquis de Civrac pour Biganos, Audenge et Lanton), en 1619 et en 1702 par Jean-Baptiste de Laville. Ils sont toujours en vigueur en 1730, complétés en 1742 et 1743 pour le pacage des lettes, en 1736 et aussi en 1792 dans la propriété Belcier. Les cahiers des doléances de 1789 en exigeront le maintien au nom de la défense des « libertés » locales.

Les biens du dernier seigneur de Salles passent à la nation ; l’administration forestière est alors chargée de la gestion. Il n’est jamais arrivé que personne dans la commune ait été troublée dans sa possession ; les gardes forestiers, de même que les gardes généraux, ont toujours laissé jouir les habitants du droit que lui ont accordé leurs ci-devant seigneurs. La commune de Salles jouit paisiblement depuis plusieurs siècles de ce droit de parcours. Cette jouissance s’est exercée sous la domination de plusieurs seigneurs ; aucun ne s’est permis d’y apporter le moindre trouble.

Le régime pastoral a donc, dès cette époque, sa raison d’être pour être imposé au puissant seigneur féodal Louis Delur par ses manants. En aucun temps, aucun incendie n’est venu troubler l’harmonie qui a toujours existé entre les successeurs de ce seigneur et les usagers : jamais les propriétés du château de Salles n’ont été incendiées.

Les grandes entreprises de la colonisation qui sont faites sur le domaine communal au XVIIIe siècle, sont le point de mire des incendiaires, et périodiquement tout y est détruit par le feu. Le 19 juin 1761, M. le marquis de Civrac concède 240 000 arpents de terres incultes, vaines et vagues, landes et marais, écartant le régime pastoral ; on se met à l’œuvre ; où en sont les résultats? C’est de toutes les contrées la moins habitée, et celle qui souffre le plus des incendies ; il y a autant de landes incultes qu’à toute autre époque.

À présent, la culture forestière du pin maritime est la seule qui convienne, au sol des landes. Favoriser cette culture par des moyens qui s’harmonisent avec les mœurs, les usages et les habitudes des habitants, doit être le but constant que les hommes attachés à leur pays doivent chercher et atteindre. La première mesure qui se présente est l’abrogation de la loi du 19 juin 1857 et le retour au droit commun. Les conseils municipaux doivent juger dorénavant de l’opportunité de la vente ou de l’ensemencement des landes soumises au parcours des bestiaux. L’obligation d’aliéner entraînant la destruction totale du domaine communal à jour fixe, serait le pire des maux. À ce sujet, remarquons que des amendements forçant les communes à aliéner sont rejetés, lors de la discussion de la loi par le Corps législatif.

Enfin l’aisance étant par expérience un moyen, vrai qui éloigne de nous ce terrible fléau, l’incendie, unissons nos efforts pour apporter à ce pays déshérité et depuis si longtemps abandonné ce qui lui manque, ce qu’il réclame avec insistance au nom de la justice.

Pour autre exemple, la colonie créée le 5 février 1766 par le captal de Buch, messire François-Alain de Ruat, en faveur de M. Daniel de Nezer : 40 000 journaux bordelais forment cette colonie mais le régime pastoral s’impose au captal et le régime pastoral est réservé sur 20 000 journaux bordelais.

Mais, convaincue aussi qu’il serait dangereux de brusquer les changements dans les habitudes et les usages, et surtout de supprimer, tout à coup les intérêts actuels du petit propriétaire et du berger, gens illettrés, pauvres, routiniers, habitués à considérer l’usage comme placé au-dessus de la loi, et par conséquent irrités de tout ce qui froisse leurs intérêts du moment.

Votre Commission des travaux publics et d’agriculture, animée par les sentiments de la plus grande modération, et surtout par cet esprit de conciliation et de conservation qu’il est nécessaire d’établir entre les intérêts anciens et les intérêts nouveaux ;  le délai de douze ans accordé par la loi étant expiré, a l’honneur de vous proposer d’émettre le vœu suivant : les communes devront continuer à ensemencer ou planter en bois les terrains communaux soumis au parcours des bestiaux à partir du 1er janvier 1874, par sixième, et de cinq ans en cinq ans.

(Adopté)

 

 

Rapports et délibérations du Conseil général de la Gironde, août 1873

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5731328x/f899.item.r=%22vicomte%20d’uza%22salles#

Enquête sur les incendies de forêts dans la région des Landes de Gascogne : rapport à son exc. M. le ministre des finances, Henri Faré, (1828-1894), 1873

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9649239q/f202.item.r=%22vicomte%20d’uza%22salles#

Les Landes à Salles vers 1540 : des paysages loin des idées reçues, Paesaggio, 3 octobre 2015

http://paesaggio.over-blog.com/2015/10/les-landes-a-salles-vers-1540-des-paysages-loin-des-idees-recues.html

Salles à la fin de l’Ancien Régime : exploitation seigneuriale, structures foncières et société rurale, Aubin, G., 1995. In La Grande Lande : 9-40, A. Klingebiel  &  J.-B Marquette (dir.)

La seigneurie de Salles au milieu du XVIe siècle. Exploitation seigneuriale, structures foncières et sociales, Pierre Jayr, Université de Bordeaux 3, Mémoire de maîtrise d’Histoire médiévale, 1997

http://conservatoirepatrimonialbassinarcachon.fr/cpbamodules/module/25/828

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Raphaël

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