– Hé adieu, promeneur estival ! Que je te trouve bien soucieux, ce matin, au moment d’embarquer dans la pétrolette à promenades ! Ah! Je comprends. Tu n’as pas pu déguster tes huîtres du banc d’Arguin, ce week-end. Mais tu as tout de même pu te régaler d’autres bons crus du Bassin. Mais le banc d’Arguin, tout de même, “ça te fait deuil”, comme on dit à Bordeaux. … Allez, ne perds pas espoir puisque tu verras, là où nous allons, que les gens du Bassin ont toujours su faire face aux caprices de dame huître qui, il faut bien le reconnaître, n’a pas le caractère commode.
Les démêlés du marin arcachonnais avec son mollusque ont commencé, imagine-toi, en 1750 ! Avant cette date, on draguait l’huître sans vergogne sur des bancs naturels, tant et si bien que les huîtrières ont bientôt disparu. Les pouvoirs publics réagissent alors et décident fermement qu’on ne pêchera plus d’huîtres pendant trois ans. Imagine encore, passager inquiet, la catastrophe que ce fut car l’huître assurait nourriture et maigres ressources financières. Il y a donc beaucoup de récalcitrants à la loi. Le contrôle sur l’exploitation des bancs ne suffisant donc pas pour préserver l’huître, on interdit ensuite l’usage de la drague pour la ramasser. On la pêchera pédestrement. Ce qui n’arrange pourtant rien.
Suivent alors d’autres décisions : 1759, interdiction de pêcher au moment du frai, d’avril à novembre ; 1776 : interdiction de vendre des huîtres de mai à septembre. Résultat : la pousse des huîtres reprend de plus belle et de plus belle aussi leur exploitation. Conséquence inéluctable : c’est à nouveau la pénurie, à partir de 1818. Mais le récent pouvoir royal qui ne tient pas à se mettre à dos la population ne réagit pas.
Il faut alors attendre 1835 pour que l’Amirauté de Guyenne se fâche et rétablisse les arrêtés précédents. On mobilise aussitôt maires, gendarmes, douaniers et même un navire de la Royale pour surveiller les sites producteurs. Mais lorsque l’heure d’ouverture de la pêche arrive, annoncée par un coup de canon, des centaines de pêcheurs, prêts à en découdre, se ruent et parfois se battent, sur les bancs, les détruisant une fois de plus. Il faut donc faire quelque chose, dit-on du côté des autorités. Elles se décident lentement et en 1849, malgré les hurlements des élus locaux, elles finissent par imposer des parcs fermés favorisant la reproduction des huîtres. C’est une véritable révolution technique. Ainsi, commence, avec bien du mal d’ ailleurs, l’ostréiculture… Elle n’aura pas fini de souffrir.
Par exemple, devant les premières bonnes récoltes dans les parcs, la spéculation s’empare des crassats. Il faut obliger les investisseurs, souvent des bourgeois opportunistes, à s’entendre avec les inscrits maritimes pour exploiter les concessions de l’État. Mais cette exploitation se fait sans discernement et huîtres et naissain commencent, de nouveau, à manquer. Heureusement, Jean Michelet avec sa caisse ostréophile qui facilite la reproduction, sauve la situation. L’huître, de nouveau, prolifère. Mais en 1870, nouvelle calamité : le grand froid de cet hiver-là met à mal les bancs d’huîtres traditionnelles, c’est à dire des plates, appelées “gravettes”. Il faut dare-dare les remplacer en important des Crasostera angulata, venues tout droit du Portugal.
L’huître creuse remplacera désormais la plate, au grand dam de nombreux ostréiculteurs, tenants de la gravette dont, angoissés sur leur avenir, ils prédisent la disparition. Il est vrai que la Portugaise, vorace, résistante et prolifique, se montre particulièrement envahissante. Certains, devant le danger, pratiquent l’avortement en la chassant des collecteurs. Mais la dame a la peau dure si bien qu’un décret de 1914 interdit tout bonnement “l’entrée et le dépôt des huîtres portugaises dans les établissements d’Arcachon”. Cependant, la robuste constitution de l’intruse fait qu’elle résiste en 1920 à une épizootie de nature inconnue qui, par contre, décime sa plate congénère. Puis, comme le chante Ferrat,“Une année bonne et l’autre non”, la Portugaise triomphante jusqu’en 1929, connaît des hauts et des bas, notamment de 1933 à 1945.
Mais la grande catastrophe dégringole sur les ostréiculteurs du Bassin en 1960. Un virus, en quelques saisons, détruit la Portugaise ! Une fois de plus, les ostréiculteurs font face en apportant, sous les plus sérieux contrôles, dans les eaux arcachonnaises, une huître dite “japonaise”. Une fois de plus, l’ostréiculture réussit à survivre …(1)
Tu le vois, promeneur de l’été, la courte histoire de l’ostréiculture est une succession de crises et d’ autant de contre-attaques des parqueurs. Comme aujourd’hui et sans doute comme demain … Que me dis-tu ? Qu’il faudrait peut-être que, demain, justement, les ostréiculteurs s’organisent en coopératives pour financer des installations qui, pendant plusieurs semaines, mettraient leurs huîtres à l’abri des aléas naturels d’un milieu fragile. Tu crois que ce serait l’ultime bataille, celle de la victoire ? Leurs collègues de l’étang de Thau, l’ont gagnée ainsi, disait encore voici quelques mois, le préfet Idrac. À méditer, jusqu’à demain …
Jean Dubroca
(1) Sources : Luc Dupuyoo, “Autrefois le Bassin d’Arcachon”. Éditions Confluences. 2005.