Marie Bartette – Mémoires posthumes – 1

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Journal d’Arcachon à partir du N° 1162 du 3 décembre 1966

Avec l’aimable autorisation de Monsieur Pierre Lataillade, Maire honoraire d’Arcachon, propriétaire du Journal d’Arcachon.

Dans ce journal qui se présente sous une forme nouvelle, dans ce numéro qui paraît immédiatement après la cérémonie de dimanche qui a marqué l’anniversaire du décès de son ancienne directrice, Marie Bartette, nous avons pensé qu’il était bon d’y commencer la publication des mémoires qu’elle nous avait légués.

Il nous semble ainsi qu’elle préside encore aux destinées de ce journal qui lui fut su cher et qu’elle le patronne dans sa nouvelle formule.

Beaucoup de nos lecteurs revivront sous sa plume, les temps pénibles, mais exaltants de la période 1940-1945. Les jeunes y apprendront un peu de l’histoire locale, ils y puiseront une leçon de désintéressement, de volonté, de courage et de patriotisme.

C’est pour Marie Bartette une façon de survivre en esprit et par delà la tombe, de servir encore.

1940 – Désastre et acte de foi

C’est la nuit, qu’il est beau de croire en la lumière

Edmond Rostand (« Chanteclerc »)

 

Il fait un temps splendide en ce printemps tragique, et Arcachon accueille les réfugiés, Belges et Français, civils et militaires, en se montrant à eux sous son plus bel aspect. Petite ville de quatorze mille habitants, mais station balnéaire ayant une très grande possibilité de logement, elle offre à ses cent mille visiteurs malgré eux, que la guerre lui envoie, tout le charme de son bassin étincelant sous le soleil, l’ombre fraîche de ses arbres, les fleurs de tous ses jardins.

Les mauvaises nouvelles se succèdent sans arrêt, on espère quand même, on évoque 1914, l’exode des Parisiens, des Belges, des habitants du Nord et de l’Est, on attend sans trop oser le dire une deuxième bataille de la Marne, quelque chose si mette un cran d’arrêt à l’avance ennemie.

10 juin. L’Italie nous déclare la guerre. C’est de toute évidence le coup de pied de l’âne. L’armée italienne n’est certainement pas plus redoutable que dans le passé, mais elle a attendu pour se lancer dans la guerre que l’armée française soit déjà hors de combat. Je pense à cela avec amertume et je perds tout espoir.

Un de mes amis arrive chez moi vers midi, très surexcité et presque triomphant :

– La Russie et la Turquie viennent de déclarer la guerre à l’Allemagne !

Je le regarde étonnée :

– Vous en êtes sûr ?

– Mais oui, le télégramme vient d’arriver à la poste et le receveur me l’a montré, c’est donc tout à fait officiel !

La nouvelle se propage en quelques minutes dans toute la ville. A midi et demie, j’écoute les informations, il n’en est rien, hélas ! point question de ces déclarations de guerre. Le télégramme est bien arrivé à la poste, mais il émane de l’ennemi ou de ses agents, c’est la guerre des nerfs. Nous verrons plusieurs fois des faits de cet ordre, ils n’auront point de prise sur moi, ni sur la plupart des Français, une infime minorité se laissera démoraliser et généralement pour peu de temps.

L’entrée des Allemands à Paris ne permet plus aucun espoir, tous nos moyens de communication sont aux mains des Boches, il n’y a plus qu’à capituler comme l’armée belge. Je parle peu cependant durant ces longues journées d’attente, il est toujours inutile et coupable d’enlever l’espérance à ceux qui s’y accrochent jusqu’à la dernière minute.

Le 17, la radio annonce que le Maréchal Pétain succède à M. Paul Reynaud et qu’il parlera aux Français dans la soirée. J’écoute sans enthousiasme, ni préventions. Je n’ai pas compris comment Paul Reynaud, pour galvaniser les énergies françaises et combattre un adversaire redoutable a fait appel à deux vieillards, Pétain et Weygand. J’ai éprouvé, le 6 juin, une déception et une inquiétude, mais le 17, je n’y pense plus, on ne peut reprocher à un homme d’avoir son âge.

La voix chevrotante m’impressionne désagréablement et le discours très bref me plonge dans la stupeur. On va signer un armistice « entre soldats et dans l’honneur ! ». Alors, il n’y a pas de doute, s’il n’est pas atteint de sénilité grave, ce maréchal de France n’a jamais su ce qu’était l’honneur ! J’ai entendu parler de ses sentiments anti-républicains, j’ai lu, il y a deux ou trois ans, la plaquette de Gustave Hervé : « C’est Pétain qu’il nous faut ! » et cette tentative de restaurer un régime bonapartiste avec un vieillard de plus de 80 ans m’a paru absurde dans notre France si solidairement républicaine. Ce qui est bien certain aujourd’hui, c’est qu’il considère comme chiffon de papier la signature de la République et ne tient aucun compte des engagements formels que nous avons pris envers la Grande-Bretagne. Quelle honte !

À Arcachon, la consternation règne, mais beaucoup de gens ne comprennent pas très bien. Dans un certain clan, on se réjouit de la fin de la guerre, nous saurons bientôt où ce pacifisme va nous conduire. Bien des femmes, surtout un peu âgées, se figurent que l’armistice signifie le retour pur et simple à la situation d’avant-guerre, elles comprendront assez vite leur erreur d’optique.

Tous les soirs, à 22 heures, j’écoute l’émission française de la B.B.C. depuis qu’elle existe. Ce soir-là, je tourne mon aiguille avec inquiétude, que vont dire les Anglais de l’attitude de la France ? Je redoute les phrases blessantes qui pourraient se glisser dans un commentaire, car je sais bien que la radio anglaise sera prudente, mais la moindre allusion me ferait très mal. Il ne se passe rien de semblable, le speaker habituel annonce la demande d’armistice du Gouvernement français sans insister, comme s’il s’agissait d’un événement sans importance.

La presse et la radio françaises ne donnent aucun renseignement sur ce qui s’est passé à Bordeaux. Je cherche à comprendre, mais c’est bien impossible, je ne peux pas imaginer que la panique s’est emparée des parlementaires et que les plus grands chefs militaires ont refusé de se battre. Certes, je comprenais qu’une capitulation s’imposait en France, mais la Marine ? Mais l’Empire ? Mais les troupes qui sont dans les casernes et n’ont pas été engagées ? Le Français moyen ne peut pas supposer qu’il se trouve devant la plus grande entreprise de trahison qu’ait connue notre histoire. Il n’a que l’inquiétude d’un pressentiment, peu à peu, il acquerra la certitude.

18 juin. Le soir, je me pose toujours des questions, l’âme grondante de colère impuissante. Avec la même inquiétude que la veille, je me mets à l’écoute de la B.B.C. Imperturbable, le speaker anglais donne les dernières nouvelles, je l’écoute, accoudée près du poste, le front dans ma main droite, et soudain la voix déjà familière annonce :

– Vous allez entendre le Général de Gaulle, ex sous-secrétaire d’État du Gouvernement Reynaud.

Ma tête s’est redressée, l’attention tendue au maximum, j’entends une voix forte, virile, française, la voix de l’honneur !

« Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement.

 « Ce gouvernement alléguant la défaite de nos armées s’est mis en rapporta avec l’ennemi pour cesser le combat.

 « Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l’ennemi, infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui.

 « Mais le dernier mot est-il dit ? La défaite est-elle définitive ? Non.

 « Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et qui vous dit que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.

« Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle ! Elle peut faire bloc avec l’Empire Britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des États-Unis.

« Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a dans l’univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.

 « Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialisés des industries d’armement, qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

 « Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas.

 « Demain comme aujourd’hui, je parlerai à la Radio de Londres »

 J’écoute passionnément, j’entends encore la voix alors qu’elle s’est tue depuis longtemps, j’ai éteint le poste, je n’écouterai plus rien ce soir-là, debout, redressée par l’espérance, je cherche de quelle façon je vais répondre à cet appel. Une fois de plus dans ma vie, je regrette d’être femme. Ce serait si facile si j’étais un homme de partir le lendemain pour Bordeaux et d’embarquer sur n’importe quoi, pour n’importe où. Mais je pense aussi que les solutions faciles ne sont pas toujours les plus intéressantes. A quarante-sept ans, qu’irais-je faire à Londres ? Cela serait presque une désertion. Commerçante en face du marché, sur la place de la Mairie, je vois beaucoup de monde et mon rôle est tout indiqué. Je parlerai tout au long du jour pour repousser toute idée de défaite définitive, annoncer la victoire de l’Angleterre, stimuler les énergies, faire rayonner un peu de l’immense confiance qui est déjà en moi. Pour la militante politique que j’étais avant la guerre, cette propagande sera chose facile.

Je pense à un vieux dicton qui prétend que toutes les fois que la France est en péril de mort, un de ses enfants, homme ou femme, se dresse pour la défendre ou la sauver. Ce dicton va se réaliser une fois de plus et l’homme que je viens d’entendre, ce général qui n’est connu que depuis peu de semaines, est l’homme du destin qui sauvera la France. Dans mon âme sceptique, une foi ardente vient de naître, aucun échec, aucun revers ne l’affaibliront, tous les jours qui passeront, au contraire, la fortifieront, elle devient de suite, pour moi, une raison de vivre. J’ai foi, foi absolue dans la destinée de la France, mon pays !

Le raisonnement me conduit naturellement au-delà de ce sentiment instinctif pour le confirmer. Il est bien certain que la machine de guerre allemande ne représente pas une armée ordinaire, ni le gouvernement national-socialiste avec Hitler, un gouvernement avec lequel il soit possible de discuter et de s’entendre. Ce régime d’oppression et de violence représente bien à notre époque le déchaînement des forces du Mal, il n’est pas possible d’envisager ni d’accepter leur victoire. Je sais qu’autrefois et même à bien des reprises, l’Histoire a enregistré le triomphe de la violence contre la justice. Je ne crois pas que ce soit possible aujourd’hui dans ce que l’on appelle les démocraties occidentales.

À partir de ce soir-là, ma vie est très simplement réglée, je parle toute la journée et, le soir, jusqu’à minuit ou une heure, j’écoute par la radio les nouvelles du monde. Je parle tellement que certain soir du mois de juillet, je suis aphone, alors que mes cordes vocales sont plutôt solides.

Mais je ne fais pas que parler, j’écoute aussi les autres et j’observe pour me faire une opinion et dresser une approximative statistique. Vers la fin de juin, j’évalue à 33 % les Arcachonnais qui comptent sur la victoire anglaise et passent auprès de leur poste toutes leurs minutes de loisir, 15 % environ ceux qui approuvent le maréchal Pétain, et 50 % ceux qui attendent sans trop bien comprendre ce qui se passe.

Un choc très violent va se produire sur cette masse indécise à l’arrivée des Allemands. Quelques motocyclistes et quelques officiers son venus le 27 juin et les jours suivants, mais c’est au début de juillet que nous sommes vraiment « occupés ». Tous les grands hôtels sont réquisitionnés, ainsi que beaucoup de villas et pensions de famille. On renvoie chez eux tous les réfugiés, on ne permet aux Français que la jouissance d’un de leurs domiciles quand ils en possèdent plusieurs. Ainsi les propriétaires de villas ne pourront plus venir passer leurs vacances à Arcachon et les Allemands disposeront d’une quantité de logements telle qu’ils ne les utiliseront pas tous, même à leur arrivée où ils seront très nombreux. Ils feront une sélection et ne prendront que les villas possédant le confort moderne. Mais nous serons très favorisés par rapport aux autres villes, car jamais ils ne logeront chez l’habitant.

 

BRUIT DE BOTTES

 

Dès les premiers jours de juillet, nos rues et avenues résonnent souvent d’un grand bruit de bottes, et les gros souliers des soldats de la Wermacht, en martelant notre macadam, font plus d’effet sur la population que les appels du général de Gaulle et que tous les raisonnements.

La réaction est automatique : « Le Boche, c’est l’ennemi ! »

On ne peut rien leur faire, car ils sont trop forts et trop nombreux, mais on se moque d’eux, on les regarde de travers et la haine s’installe dans les âmes paisibles. Beaucoup ne réfléchissent pas pour se demander quelles sont les chances réciproques de l’Angleterre et de l’Allemagne, la présence du Boche est intolérable, il faudra qu’il parte et il partira.

Ce réflexe tout simple des couches populaires d’une petite ville paisible où la vie est particulièrement douce, a dû être celui de toutes les villes de la zone occupée. Il explique aussi l’attitude fâcheuse de bien des villes de la zone non-occupée, qui, ne voyant pas l’ennemi chez eux, oubliaient qu’il régnait quand même sur les trois quarts de la France.

Le 10 juillet, l’Assemblée Nationale de Vichy, accorde à une grosse majorité, les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Tout le monde sait que la IIIe République est enterrée par ce geste et personne ne s’en émeut, car on rêve déjà d’autre chose que de ce régime de mesquines intrigues, de combinaisons et de basses manœuvres. Tous les parlementaires qui, à Bordeaux, ont accepté l’armistice par peur et qui ont montré qu’ils étaient indignes de diriger le peuple de France, tous ceux-là ont certainement voté « oui ».

Certains autres qui avaient bien accepté l’armistice en abandonnant la France et son Honneur, se sont soudain réveillés à Vichy pour essayer de défendre la République. Ce n’est point pourtant de politique intérieure qu’il s’agissait alors, il ne pouvait pas être question de République dans une nation livrée au nazisme, c’est la France seule qu’il fallait défendre.

Or, les quatre-vingts parlementaires qui ont voté « non » à Vichy, ce 10 juillet 1940, ont une tendance aujourd’hui à se prendre pour des héros. Cela se trouve sous leurs signatures à tous propos, on le verra peut-être sur leurs cartes de visite. C’est un peu excessif. On ne fait pas tant de tapage pour avoir accompli le plus élémentaire des devoirs dans des conditions qui présentaient pour la plupart des risques extrêmement réduits.

On disait autrefois « Noblesse oblige ». Il y a toujours des situations qui obligent et les parlementaires, avant de se glorifier et de se décorer eux-mêmes, feraient bien de penser qu’en ces années cruciales, ils avaient beaucoup plus de devoirs que leurs électeurs et que dans l’ensemble, ils ont été très au-dessous de leur tâche.

Malgré l’été et le charme du Bassin, le soir, je reste près de mon poste, tant qu’il y a de par le monde des émissions en Français. Il n’y en a pas encore beaucoup, cela s’augmentera bientôt avec les postes américains, Brazzaville, et les clandestins. Mais c’est surtout la B.B.C. qui, dans un effort énorme et une splendide réussite, va soutenir toute l’Europe occupée, et ses nombreuses émissions en français trouveront un auditoire immense, attentif, fidèle et enthousiaste.

Mais à ce moment-là, le général de Gaulle, seul, prend la parole à Londres. Nous l’écoutons avec ferveur et commentons le lendemain ses discours. Il dénonce les mensonges, fustige les traîtres et les lâches et remet le maréchal à sa place sans ménagements. Il nous défend, nous venge et nous montre sans hésitation la route du devoir qui deviendra bientôt celle de la grandeur.

Lorsque le gouvernement de Vichy supprime notre devise républicaine pour la remplacer par la trilogie Croix-de-Feu : « Travail, Patrie, Famille », immédiatement le speaker de Londres annonce : « Liberté, Égalité, Fraternité, voici le général de Gaulle ! ».

Nous ne nous étions pas inquiétés de ses opinions politiques, mais il nous est tout de même agréable de savoir qu’il est républicain. Et lorsque, quelques mois plus tard, on racontera qu’il est royaliste et veut restaurer la monarchie, il nous sera bien facile de dénoncer la manœuvre. Il est vrai que la manœuvre est double, et que dans les milieux de droite, on l’accusera d’être entouré de Juifs, de francs-maçons et vouloir ramener le Front Populaire.

 

LA SOUMISSION A L’ENNEMI

 

La presse collaborationniste commence à sévir. Toutes les libertés sont supprimées, une ligne de démarcation sépare la France en deux zones. Les concitoyens d’une même ville commencent à s’observer avec méfiance, la délation fait déjà parler d’elle. Il n’est pas encore question de gaullisme ; nous sommes les anglophiles et il y a les collaborateurs. Cette période nous réserve des surprises. Des hommes qui se présentaient avant la guerre comme de grands patriotes et affichaient une très forte germanophobie, tombent aux pieds du maréchal et s’aplatissent devant les Boches.

X…, qui avait protesté en 1935, parce que les « Blessés du Poumon » avaient reçu à Arcachon une quarantaine d’Anciens Combattants allemands, presque tous mutilés, et qui avaient trouvé scandaleux qu’un vin d’honneur leur soit offert par la municipalité, ce monsieur perd toute son arrogance devant la Wermacht victorieuse et annonce bruyamment que ceux qui escomptent la victoire de l’Angleterre sont des imbéciles.

Ce qui lui vaut un jour au Café Repetto, cette riposte de M. Louis Clion :

« Alors, permettez-moi de vous dire, Monsieur, qu’il y a en France, 90 % d’imbéciles, mais que pour moi les 10 % qui restent sont des traîtres ! »

Chose assez lamentable, ce sont les milieux cultivés ou riches qui ont perdu tout sens de l’honneur et tout sentiment de patriotisme. C’est ce que l’on pouvait considérer avant la guerre comme l’élite de notre population arcachonnaise, le corps médical, les industriels, certains entrepreneurs, qui vont donner l’exemple de la soumission à l’ennemi et même de leur admiration pour ce qu’ils appellent « l’organisation allemande » et cela par intérêt ou passion politique ! Il faut avoir vraiment bien peu de foi dans une doctrine politique pour ne pas envisager un autre moyen de vaincre ses adversaires, que de voir l’ennemi occuper son pays.

Il faut avoir été bien peu sincère dans un passé récent, lorsque l’on parlait de la France avec des trémolos dans la voix et que l’on semblait vouloir monopoliser notre drapeau national et « La Marseillaise ».

Et c’est l’incompréhension, le mépris et l’aversion du peuple qui ont conduit tant d’hommes au déshonneur.

 

CONFIANCE DANS LE PEUPLE

 

Pourtant la France n’est pas une bibliothèque, ni un musée, quoique les unes et les autres soient les gardiens de notre passé, comme toutes les nations, la France n’existe que par le peuple qui l’habite, c’est-à-dire par tous le Français. Prétendre aimer la France et détester le peuple est un inconcevable non-sens. Car ce sont justement les masses populaires qui donnent aux nations leurs physionomies propres, les classes cultivées perdent presque toujours les caractéristiques nationales que l’ouvrier et le paysan conservent.

Aimer la France, c’est aimer son peuple, c’est se sentir près de lui, posséder à la foi ses qualités essentielles et ses défauts.

L’acte de foi qui nous a dressés si nombreux en ce mois de juin à l’appel du général de Gaulle, ne signifie pas autre chose qu’un geste de confiance absolue, dans la compréhension, le bon sens et le courage du peuple français. Evidemment, il fallait que l’appel soit lancé, que des directives soient données, mais notons bien que c’est le peuple qui a répondu « présent ». Les hauts fonctionnaires soucieux de conserver leurs places, les officiers de l’armée ayant perdu le goût du risque, les officiers de marine noyés dans l’anglophobie, corrompus les uns et les autres par un politique réactionnaire et la lecture de « Gringoire », tous ceux-là se précipitèrent sous la houlette du maréchal, sans comprendre qu’ils allaient eux-mêmes au déshonneur, ce qui est après tout leur seule affaire, mais qu’ils signaient la démission de leur caste et de leur classe et que, par conséquent, ils remettaient eux-mêmes par leur carence dans les mains du peuple, tous les droits et tous les pouvoirs pour diriger la nation. La politique de Gribouille a été depuis quelques années celle des partis de droite.

C’est évidemment la plus forte surprise de ces premières semaines d’appendre que ceux que nous appelions les super-patriotes sont passés dans le camp de l’ennemi. Pour ceux qui en ont fait une question d’argent, les armateurs, les industriels et les autres, pour des gens qui jugent de tout en fonction de leurs coffres-forts, et de leur seul intérêt, nous ne pouvions pas être étonnés. Ne parlons pas des petits à la recherche d’un emploi qui magnifient l’occupant pour ramasser quelques miettes de ses festins, ni de certains militants politiques de gauche qui, par pacifisme, font l’apologie du régime hitlérien. Tout cela n’est que légère poussière.

 

L’ALLEMAGNE PERDRA LA GUERRE

 

Je trouve pour ma propagande assez peu d’opposition, incontestablement, la personnalité du maréchal Pétain impressionne beaucoup de gens, gommes et femmes. On peut affirmer sans crainte aujourd’hui, qu’il a fait a notre pays le plus grand mal. On refuse de croire à la défaite de l’Allemagne puisque le maréchal Pétain a accepté d’être vaincu. Je réponds qu’il a un âge qui ne permet plus de prendre ses jugements au sérieux et que son ambition tourne à la mégalomanie sénile ; à ses propos, j’oppose ceux de de gaulle et j’annonce que si au mois d’octobre, l’Angleterre n’est pas occupée et vaincue, alors il sera certain que l’Allemagne perdra la guerre. Mes interlocuteurs presque toujours me répondent qu’ils le souhaitent, mais n’osent y croire.

Les Boches circulent partout, envahissent nos boutiques et achètent tout ce qui est à vendre dans tous les domaines.

C’est le pillage correct et méthodiquement organisé. Il s’empiffrent dans les pâtisseries d’une manière dégoûtante et mangent des fruits, surtout des pêches, à s’en rendre malades.

« Si seulement il pouvait en crever ! » murmure-t-on quand on en voit un particulièrement vorace.

On se moque d’eux pour se distraire et se venger et c’est vraiment facile. Certains mordent à pleines dents dans des bananes sans enlever la peau, se montrant inférieurs aux singes ; d’autres dans des hôtels boivent de l’Izarra ou de la Bénédictine avec le rôti et après le repas dégustent du Saint-Émilion. Comme sauvages et gens affamés, il n’est pas possible de voir mieux.

Cependant ces premières troupes qui nous occupent sont bien, on semble les avoir choisies pour nous influencer favorablement, et cela réussit auprès de certains.

La nuit, le plus sévère black-out nous est imposé, mais c’est pour le seul plaisir de nous ennuyer, car tous les grands hôtels occupés par eux sont éclairés en grand, volets et fenêtres ouverts. Ils ne redoutent pas encore la RAF. Leurs exercices militaires consistent à préparer leur débarquement en Angleterre. Ils arrivent en canot sur le bord des plages, sautent dans l’eau et se précipitent à l’assaut des dunes ou des parapets. C’est sans difficultés, comme sans péril, on les regarde avec amusement et scepticisme.

 

MES AMIS REVIENNENT

 

Certains de mes amis sont absents parce que mobilisés.

La débâcle de l’armée française, l’occupation allemande, le désordre général et l’impossibilité pour les prisonniers d’écrire avant d’être arrivés en Allemagne, ont plongé, par l’absence de nouvelles, bien des familles dans l’angoisse.

Et puis, peu à peu, les démobilisés reviennent et les prisonniers écrivent. Personne heureusement, ne suppose alors que la plupart d’entre eux vont passer cinq années derrière les barbelés.

Je ne doute pas des réactions de mes amis, et j’ai le plaisir en revoyant d’abord Jean Brunet que la guerre a sorti du séminaire et qui va y revenir et ensuite Robert Duchez, officier de réserve, instituteur à Arcachon, que je ne me suis pas trompée. L’un comme l’autre reprennent la vie civile pleins d’enthousiasme pour de Gaulle, de mépris pour les hommes de Vichy. Mon voisin, Charles Viot, qui a été pendant la guerre volontaire dans les corps francs, puis prisonnier pendant douze jours et a réussi à s’évader, revient dans les mêmes sentiments, plus une haine particulièrement farouche des Boches qui l’obligera à quitter provisoirement son métier et Arcachon.

Les bombardements de Londres vont, pendant six mois, retenir l’attention du monde. Le mois d’octobre passe, je triomphe en déclarant que l’Allemagne n’est pas envahie et ne le sera certainement pas. Un grand courant d’admiration et de sympathie naît à ce moment-là à Arcachon et certainement dans la France entière à l’égard des Anglais et de leur magnifique sang-froid dans l’épreuve.

Le 21 octobre, Churchill fait un discours en français qui laissera un souvenir ineffaçable dans la mémoire de tous ceux qui l’ont entendu. La phrase de ce discours qui nous frappe le plus, surtout par la façon dont elle est prononcée, est celle-ci :

« Nous ne nous lasserons jamais, nous ne nous arrêterons jamais, et jamais, nous ne cèderons. »

Le Lion britannique a serré ses mâchoires, il ne les ouvrira plus qu’à la victoire !

L’émission française de Londres a conseillé aux Français de ses grouper de façon à combattre la propagande de l’ennemi et de ses laquais et de se préparer pour aider un jour à libérer la France. Je cherche un chef pour unir les bonnes volontés que je connais déjà, mais je ne trouve pas. Jean Brunet est revenu au séminaire, mais Robert Duchez vient me voir régulièrement ; nous étudions la situation ; il me dit un jour brusquement :

– Il faut faire quelque chose.

– Certainement, mais quoi ?

Car j’ai toujours beaucoup de bonne volonté, mais peu d’imagination.

Il s’explique :

– On peu très bien faire des tracts que l’on collerait sur les murs et sur les panneaux d’affichages. Cela ferait plaisir à tous ceux qui pensent comme nous et qui sont les plus nombreux ici et cela embêtera les Boches. Mais il faudra pouvoir les polycopier et aussi faire attention au papier que l’on emploiera.

 

ET AFFICHES

 

Je donne mon accord avec enthousiasme. C’est enfin, si petite soit-elle, une action à accomplir. Nous sommes au mois de novembre, les jours sont courts, le couvre-feu est à 23 heures, on peut facilement faire ce petit travail. Je trouve de suite la pâte à polycopier et du papier format commercial chez mes voisins, M. et Mme Maurice G., que je mets dans le complot. Ils me font cadeau, pour la cause, de ce qui leur reste de pâte et me soldent un paquet de papier entamé unique en son genre. Ainsi en cas de perquisition, ils ne risquent rien.

Robert emporte le tout chez lui et le surlendemain, les tracts sont chez moi. Il y en a quatre-vingts et trois textes différents :

« Courage, Patience, Confiance. Vive de Gaulle ! »

« Si vous voulez visiter l’Italie, engagez-vous dans l’armée grecque ! »

Je ne me souviens plus du troisième. Le soir, je pars en expédition nocturne par la ville d’hiver jusqu’à la grille Pereire et de là jusqu’à Saint-Ferdinand. Le métier est sans risques, car les Boches ne se méfient pas et ceux qui circulent s’entendent de très loin grâce à leurs gros souliers. Je pose paisiblement tous les tracts, sauf un, car ma colle s’est épuisée.

Le lendemain matin, il seront vus dans tous les quartiers, mais pas très longtemps, car naturellement les Allemands les feront enlever et commenceront à se méfier.

Quelques jours après, des affiches anti-anglaises et anti-gaullistes sont posées par les Boches. Ce sont des colombiers et des doubles colombiers. Ceci nous dérange et nous déplaît. Nous décidons à quelques-uns de les arracher ou de les lacérer. J’en enlève dix-sept pour ma part en plein centre, j’assainis mon propre horizon, mais ce petit travail est plus difficile que le collage des tracts.

Furieux, le lendemain matin, les Boches s’en prennent au commissaire de police qui n’en peut mais… évidemment.

 

DIX MILLE CROIX DE LORRAINE DANS LES RUES D’ARCACHON

 

Au début de décembre, un de mes amis, Hongrois marié à Arcachon, Ladislas Deutsch, me parle de la manière dont les nazis faisaient leur propagande avant d’être au pouvoir. Il me raconte qu’un jour à Vienne, marchant sur une grande avenue, il fut dépassé par une auto à laquelle il ne prit pas garde. Mais à quelques mètres de là, les occupants de la voiture lancèrent par la portière des poignées de petits papiers qui tourbillonnèrent dans le vent et se posèrent partout. C’étaient de petites croix gammées.

Cette histoire m’intéresse beaucoup et me donne l’idée de faire pareil avec des croix de Lorraine. Comme propagande dans des conditions normales, je trouve çà complètement idiot, quand on a la liberté de s’exprimer, on doit trouver des arguments un peu plus convaincants. Mais pour nous qui ne pouvons ni parler ni écrire, ces petites croix de Lorraine diront avec beaucoup d’éloquence notre révolte et notre espérance.

Je communique mon projet à Robert qui l’approuve et, ensemble, nous cherchons des concours et les avons vite. La matière première est facile à trouver, des vieux journaux, des papiers d’emballage, n’importe quoi.

Le soir, dans plusieurs maisons d’Arcachon, on travaille avec ardeur à découper des croix de Lorraine. Nous avons dit qu’il en fallait au moins dix mille, mais naturellement nous ne les compterons pas.

Au moment de Noël, voulant savoir si les Français l’écoutent et le suivent, le général de Gaulle leur demande de rester chez eux une heure dans l’après-midi du premier janvier, de 15 heures à 16 heures dans la zone occupée et de 14 heures à 15 heures dans la zone non occupée, puisque nous avons cette année-là deux heures différentes. Nous décidons de répandre nos croix dans la nuit du 31 décembre et accélérons notre travail, en nous meurtrissant les mains avec les ciseaux, car selon le papier, il faut pour aller vite, les couper par cinq, huit ou dix.

Nous cherchons la petite équipe qui se chargera d’en inonder les principales rues et avenues d’Arcachon en donnant à chacun son secteur. Nous sommes quatre pour cette petite expédition, André Réau, postier, Jean Brunet, en vacances pour quelques jours, André Lesclaux, ancien pacifiste intégral débordant d’ardeur combative, et moi-même.

Nos croix de Lorraine qui mesurent en moyenne dix centimètres de long, sont entassées dans de grands sacs à provisions, chacun emporte le sien et, vers 9 heures du soir, nous répandons consciencieusement son contenu. Il tombe une petite pluie fine qui nous sert, en collant les croix au sol, ce qui compliquera le lendemain le travail des équipes de balayeurs, mobilisés de toute urgence.

L’effet obtenu a été très grand et c’est évidemment parmi les petites manifestations que nous avons tentées, dans cette période incertaine, celle qui a le mieux réussi et qui a eu le plus de succès.

Nous sommes toujours récompensés de nos efforts en constatant le plaisir que nous causons à presque toute la population. On nous en parle les jours suivants, sans penser du reste que nous y sommes pour quelque chose, avec des visages rayonnants, car cela embête les Boches, contrecarre leur propagande et annonce qu’une équipe est déjà formée contre eux.

De 15 à 16 heures, le premier janvier, on observe derrière les fenêtres ceux qui circulent en dépit des consignes. Ils sont un nombre infime et déjà repérés par leurs propos collaborationnistes. Je me trouve à Bordeaux ce jour-là, chez des amis, et je vois passer les trams de la ligne la plus active. Pendant une heure, ils rouleront vides, les receveuses assises.

Personne non plus sur les trottoirs, la grande ville est déserte. Dès 16 h 15, la circulation redevient normale et on s’écrase dans les tramways. Cette épreuve nous remplit de joie, nous constatons que toute la France est gaulliste, nous n’aurions pas osé l’espérer.

Nous faisons de nouveaux tracts et les poserons à plusieurs endroits.

Nous avons différents textes, entre autres :

Après le sombre orage,

Vient le soleil d’été,

Après notre esclavage,

Viendra la liberté

(« Les Saltimbanques »)

« La France est provisoirement vaincue, mais c’est l’Allemagne qui perdra la guerre. »

« Ceci : (une croix de Lorraine) tuera cela : (une croix gammée).

Mais le sport devient moins facile et un de nos camarades, André Lesclaux, tombe, en collant un tract sur un mur de la Règue-Blanque, sur des soldats allemands qui le prennent dans le faisceau d’une forte lampe électrique. Moniteur sportif, très leste, il peut dévaler le talus, attraper la voie ferrée et remonter de l’autre côté. Les Boches l’ont perdu mais ils ont repéré les tracts, et tous ceux que nous posons ce soir-là, sont enlevés dans la nuit.

Notre exemple est suivi, car des tracts et des papillons humoristiques sont posés en plusieurs endroits et comme toujours très vite arrachés. Mais on a eu le temps de lire :

« La Grèce bout, le macaroni file, les Fritz sont cuits. »

« Pour chasser le vert-de-gris, utiliser le brillant de Gaulle. »

Nous sommes ravis de cette loyale concurrence, mais, malgré nos efforts, nous ne trouverons pas les auteurs qui naturellement nous ignorent aussi. C’est le grand ennui de la clandestinité de penser souvent à toutes les bonnes volonté que l’on ne peut atteindre, parce qu’on les ignore.

 

CÂBLES TÉLÉPHONIQUES COUPÉS

 

Les Boches se mettent soudain en fureur en prétendant qu’un câble téléphonique a été coupé au Pyla. En conséquence, ils ordonnent que les câbles de Pyla soient gardés par une vingtaine d’hommes pendant un certain temps. C’est sous le signe de la bonne humeur que cette sanction est acceptée et exécutée. Ainsi, les hommes qui n’ont pas l’occasion de se voir souvent, vont prendre contact, causer, et nous connaîtrons des amis que nous ne soupçonnions pas. Le camion qui emporte la garde, part d’abord et revient place de la Mairie, mais pas longtemps, car l’embarquement ayant lieu avec des éclats de rire et des propos bruyants selon l’habitude arcachonnaise, et le départ, au chant de « La Madelon » ou autres chansons militaires, les Boches ahuris devant un pareil comportement, font partir le camion d’un coin plus discret et recommencent plus à nous offrir ce genre de distraction. Nous connaîtrons beaucoup plus tard la garde des voies ferrées pour éviter le sabotage, mais ceci sera plus sérieux.

Un jour de cette période-là, je déjeune vers une heure, lorsque je vois arriver précipitamment Robert Duchez qui sort de son pantalon un paquet de tracts, le pose sur ma table et me dit :

– Cachez-les vite !

Puis il m’explique que partant à 6 heures pour cette fameuse garde, il en a profité pour sortir plus tôt afin de coller des tracts. Ne les ayant pas tous utilisés et voulant les conserver parce qu’ils sont longs et difficiles à fabriquer, il a mis sans méfiance le reste dans sa poche. Mais les tracts découverts tout frais posés ont fait penser, sans effort excessif d’imagination, que le délinquant appartenait à l’équipe de garde. Aussi, au retour, tous les hommes sont conduits au commissariat de police pour être fouillés. Comme ils passent un par un, Robert a le temps de faire glisser ses papiers de la poche de son veston dans la ceinture de son pantalon. Le policier qui le fouille ne regarde que les poches et la musette, et ainsi ne trouve rien. C’est une chance toute particulière, car cet agent est justement, le plus mauvais de notre police locale qui nous est en grosse majorité acquise.

Je fais passer les tracts derrière une glace et j’invite Robert à déjeuner, non sans lui reprocher son imprudence. Mais il craint que ses parents s’inquiètent et il part délesté de tout colis encombrant. Je suis parfaitement tranquille et crois l’incident clos, lorsque M. Peyrondet, employé de la mairie, vient m’avertir que Robert est à la Police, que l’on doit perquisitionner chez lui, et qu’il me prie d’aller chercher une lettre qui est restée dans le sac de sa bicyclette. Je ferme mon magasin et me précipite vers la villa de la famille Duchez dont un bon kilomètre me sépare. Mais je sais que la lettre dont il s’agit est destinée à la BBC, et doit gagner Londres par le Portugal. Je l’ai vue la veille, c’est une longue lettre dactylographiée qui donne à nos amis de la radio anglaise des renseignements sur Arcachon. Ce document est beaucoup plus dangereux que les tracts, pour son auteur.

Je trouve Mme Duchez toute seule, elle n’a pas vu son fils qui a été arrêté sur le trajet en sortant de chez moi, et des policiers qui sont venus le demander, on emmené M. Duchez son mari. Je cherche et trouve vite la lettre et nous la brûlons dans la cuisinière, car je ne suis pas sûre de rentrer chez moi. Je pars très vite pour me préparer à une perquisition possible et en arrivant, je brûle sans hésitation les tracts et la pâte à polycopier. Nous ne pourrons plus faire de tracts, mais cela vaudra mieux, car le jeu serait maintenant trop dangereux.

Peyrondet, de la mairie, revient voir si j’ai bien accompli ma mission. Je lui dis que oui et que Robert n’a plus rien à craindre. Il n’y a trace de rien ni chez lui ni chez moi, et je le remercie chaleureusement du service qu’il nous rend, car il vient de risquer sa place et peut-être plus. Je saurai quelques heures plus tard, qu’un conseiller municipal avait été sollicité pour me faire cette commission. Celui-là n’aurait rien risqué, mais il jugea prudent de s’abstenir.

Le grand avantage de cette époque a été d’arracher les masques et de montrer les hommes Dans la vérité de leurs caractères. Les matamores se sont vite dégonflés, des messieurs important se sont effondrés dans des trous de souris et des gens très simples, hommes ou femmes, se sont révélés.

Ce n’est qu’à huit heures du soir que Robert vient me dire qu’il est libre puisque la perquisition à son domicile n’a rien donné, naturellement.

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Aimé

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