Chronique n° 067 – Des pêcheurs sans chapelle

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Paradoxe pour Arcachon désormais, et pour l’instant, voué aux loisirs frivoles : les gens d’église ont joué un grand rôle dans son histoire. Évidemment, il y a le franciscain Thomas Illyricus qui, dans son exil, lui a donné son onction spirituelle, quand elle n’est encore qu’une farouche forêt où, dit-il, « il dispute un coin de sable aux bêtes sauvages ». L’oratoire, construit autour de la statue de la vierge qu’il a découverte en 1520, a fait d’Arcachon le centre religieux du Bassin.

Mais trois siècles ont passé quand nous retrouvons deux religieux au milieu de la querelle politique qui oppose Deganne à Lamarque de Plaisance. Le premier, dans l’ordre de la hiérarchie, c’est le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux. Il a toujours manifesté une plasticité très aquitaine, en étant, successivement, fidèle à la Monarchie de Juillet, à l’Empire, il en est sénateur, à la Monarchie de Juillet et en se ralliant opportunément à la République. Ce qui explique qu’il a su s’adapter habilement à la bagarre qui a marqué la naissance officielle d’Arcachon.

Le cardinal Donnet est aussi un bâtisseur. En édifiant plus de cinquante églises, il fait souvent disparaître de vieux édifices romans, notamment sur le Bassin. Il y profite de l’enrichissement des communes dus au développement de la forêt et de l’ostréiculture, pour élever des églises néogothiques qui se ressemblent toutes. Pour la bonne raison que le cardinal aime ce style jugé politiquement correct et qu’il est appliqué par des équipes d’architectes dépendant directement de l’archevêché. Résultat : pour agrandir l’église Notre-Dame, on ampute d’un tiers l’antique chapelle arcachonnaise.

Les pêcheurs gujanais, soutenus par des journaux bordelais pétitionnent. Ribadieu, cité par Jacque Ragot, écrit dans “ La Guienne ” « La petite chapelle est le seul monument qui rattache la ville nouvelle au passé et tout cela va disparaître ». Marchandeau, dans “ L’Indicateur ”, ajoute : « Les marins demandent à continuer de prier, là où leurs pères ont prié avant eux ». Mais, le 24 mars 1855, veille de la fête religieuse d’Arcachon, se basant sur « le rapport d’un prélat aussi dévoué aux intérêts de ses diocésains » – on devine de qui il s’agit – le préfet répond : « il n’y pas lieu d’avoir égard à la pétition des marins de Gujan ». Et le cardinal Donnet d’estimer : « les cérémonies augustes seront célébrées dans un temple en harmonie avec la majesté du culte catholique. Avec quelle émotion nos braves marins s’y rendront pour y prier ! » André Rebsomen évoque alors le spectacle chatoyant que donne Notre Dame d’Arcachon : « Ce sont les Tuileries et leurs réceptions célèbres transposées dans notre église ». Résultat, écrit Jacques Ragot : « Les pêcheurs n’osent plus traverser cette église salon et l’authentique pèlerinage est mort « .

Mais le cardinal Donnet lui a trouvé un substitut beaucoup plus chic et beaucoup plus en accord avec l’idée ostentatoire que l’Église se fait de ses cérémonies à l’époque : la procession nautique. La première a lieu le 8 août 1854. « Mille nacelles se balancent au fond de l’allée de la Chapelle. Son Éminence et sa suite ont pris place sur une chaloupe surmontée d’un dais de velours cramoisi », raconte l’abbé Mouls. Et, à peine tiré le coup de canon qui donne le départ de l’armada, la foule voit naviguer les huit batelières en corset bleu, en robe et en cornettes blanches qui rament sur une barque portant la statue de la vierge. Quatre mousses en grande tenue élèvent sur un brancard un navire aux voiles déployées. Trois chaloupes contiennent des chanteurs et les musiciens du régiment en garnison à Bordeaux. L’archevêque bénit le Bassin et la ville naissante, certainement ravi, écrit l’abbé Pougeois, « d’avoir trouvé ce moyen ingénieux de raviver au sein de la population la foi catholique ». Le cardinal Donnet a eu encore bien des idées pour valoriser Arcachon. C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca          

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