Chronique n° 085 – Le temps des palaces

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« Pour répondre aux besoins d’un nombre considérable de baigneurs, nous avons entrepris la construction d’un immeuble important sur la plage ». Ainsi parle Émile Pereire, en 1864, devant le conseil d’administration de la Compagnie du Midi. Ce faisant, il veut hisser Arcachon dans la catégorie des grandes stations aristocratiques. Pour cela, compte tenu de l’évolution des mœurs  touristiques, il estime que la ville d’été doit suivre le développement de la ville d’hiver. Les Pereire lancent donc la construction d’un palace dans cette ville d’été. C’est le Grand Hôtel que nous connaissons encore aujourd’hui. Il se situe juste dans l’axe du casino d’hiver, grâce à la rue dite alors du Casino, et le complète parfaitement. La rue, aujourd’hui Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, devient très vite le centre d’une activité commerciale variée, qu’elle a d’ailleurs conservée, en reliant les deux villes.

Les travaux du Grand Hôtel, sur des plans de l’inamovible Régnauld, tout à fait dans le style du Grand Hôtel de Paris, sont adjugés en 1864 à l’entrepreneur-architecte Eugène Ormières, pour la somme d’environ 400 000 francs. C’est beaucoup, quand on se souvient que la compagnie prévoyait d’investir seulement 300 000 francs dans la mise en valeur de la ville d’hiver, casino y compris. Il est vrai qu’on n’a pas lésiné sur la dépense.

Visitons les lieux, avec Éliane Keller : dans le parc, gardé par des grilles et bordé de fiacres, on voit un kiosque à musique, celui qui est actuellement place Fleming. Par un large escalier situé sur la façade sud et aujourd’hui hélas détruit, on pénètre dans la colonnade du grand hall d’entrée. Une armée de grooms ouvre  des portes vers un salon de deux cent cinquante mètres-carrés, ou vers d’autres salons pour causer, pour jouer au  billard, pour lire ou pour fumer. En face, on entre, en marchant sur d’épais tapis quadrillés, dans la salle à manger de cent cinquante couverts. Elle est à deux niveaux, décorée de colonnes et d’imposants lustres en cristal. Elle s’ouvre par de hautes baies sur le Bassin à ses pieds et donne sur des terrasses d’où l’on suit les régates. « Une galerie couverte permet la promenade  et une halte chez le café  glacier, le tout  sans quitter ses pantoufles », écrit le “Courrier d’Arcachon”. Un service d’hydrothérapie propose bains de mer chauds ou froids et même des douches. Un ascenseur grimpe les trois étages, desservant cent chambres, toutes dotées de cabinets de toilette. C’est le luxe.  Avec ce Grand hôtel, mis en service en 1866, s’ouvre à Arcachon le temps des palaces.

Du rêve cossu aux réalités, voyons quel bilan la Compagnie du Midi tire de son aventure arcachonnaise ? Dès 1865, Pereire revend des terrains et des villas avec, dit-il benoîtement, « bénéfice ».  Il déclare même temps à son conseil d’administration : « l’affluence des malades pendant l’hiver et des baigneurs pendant l’été, assure une majoration de plus en plus élevée et les locations de nos villas défraient largement les intérêts de leur construction ». Quant à la fréquentation de la ligne de chemin de fer, elle passe de cent trente-six mille voyageurs en 1862, à deux cent huit mille, en 1864, les recettes s’étant accrue de 75 % en quatre ans.

En même temps, la Compagnie veut asseoir son influence sur Arcachon. Le 21 août 1864, elle lance “Le Courrier d’ Arcachon”, un hebdomadaire permanent, arme efficace pour les  élections de 1865. Au même moment, l’abbé Mouls retourne sa soutane : il abandonne Lamarque de Plaisance, lui reprochant de ne pas être assez actif dans sa cité, en somme de s’opposer à Deganne, donc au  groupe Pereire. Revanche : le “Journal d’Arcachon”, qui reste celui de Lamarque,  se met alors à critiquer la Compagnie. Car finalement, a éclaté la guerre entre deux conceptions de la cité. L’une défend les propriétaires traditionnels, cette riche bourgeoisie bordelaise et locale qui a fait Arcachon depuis cinquante ans, installée tout au long d’une ville linéaire,  l’autre, celle des Deganne-Pereire qui a une conception plus hausmanienne de l’organisation de la ville. Ce qui se marque évidemment dans tout le lotissement  Deganne, fort différent de ce que l’on voit autour de la mairie. Finalement, les élections de septembre 1865 élisent maire le vicomte Héricart de Thury. Mais il a pour second Charles Rhôné, le propre gendre d’Emile Pereire. En 1866, ce même Pereire exulte : « En quatre ans, nos recettes ont augmenté de 138 % ». Pourtant l’avenir n’est pas aussi brillant que la comptabilité semble le montrer. C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

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