1566 – Guillaume Le Testu, Mappemonde en deux hémisphères – Gascongne

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Le Havre, sur les bords du bassin du commerce : le « quai Guillaume Le Testu. Explorateur » : cette plaque de rue est la seule trace du navigateur dans sa ville. Ni maison natale, ni pierre tombale, pas même un portrait ! Guillaume Le Testu, né vers 1510 au Havre et mort au Panama le 31 mars 1573, est un explorateur et cartographe. Trois générations de Le Testu se sont succédées au Havre entre 1550 et 1640 “comme pilotes et capitaines toujours présents sur les routes atlantiques, celles de l’or de Mina et de l’argent espagnol”. Guillaume Le Testu, qui collabore à l’école de cartographie de Dieppe puis associé aux entreprises de Villegagnon au Brésil et de Francis Drake au Mexique, a eu un fils Girard tué aux Açores lors d’une expédition contre les Espagnols et un petit fils, le dernier de la lignée, appelé également Girard comme son père. C’est probablement celui-ci qui fut compagnon de Champlain au Canada et qui a déjoué un complot contre le fondateur de Québec.

Guillaume Le Testu est navigateur – pilote hauturier, cosmographe cartographe, intrépide corsaire n’hésitant pas à l’occasion à flirter avec la piraterie en détroussant les galions espagnols afin de remplir les coffres de Jean Ango.

Le Testu signale le danger devant le havre d’Arcachon

Guillaume Le Testu, méritait selon Humboldt, célèbre naturaliste et voyageur allemand, une place de premier plan parmi les gloires maritimes de la France – et, à ce titre, explore les côtes du Brésil – il aurait accompagné en 1550 le moine cordelier André Thevet, originaire d’Angoulême, soit 33 ans après la fondation officielle du Havre à partir de la Grande Crique correspondant à l’actuel avant-port où il serait né dans la première décennie du XVIe siècle. 

Une première expédition coloniale française est initiée par l’amiral de Coligny : Guillaume Le Testu conduit au Brésil, dans la Baie de Ganabara, l’expédition huguenote de Villegagnon partie du Havre le 12 juillet 1555 et de Dieppe le 14 août suivant, pour aller fonder l’éphémère France Antarctique. Trois mois après l’installation, Villegagnon rédige un rapport à Coligny lui demandant des renforts. Le Testu est de retour au Havre début avril 1556 avec le rapport. Thevet aurait ramené une herbe appelée petun au Brésil où on la dit “fort salubre pour faire consumer les humeurs du cerveau”. Avec l’appui de Catherine de Médicis, un certain Nicot répand son usage qui n’est autre que le tabac. Guillaume Le Testu reconnait la Baie de Ganabara où s’érigera plus tard Rio de Janeiro et longe la côte brésilienne jusqu’au 26e parallèle sud à São-Francisco-do-Sul surnommé alors Porto Novo dos Franceses. Cependant c’est au Nord, près du Cap Saint Augustin, aujourd’hui Cap Branco, que les Havrais établissent un comptoir au nez et à la barbe des Portugais ; ces derniers tentent de les déloger ce qui explique la présence de nos corsaires sur ces côtes. Comme l’attestent les panneaux de bois sculptés conservés au Musée Départemental des Antiquités à Rouen, les Normands vont au Brésil chercher le bois de teinture pour les drapiers de Rouen car le bois du Brésil est connu pour fournir un extrait d’un beau rouge écarlate. Les panneaux montrent les diverses opérations : l’abattage des arbres, leur écorçage, le transport au point d’embarquement sur la côte, le transbordement à bord d’une embarcation puis le chargement sur le navire mouillé près du rivage.

C’est pendant ces voyages que Guillaume Le Testu rédige son fameux portulan, atlas de 56 cartes : Cosmographie Universelle selon les navigateurs, tant anciens que modernes, dédié à l’amiral Gaspard de Coligny,

Il désigne la “Gascongne”

recueil de cartes et d’explications manuscrites considéré par les spécialistes comme un chef d’œuvre de la cartographie du XVIe siècle. La Cosmographie Universelle comprend 56 cartes : des cartes du monde dans sa totalité, tel qu’il pouvait se le figurer à son époque, selon diverses projections, et de nombreuses cartes de parties du monde, plus détaillées. Dans les cartes complètes, remarquez la forme du continent américain, pas encore connu entièrement. Et cette grande bande de terre dans l’hémisphère sud, nommée « Terres australes », qui semble relier l’Antarctique et l’Australie actuelle en ajoutant quantité de terres entre les deux. Guillaume Le Testu semblait fasciné par ces Terres Australes, au point que sa Cosmographie universelle comprend 12 cartes détaillées de cette contrée imaginaire, peuplée d’un bestiaire fabuleux qui n’est pas sans faire penser à des créatures sorties des voyages de Marco Polo… À priori, si Le Testu a tant représenté ces terres inconnues, c’est qu’il veut susciter auprès de l’amiral de Coligny d’être son sponsor afin de financer un autre voyage d’exploration. On voit combien est glissant le terrain qui mène de la connaissance à la propagande, ou plutôt à l’influence – on dirait aujourd’hui lobbying : il ne s’agit en effet pas d’un document imprimé destiné à être rendu public, mais d’un manuscrit original destiné à une personne privée, au pouvoir important. Quant à savoir si l’on croyait vraiment aux créatures hybrides et fantastiques qui pouvaient peupler ces terres inconnues, ne peut-on se poser la même question aujourd’hui à propos des créatures extra-terrestres que l’on imagine ?

Flatté, l’amiral accorde les renforts demandés et, le 19 novembre 1556, trois navires partent d’Honfleur à destination de Fort Coligny. Le pasteur huguenot Jean de Léry est du voyage. Dans sa relation Histoire d’un voyage fait en la Terre du Brésil, autrement dite Amérique, en 1557, curieusement il ne cite pas Le Testu mais évoque largement ses différents avec Thevet qu’il accuse d’imposture. Les principales causes d’échecs des premières implantations françaises au Nouveau Monde sont les querelles religieuses dont les écrits polémiques et partisans du franciscain André Thevet et du calviniste Jean de Léry sont le reflet.

Après la tentative avortée de Villegagnon au Brésil, Guillaume Le Testu est de retour en France à la fin de 1559. Il repart pour l’Afrique et l’Amérique du Nord sans que l’on sache s’il s’agit d’un voyage triangulaire de trafic d’esclaves qui commence déjà à se pratiquer. Les observations qu’il fait pendant ces navigations, les renseignements qu’il obtient des autres navigateurs l’amènent, en 1566, à redessiner un planisphère qui marque de notables progrès sur son portulan de 1556, notamment concernant le continent austral à propos duquel il rejette bien des légendes antérieures.

Finalement, Le Testu n’ira jamais explorer les Terres Australes, pas plus que l’amiral de Coligny n’engage d’expédition de ce côté-là. Après l’échec de la France antarctique (nom donné à la colonie du Brésil), c’est en Floride que Coligny réitère une nouvelle tentative, plus spécifiquement constituée de protestants calvinistes, avant que les guerres de Religion ne finissent par sceller pour un bon moment ces projets de conquête français. Le Testu arme en course et court sus aux Espagnols, mais il est capturé en mer et emprisonné à Middelburg en Flandres. Un Florentin établi en France, comme Verrazano, Philippe Strozzi plaide sa cause auprès de Catherine de Médicis. En juin 1571, Charles IX écrit à son cousin Philippe II, roi d’Espagne, pour demander sa libération comme le montre un rapport du secrétaire du duc d’Albe en date du 30 janvier 1572. La France se déchire – l’amiral de Coligny est le premier chef protestant tué lors du massacre de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572 – laissant le champ libre aux convoitises anglaises et bientôt hollandaises face aux empires coloniaux espagnol et portugais. Le Testu, protestant lui aussi, trouve refuge du côté des Anglais comme bien d’autres huguenots, et devient capitaine d’un navire corsaire de 80 tonneaux. En 1573, il est dans la région de l’isthme de Panama et se lie avec Francis Drake ; il accepte de lui servir de pilote hauturier et lui révèle qu’il doit exister un passage en mer libre entre les Océans Atlantique et Pacifique au sud de la Patagonie. Les deux grands corsaires scellent à leur manière une provisoire entente cordiale contre l’ennemi commun, le conquistador ibérique. Plus jeune d’une trentaine d’années, Drake écoute et suit les instructions de son aîné. Ce dernier le persuade qu’il n’y a pas de passage au nord-ouest, que la Terre Australe, qu’il a dessinée sur son portulan de 1556 et encore 10 ans plus tard sur son planisphère, n’est pas la terre située au sud du détroit découvert par Magellan difficilement praticable par des voiliers mais qu’il doit y avoir plus bas un passage en mer libre pour atteindre l’Océan Pacifique ou Mer du Sud.

Sur le planisphère de 1566 de Guillaume Le Testu, l’Amérique du Sud est plus proche de la réalité que sur la mappemonde de Mercator ; les continents sont représentés en vert, les vents du secteur nord sont incarnés par des barbus bruns hirsutes tandis que les vents du secteur sud le sont par des enfants blonds. Ainsi 42 ans avant les Hollandais Schouten et Lemaire premiers navigateurs européens reconnus avoir franchi le Cap Horn, Guillaume Le Testu entrevoit un bras de communication entre la pointe extrême du continent américain et l’Antarctique ; évoqué pour la première fois par Le Testu, il recevra le nom de Passage de Drake. Le Havrais n’a pas le temps d’aller vérifier lui-même sa théorie : il est blessé et fait prisonnier par les Espagnols qui l’achèvent en Nouvelle Espagne (Mexique) le 31 mars 1573 dans une opération menée conjointement avec Drake pour détrousser un convoi de mulets chargés d’or du Pérou que les Espagnols transportent par voie terrestre depuis Panama et embarquent sur leurs galions mouillés à Nombre-de-Dios. Plus chanceux, Drake parvient à échapper aux conquistadores après leur avoir volé une bonne quantité d’or qui lui permet de poursuivre ses exploits au nom de la Reine d’Angleterre Élisabeth Ire avant d’entreprendre son grand périple autour du Monde, le premier effectué par un navigateur anglais. Après avoir franchi le détroit de Magellan à bord de la Biche d’Or, suite de bien des difficultés, en août 1578, soit en plein hiver austral, une violente tempête le fait dériver au-delà du 55e parallèle sud (à mi-chemin du 50e hurlant et du 60e sifflant). Ne rencontrant pas de terre, Drake se rend compte alors que Le Testu avait raison, que la mer est libre et qu’il doit exister un passage entre les deux océans. Il ne cherche pas à faire route à l’est car son but est d’aller piller les colonies espagnoles du Chili et du Pérou. Si en l’état actuel des connaissances les Hollandais Schouten à bord de l’Eendracht et Lemaire sont reconnus unanimement comme étant les premiers navigateurs européens à avoir franchi le Cap Horn, son véritable découvreur est bien Francis Drake grâce aux connaissances cosmographiques de Guillaume Le Testu.

Si Le Testu n’est pas très honoré en sa patrie, mis à part le bout de quai du bassin du Commerce, en Grande Bretagne, il est immortalisé dans un opéra composé par Laurent Davenant « The History of sir Francis Drake » montrant un Drake à la barbe rousse s’associant avec un capitaine Français nommé Têtu enlevant avec lui par embuscade le chargement en or d’un convoi de mulets espagnols. Dans ce même opéra on y voit Drake à l’ouest de l’Isthme de Panama, monté au sommet d’un grand arbre, découvrant l’Océan Pacifique et faisant le vœu d’offrir cette Mer du sud à la Reine d’Angleterre…

Mappemonde en deux hémisphères : Ceste Carte Fut pourtraicte en toute perfection Tant de Latitude que / Longitude Par moy Guillaume Le Testu [1509 -1572 Cartographe] Pillotte Royal Natif de / La ville Françoise de grace… et fut achevé le 23e jour de May 1566

http://www.le-havre-grands-navigateurs-claudebriot.fr/410994456

http://www.jeandytar.com/notes-sur-florida/les-cartes/

https://gallica.bnf.fr/services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&startRecord=75&maximumRecords=15&page=6&query=%28gallica%20all%20%221509%22%29%20and%20dc.type%20all%20%22carte%22

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