Petit Nice viendrait du mot anglais « nice » et non en rappel de la ville niçoise, pas de galets ! ici ; un peu de grave parfois sur la plage) (la mode anglaise très en vue à l’époque du fin XIXe siècle.
Après la condamnation de Socrate, un certain nombre d’aristocrates d’Athènes dont les fils avaient été élèves du Maître estimèrent prudent d’éloigner quelques temps leur progéniture. C’est ainsi qu’une trentaine de jeunes gens de 18 à 22 ans prirent la mer, un jour de l’an 399 avant Jésus-Christ, avec comme mentor, un disciple de Socrate qui avait si bien assimilé son enseignement, qu’on lui avait donné comme surnom la maxime de celui ci : Gnoti Séautôn, connais toi toi-même.
Le but de leur voyage est le pays des Boiates où se trouve Arkéséon, le port de refuge bien connu des navigateurs grecs. Bien que le livre de bord soit scrupuleusement tenu par Gnoti Séautôn nous ne les suivrons pas au jour le jour. Nous les prenons à leur arrivée dans la Petite Mer, au début de l’été. Ils accostent sur une plage de sable fin sur la rive nord, au pied d’une dune. Les derniers jours de la navigation avaient été durs, aussi, le matériel débarqué et le repas pris, les jeunes grecs n’aspirent qu’à dormir. Mais Gnoti Séautôn, comme Xénophon, autre disciple du Maître, estime que « rien n’est aussi beau et aussi utile que l’ordre et que c’est une belle chose de voir des chaussures, même ordinaires, rangées avec ordre[1] ». Ce n’est donc que lorsque tout fut disposé avec soin et les sandales bien alignées, que les jeunes gens peuvent s’enfoncer dans le sommeil.
Le soleil étant dans le milieu de sa course quand ils se réveillent, la chaleur est douce, la mer bleue et calme. Ils se dévêtent et jouent longtemps dans l’eau, puis, dans le plus simple appareil, ils s’étendent sur le sable et sombrent dans une agréable torpeur. Des clameurs dévalant la dune les jettent debout mais déjà une bande de solides gaillards, vêtus d’un pantalon en peau de bête et torse nu, brandissant lances et massues, sont sur eux.
Les cris de guerre des Boïates se transforment en murmures d’admiration à la vue de ces éphèbes frisés, au corps lisse et bronzé. Ils déposent leurs armes et leur chef, qui connait la langue d’Homère, se met à parler avec Gnoti Séautôn. Celui-ci converse donc amicalement avec le chef qui s’appelle Bélisaire, quand il s’aperçoit que ses élèves et les guerriers boïates s’éloignent les uns après les autres, par couple mixte, sous les pins de la dune. Gnoti Séautôn, qui en a vu d’autres, trouve cependant que cela manque de préliminaires et s’en ouvre à Bélisaire. Celui-ci lui répond en souriant que lui et ses hommes sont originaires d’un bourg, distant de quelques lieues, que de précédents voyageurs grecs ont baptisé dans leur langue « andreios », le viril, pour des raisons évidentes. Il ajoute qu’au demeurant la loi des Boïates exige des étrangers un droit d’entrée dont ceux-ci peuvent s’acquitter de diverses façons.
Gnoti Séautôn, a été élevé par son maître dans le respect des lois : « Si c’est là, dit-il, une règle du pays dont nous sommes les hôtes, nous nous y conformerons bien volontiers et je désignerai sur mes tablettes ce lieu où nous nous sommes rencontrés sous le nom de « Kanôn », ce qui veut dire : la règle, dans notre langue ».
Devenus inséparables les Grecs et les Boïates se mettent à excursionner sur les rives d’Arkéséon. Ils visitent des comptoirs tenus par des compatriotes à Biganos, Caudos, Mios, Balanos, mais ne vont pas jusqu’à Pissos. Ils reconnaissent, ce faisant, le lit d’une jolie rivière mais d’un faible débit, c’est pourquoi Gnoti Séautôn l’appelle : Leira, la maigre.
Sur les rives de Leira s’élève la capitale des Boïates. Les gens y sont calmes et industrieux. Sous la direction de druides versés dans les sciences, ils brûlent des bûches de bois en même temps que certaines poudres et tirent du mélange une pâte molle avec laquelle ils confectionnent des parchemins artificiels. Malheureusement, la fumée dégagée sent fort mauvais, comme une odeur de chou bouilli peu flatteuse aux narines, celle d’un gaz extrêmement volatile, le mercaptan, c’est pourquoi nos voyageurs ne s’attardent pas.
Cellulosix, le chef de la capitale, les accompagne jusqu’au pied d’une longue muraille qui sépare son territoire de celui des Barbotes : « Ces gens-là, dit-il aux Grecs, quand il ne sont pas en proie à leur passion, sont comme vous et moi, mais pris par elle on ne les reconnaît plus. Leur passion consiste à se grouper par bandes de quinze et à se disputer un objet en peau de sanglier appelé ovalex. Souvent ils luttent avec une autre fraction qui habite plus à l’ouest, les Testovices, qui partagent la même fureur. Quand ils ont gagné, cela va très bien, mais quand ils ont perdu, ils errent dans la campagne en hurlant et en cassant tout. Nous avons construit ce rempart pour être tranquilles ». Comme le lieu n’avait pas de nom, Gnoti Séautôn, lui donna celui de « teixos », le mur.
Les jeunes Grecs n’ignorent rien des jeux du stade mais n’ont jamais vu jouer à l’ovalex. Un grec du nom de Larros, fixé chez les Barbotes, les fait assister à plusieurs parties. Enthousiasmés, ils apprennent les règles et s’entraînent assidûment, brûlant de se mesurer avec les Barbotes. Gens massifs et puissants, avec des cous de taureau, les Barbotes se tordent de rire quand Gnoti Séautôn leur propose une rencontre. Ils acceptent cependant, histoire de donner une bonne leçon à ces présomptueux à la taille trop fine et aux muscles longs.
Le lieu choisi pour la rencontre est une vaste plage au bord d’une lagune communiquant avec la mer sur la côte des Testovices. Toutes les fractions des Boïates, soit par la forêt, soit par bateau, viennent assister au spectacle. On a choisi Hortensix comme maître du jeu, homme sage et accueillant, vivant près de ce cap qui, par mauvais temps, ne peut être doublé que grâce à des prodiges d’énergie, raison pour laquelle les navigateurs grecs l’ont appelé « phéré », c’est-à-dire « Allons, Courage ».
Les Grecs désignent Péroutas comme capitaine, leurs meilleurs joueurs sont Danaos et Triskos. La partie est ce qu’on imagine, il faut des prolongations. Finalement la vitesse et la souplesse des Grecs l’emportent sur la puissance des Barbotes. Une jeune prêtresse nommée Maguide couronne Péroutas de feuilles de chêne et baise le front de Triskos, le joueur grec qui a porté le plus souvent l’ovalex dans le camp des Barbotes.
Gnoti Séautôn pleure doucement de joie. Il prend ses tablettes et dit à Bélisaire : « Ce lieu désormais portera le nom de « nike », ce qui veut dire la victoire dans la langue des Hellènes ». Le souvenir de ces événements s’étant perdu au cours des siècles, on a cru que « Nike » avait trait avec la ville de Nice, d’où l’actuel et malencontreux « Petit Nice ».
Puis il entonne un hymne à la gloire de la jeunesse : « S’ils aiment l’honneur, ils aiment encore plus la victoire, car la jeunesse est avide de supériorité, et la victoire est une supériorité. L’honneur et la victoire les touchent plus que les richesses…[2]».
Il chante encore quand la nuit tombe. Les flammes des feux de camp illuminent l’océan et les bois. Des boeufs entiers rôtissent sur des brasiers et des jeunes filles versent à profusion une boisson terriblement capiteuse faite de jus d’arbouses (il y a moins de cent ans, la boisson d’arbouses était encore connue à La Teste sous le nom de « lédounat », l’arbousier se disant « lédoun » en gascon.) Tard dans la nuit, les chants des Boïates ivres couvrent le bruit des vagues.
NB : Triskos et Danaos ne rentrèrent pas à Athènes. Triskos épousa Maguide et Danaos, une amie de celle-ci, appelée Ispe. C’est de ces deux couples que descendent tous les Triscos et tous les Daney. Les Testovices donnèrent à une dune dominant le lac de Cazaux, voisin du lieu de la rencontre, le nom du jeune Péroutas, nom parvenu jusqu’à nous sous sa forme gasconisée « Peyroutas ».
Extrait de Pages d’Histoire locale – Arcachon – La Teste – Le Moulleau – Pyla-sur-Mer par Jacques Ragot – 1986
[1] – Xénophon. « L’Économique », VIII, 3 et 19 : Conseils à Ischomaque
[2] – Aristote dans sa « Rhétorique » a reproduit intégralement cet hymne sans avoir l’honnêteté de citer son auteur.