Immortelle, armoise et linaire
Oubliés pour un moment le bleu du ciel, la grande plage de sable fin, l’océan et ses vagues qui déferlent…
La tête baissée, le regard précédant les baskets qui foulent le sable fin, faire attention où l’on pose les pieds !
Passé la dernière ligne de pins aux formes torturées par le vent, la dune se dévoile, barrière naturelle protectrice de la pinède, ne laissant pas encore voir le bleu de l’océan mais seulement celui du ciel.
Fin du sentier forestier au garbail craquant, premiers pas dans le sable blond, le basket s’enfonce généreusement, des milliers de petits grains ont déjà franchi le haut des chaussettes et atteint la plante du pied et commencent à s’immiscer entre les orteils, rien ne semble pouvoir les arrêter !
Mes vieilles pompes alourdies de sable se sont immobilisées devant une grosse touffe végétale.
L’air ambiant respire un agréable parfum épicé ; de longues tiges vertes et des feuilles étroites aux bords enroulés, d’un vert presque pale, duveteuses, se terminant par des regroupements de petites fleurs jaunes et odorantes en forme de boule ; en la tournant entre les doigts, la voilà qui dégage un agréable parfum de cuisine exotique, une odeur chaude et poivrée comme celle d’un bol fumant de Nasi Goreng balinais ! Pas de doute, cette plante sent le curry ! Ce n’est sûrement pas pour rien que les anciens appelaient l’immortelle des dunes, le poivre d’âne, plantes particulièrement appréciées par les mules des attelages de nos aïeux.
Autrefois, on confectionnait de petits bouquets ronds, denses et serrés pour former une boule de fleurs jaunes et parfumées, les tiges ficelées par un bout de raphia , que l’on conservait toute l’année en décoration dans la chambre ou sur le buffet de la cuisine ; l’appellation d’immortelle vient de cette faculté de la plante à sécher sans faner.
Ses vertus médicinales sont avérées pour lutter contre les hématomes, on la prétend plus efficace encore que l’arnica !
Cueillir l’immortelle dans les dunes est depuis longtemps interdit, elle est protégée, comme toutes les autres plantes de la dune, elle aussi contribue à fixer les sables voyageurs.
L’escalade de la dune se poursuit, les pieds d’immortelles de la dune grise, la partie fixée de la dune, disparaissent pour laisser place à d’autres touffes végétales d’un vert sombre comme des culs de bouteilles ; c’est le territoire de l’Armoise de Lloyd, du nom d’un botaniste français d’origine anglaise du 19ème siècle.
Soit en tapis, soit en grosses touffes, elle aussi laisse échapper un parfum puissant et subtil, très différent de celui de l’immortelle, un parfum légèrement anisé mouillé de l’humidité de l’air. Certainement le parfum le plus agréable de la dune. Les fleurs se présentent sous forme de petites billes vertes qui roulent entre les doigts et imprègnent la peau d’une odeur enivrante où se mélangent celles du camphre, du menthol, de l’anis.
Les pêcheurs ou surfeurs matinaux qui se rendent à la plage du lieu dit « Bobies » en limite sud du champ de tir du Trencat, les promeneurs lève-tôt des dunes du Ferret ou plus au sud à la plage du Vivier à Biscarrosse, connaissent bien cette odeur qui plane dans l’air humide et frais du petit matin ; les touffes d’armoise prolifèrent dans ces parties semi-fixée de la dune mobile.
Pas touche, bien entendu, par contre à respirer sans modération !
L’avancée se poursuit dans la dune blanche, partie la plus mobile de la dune ; c’est dans cette zone que l’accumulation des sables est la plus importante, véritable rempart entre l’arrière dune et la plage. Ici, ce sont les touffes d’oyats qui dominent, champs de blé des sables aux ondulations chaloupées au gré des vents capricieux. Le balancement des tiges disperse les graines des épis devenus matures à la fin de l’été.
Et puis là par endroit, dans cette zone où les touffes d’oyats se font plus rares, la végétation plus clairsemée, comme si naturellement elle cherchait à s’isoler, à se faire oublier même, pousse une petite merveille qui ne supporte pas la concurrence, un petit bijou d’une extrême délicatesse.
Oh, elle n’est pas bien grande la linaire à feuilles de thym, avec elle, il faut prendre le temps, la repérer puis s’agenouiller pour l’observer en détail si l’on veut vraiment faire sa connaissance.
De petites feuilles d’un vert tirant sur le bleu sont insérées par groupe de trois sur la tige ; dès le printemps, les premières fleurs s’ouvrent en grappes, d’une couleur jaune soufre surlignée par une tache orangée au niveau du centre de la corolle.
La petite fleur est un modèle de perfection, dans une symétrie parfaite d’effet miroir, elle présente deux parties parfaitement identiques, tantôt deux ailes de papillon exotique tantôt mante de religieuse bicéphale selon la lumière ou l’angle d’observation.
Il faut venir par chez nous, dans la dune, pour avoir la chance d’observer cette petite plante endémique du littoral aquitain.
Comme beaucoup d’autres plantes, la linaire est hermaphrodite, deux sexes dans une même fleur, de quoi nourrir tous les fantasmes !
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