Croquis du Bassin – On se baigne en plein bonheur !

Imprimer cet article Imprimer cet article

Certains l’appellent « La Presqu’île du bonheur », celle du Cap Ferret, capitale actuelle du bain de mer le plus chic, le plus people, le plus recherché du Bassin. Ce Cap forme une commune avec Lège,  Lège qui fut un village mobile, un village itinérant, car il a longtemps battu en retraite devant la voracité des dunes océanes et quoi que ses habitants y fassent, ils  se trouvaient  toujours à l’extrême bout d’un de  ces chemins perdus  dont on disait en gascon, « Qu’es un lègue », c’est à dire, un sale chemin « sablonneux, malaisé et de tous les côtés au soleil exposé. » Et voilà comment le gascon « Lègue », a donné Lège.

Cependant, bien qu’au milieu des sables pendant des siècles, Lège a soulevé beaucoup de convoitises. Car de nombreux navires se brisaient sur la sauvage côte océane de la presqu’île du Cap Ferret et le baron de Lège disputait ces sables désertiques au captal de Buch, afin d’y exercer, entre autres prérogatives, le droit d’épave, hasardeux comme le loto mais tout aussi juteux quand l’heureux hasard s’y mettait. D’où des conflits immémoriaux entre seigneurs rivaux, depuis le Moyen Âge. Ce que  Louis XVI a enfin réglé, en décidant que le nord de la presqu’île reviendrait au baron de Lège et le sud au captal de Buch. Et voilà pourquoi, une des raisons pour lesquelles la presqu’île fut testerine, jusqu’en 1976.

De son histoire fort ancienne, Lège possède quelques intéressantes traces dans son actuelle église Saint-Pierre. Un chapiteau roman ou bien une inscription prouvant  que  deux églises légeoises furent englouties sous les sables. Chargée d’histoire, Lège a pu aussi entrer dans le monde moderne dès 1925 lorsque le jeune et génial architecte Le Corbusier construit là un hameau pour loger des ouvriers d’une scierie. Le Corbusier y invente des maisons et personne, n’avait  jamais trouvé mieux pour construire vite, bien et pas cher. Classées et réhabilitées, on peut encore découvrir aujourd’hui à Lège, ces HLM à la conception généreuse.

Mais  pourquoi cette langue de sable et de dunes, cette presqu’île qu’une seule route  encombrée raccorde  à un autre monde, oui, pourquoi retient-elle tant de gens, célèbres ou non, avides de s’y montrer autant que de s’y baigner ? Cette terre, pourtant, n’est pas faite pour la gloire. Elle n’a eu qu’une histoire cahotante, ses villages sont de bois et ses rues pavées de coquilles d’huîtres écrasées. Évidemment, elle aligne trente-cinq kilomètres de plages où la nature – et les hommes – ont  souvent  eu raison du béton. Mais cela suffit-il ?

En vérité, son attrait réside d’abord dans ses pimpants villages de cabanes de parqueurs et qui, bien que mise aux normes européennes, continuent d’embaumer le varech sec, l’iode accrochée aux huîtres qui égouttent et l’huile de moteur. Voyez-les, ces cabanes, ouvertes par une longue baie sur des rails rouillés qui se tortillent jusqu’à une étroite plage dorée, frangée de vaguelettes transparentes et, loin là-bas, se devinent la mince levée verte des arbres rabougris de l’île aux Oiseaux ou la haute masse de la dune du Pilat Et, dans ces cabanes, des parqueurs, au visage buriné par les embruns, par la rude tâche dans le froid ou sous la canicule, par les veilles dans la tonne et les casse-croûte dans la palombière. Et voilà : il est là le mystère de l’attrait du Cap Ferret. Il est dans ces hommes qui ont le caractère de véritables îliens, qui, par des mots pleins d’humour et de finesse, souvent aussi par des gestes amicaux, savent faire partager la chance qu’ils ont de vivre ici. Une chance qui provient de ce qu’ils ont si bien réussi ce que Michelet appelait  « Le mariage de la terre avec l’homme ». Ils sont les héritiers de ce vieux port arcachonnais trente fois séculaire, qui a su s’adapter à toutes les évolutions. Ils ont souvent fait, dans la Royale, trois fois le tour du Monde, ce qui les rend accueillants et un brin sceptiques.  Ils mesurent les heures au rythme des marées, ce qui fait que leur horloge indique le temps de vivre. Et ils sont su défendre leur bout de terre pour qu’ils passent à leurs enfants, à peu près semblable à ce que leurs pères en ont fait, la télé en plus. Habitués à regarder le large, ils attaquent les difficultés à coups de couteaux à détroquer, ce qui leur donne cet optimisme qui est le  profond  secret de la côte noroît.

Le secret, il flotte aussi dans un mythe né voici déjà longtemps et que l’on découvre sur les traces de  Jean Cocteau, lui qui signait d’une étoile et qui a  connu un Cap Ferret d’avant la création du monde. Venu plusieurs fois à Piquey, entre 1917 et 1939, Cocteau, magicien, a transformé, en trois moulinets de mots, cette côte noroît en “rivage nègre et en paysages du Texas”, comme il disait émerveillé. Il en fit même une terre de ses amours. Amours parfois aléatoires, comme en 1920 avec Raymond Radiguet, parfois très partagées avec Jean Marais, en 1939. Le comédien peignait – fort bien –  tandis que Raymond Radiguet, l’enfant avec une canne, écrivit ici avec peine, en 1921, son chef d’œuvre scandaleux, « Le Diable au corps ». Mais ce qui scandalisait déjà des autochtones c’était à la vague de plaisir qui déferlait sur Cocteau et ses amis. Ils se promenaient tout nus, fumaient l’opium, dansaient toute la nuit, après avoir joué du théâtre dans la salle de bal de l’épicier Dumur, aux sons d’un orgue, « Une usine à notes, à gammes, à cymbales et à castagnettes », écrit Cocteau, alors que  le compositeur Georges Auric se  fait livrer, par bateau et via la plage même, un piano et alors aussi que le peintre André Lhôte peint des sirènes alanguies sur la coque de barcasses abandonnées…

Les bords de la dune de Piquey éblouissent Cocteau. Il en fait un « Éden colonial  avec la  mer, la montagne, la forêt, le soleil, ce charlatan sur un carrosse d’or qui  vous chloroforme, vous arrache les souvenirs et vous adoptez la couleur des bêtes. » Les araignées, qu’il voit grosses comme des crabes, les moustiques et les mouches qu’il classe tsé-tsé : rien  ne  l’empêche  de  s’attacher charnellement à cette côte, qui forme, écrit-il, « Un paysage sauvage, superbe, où on respire un air pur et salé. » Tout lui plaît ici : les pantalons rouges des pêcheurs, les pirogues, les cases, l’hôtel avec sa chambre en cabine de frégate, les plantes grasses, la brousse ou la dune. Toujours, écrira-t-il, Jean Cocteau entendra, « Comme la basse des drummers de jazz, cette palpitation émouvante du cœur des pinasses et de notre jeunesse au bord du Bassin d’Arcachon ». Et, chose extraordinaire, malgré les apparences, en ce XXIe siècle, souffle toujours sur cette presqu’île, ce charme subtil auquel nul ne peut échapper et que Cocteau explique : « La beauté agit, même sur ceux qui ne la constatent pas. »   Elle est donc là, la force du mythe du cap Ferret que nous cherchions. Comme dans une étoile. Mais d’une autre galaxie. Car, aujourd’hui, que reste-t-il vraiment de ce bonheur vagabond ?

Jean Dubroca

Ce champ est nécessaire.

Aimé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *