Avec les difficultés financières du Crédit immobilier des Pereire en 1866, la Ville d’hiver est-elle en péril ? Pas du tout, parce que le processus médical et publicitaire qui a lancé cette ville de santé fonctionne maintenant parfaitement bien. En 1867, le docteur Gustave Hameau, fils de Jean, le précurseur testerin de Pasteur, publie d’intéressantes et courageuses statistiques sur les effets d’Arcachon. Sur cent cas de phtisie, il relève trente-six décès. L’influence du climat a été bénéfique pour quarante-deux personnes mais nulle pour trente-trois autres. Finalement, Hameau enregistre huit guérisons, douze aggravations et quinze améliorations. Des chiffres assez encourageants pour que, le Second Empire écroulé, les médecins arcachonnais continuent leurs efforts pour faire connaître les vertus thérapeutiques de leur ville.
En 1872, un guide paraît, signé par le docteur Corrigan, de l’université de Dublin et par le docteur hollandais, Mess. Ils vantent tous deux les avantages médicaux d’Arcachon. En 1872 encore, le docteur arcachonnais Bonnal, vante en congrès « les vertus de la forêt de pins et de la vie en home-sanatorium, loin de la promiscuité des vastes installations de Berk ». Il récidive en 1881, à Alger. Ses propos résument l’idée des médecins arcachonnais d’alors : la ville d’hiver constitue un vaste sanatorium naturel à taille humaine et au fonctionnement naturel. Un détail illustre cette particularité arcachonnaise : dans une rustique buvette, on boit de la sève de pin à l’état pur ou bien on l’avale en dragées, en bonbons ou en boissons aromatisées au chocolat. Ce qui reste pittoresque mais ne suffit pas, évidemment, pour agrandir la réputation arcachonnaise.
Par contre, un grand pas pour Arcachon “ville sanitaire” est franchi avec le docteur Fernand Lalesque. En 1882, il se montre formel : « face à la tuberculose, la mer vaut la montagne ». Ce qui fait hurler d’indignation des médecins suisses et français. Par exemple, le professeur Paul Carnot qui lance avec mépris : « Arcachon ne convient qu’aux petits tousseux ». Pas convaincue, non plus, la société des Chirurgiens de Paris pour laquelle « la mer est nuisible aux tuberculeux ». Mais, au fil des années, Lalesque tient bon. Il prouve qu’à Arcachon, « on peut vivre au moins quatre heures par jour en plein air pur et ozonisé ». Or, pour ce spécialiste de la climatologie, la tuberculose recule toujours devant la forêt. De plus, ajoute Lalesque, qui analyse sans cesse l’air d’Arcachon, « il est bactériologiquement neutre ».
La thérapie prônée par Lalesque repose sur deux autres données importantes. La première, c’est que le malade doit renoncer à toute vie mondaine. La réussite de sa cure d’air dépend de la qualité du repos qu’il observe. Autre innovation importante de Lalesque : il invente la cure libre qui responsabilise le malade. Sa vie est rythmée par sa propre volonté, hors de la présence constante du médecin, comme dans les sanatoria classiques.
Autre invention de Lalesque : la villa sanitaire qu’il met au point en 1896 avec Eugène Ormières. On construit ainsi vingt-deux maisons basses, entourées d’une galerie. A l’intérieur : aucune saillie, ni corniche, des angles arrondis, des murs ripolinés et un sol formé d’un amalgame de ciment sans joints. Enfin, le docteur Lalesque met au point la cure en barque, celle qui « met le malade dans un état contemplatif proche de la vie végétative, exempte de toute passion qui est la première condition de la guérison ». En même temps, en 1888, le docteur Armaingaud ouvre un sanatorium avec quarante lits pour enfants sur un terrain donné par le professeur Lalanne.
Mais le plus étonnant, c’est que pendant que se développe ce sanatorium dans la Ville d’Hiver, la Société immobilière d’Arcachon, appartenant aux Pereire, continue de construire des villas dans ce quartier de la ville, où fleurit une vie mondaine. Cette seconde partie de l’agrandissement de la ville d’hiver, c’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca