L’arrivée du chemin de fer à La Teste, en 1841, transforme le bourg et, plus profondément, son quartier d’Eyrac. Qu’on en juge. En 1823 un sujet Anglais, cité par Jacques Ragot, écrit dans le “Monthly Magazine” : « La Teste a rarement l’honneur de contempler un étranger ». En 1835, le docteur Jean Hameau, celui dont l’hôpital arcachonnais porte le nom, écrit : « Avec l’établissement Legallais, il n’y a sur cette côte que la maison Lesca, petite et sommairement meublée, puis la vieille chapelle de Notre-Dame. On voit aussi sur la plage quelques cabanes de gourbet, d’un aspect tout insulaire où les pêcheurs prennent leur quartier d’été ».
Quatre ans se passent et, dressant en 1839 “Le tableau pittoresque et agricole des landes du Bassin d’Arcachon”, le comte André de Bonneval note : « Tout près de La Teste, il existe plusieurs établissements de bains de mer ; un grand nombre de personnes du beau monde de Paris et de la province viennent y passer la belle saison ». En 1841, Le “Mémorial Bordelais” signale : « il n’y a pas d’autres habitations que trois ou quatre cahutes de pêcheurs construites en chaume, à droite et à gauche des établissements de bains ».
Mais en 1845, l’effet chemin de fer a fonctionné. Et le même “Mémorial” de souligner, le 3 juillet : « L’aristocratie bordelaise émigre en masse, La Teste se peuple de baigneurs (…) et la haute société a choisi la plage d’Eyrac où d’élégantes villas ont été construites ». 1852 : « Les hôtels sont littéralement encombrés. La plage d’Arcachon a vu s’élever cette année de jolies maisonnettes, de vastes établissements. Elle est devenue le rendez-vous favori du monde élégant et c’est la preuve de la renommée qu’Arcachon a acquise aux dépens de Royan et de Biarritz ». Voilà l’essentiel : dépasser la rivale charentaise et la concurrente basque. Ce qui marche fort bien puisqu’en 1855, on débarque dans un monde tout transformé.
Arcachon compte des commerces, six importants hôtels, dont trois que l’on dit « somptueux », cinq pâtissiers, un pharmacien, un dentiste et un avoué. Une seule rue, longue de quatre kilomètres, sépare la forêt de la plage, bordée d’élégantes et légères constructions, sans aucune espèce d’alignement : « toitures bizarres, pignons ornés, balcons découpés en folles arabesques, larges vérandas, jardins anglais, allées sinueuses ». Incontestablement, dès ses débuts, Arcachon s’offre un style architectural bien particulier. Mais le plus intéressant, voyez-vous, c’est « qu’à Eyrac, nulle misère de la ville n’attriste le regard dans ce fortuné séjour ». Parmi les quatre mille visiteurs, on croise des enfants frais et roses, d’élégantes femmes débarrassées de la crinoline que des hommes à la face épanouie conduisent au phare et aux dunes. C’est le bonheur ! Et le soir, on entend au loin le piano de l’hôtel Legallais où un artiste distingué charme l’oreille des hôtes nombreux de la maison…. Les attentats contre Napoléon III, la guerre de Crimée ou la mauvaise récolte de blé n’existent que sur une autre planète. Quant à l’étoile Arcachon, elle n’a maintenant que de beaux jours devant elle. Des jours, toutefois, qui ne manqueront pas d’agitation. Mais c’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca