Croquis du Bassin – Sur la piste des chemins

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– Hé, Adieu, promeneur de l’été ! Te voilà déjà en chemin sans vouloir attendre la machine à promenades qui s’échauffe. Mais le sais-tu, infatigable marcheur, que s’il existe beaucoup de chemins – de fer, de traverse ou des écoliers – on ne marche au mieux de sa plénitude que sur des sables fidèlement piétinés depuis des siècles et jalonnés par l’Histoire, ou encore sur des sentiers lointains, balisés par le goût de l’évasion. Tous comptes faits, seules deux voies ainsi royalement définies traversent notre secteur, s’y croisent parfois, s’y enchevêtrent quelquefois et tracent des lignes, des courbes, des grimpettes et des plongées qui ne descendent cependant pas toutes vers les mêmes horizons.

La preuve : l’un d’eux porte un numéro matricule, affiche une certaine prétention et s’appelle le “Grande Randonnée N° 8”. L’autre, enfoui sous les épines du souvenir et sous les roses de la foi, se baptise “Chemin de Saint Jacques”.

Le GR8  est  de belle envolée puisqu’il court, si l’on peut dire, des Flandres jusqu’au Pays Basque, entre des bornes de bois marquées de blanc et de rouge. Il pénètre en Gironde, à Vendays, descend vers Le Porge, longe le canal des Lacs et arrive à Lège, sur les bords du Bassin. Là, il s’insinue dans le pignada entre dunes océanes et rives de la Petite Mer, il frôle l’Herbe puis le Petit Piquey, dans des  paysages radieux et il aboutit à Bélisaire, face à la gloire dorée de la Grande Dune. Le marcheur embarque pour Arcachon, pose un instant ses sacs sur la place Thiers avant de se hisser en haut de la Ville d’hiver, auprès du château d’eau triangulaire qui domine les lieux. Le randonneur s’avance ensuite en lisière de la forêt de Camicas, grimpe la très convoitée dune de Laurey, dominant bientôt l’un des plus beaux  paysages de la région. Il suit avec précaution les pelouses du golf, d’un riche vert bien engraissé, croise le GR 6 au pare-feu du Centre et traverse une ville fantôme.

C’est le lotissement abandonné de l’Éden où un arbre énorme pousse entre les murs d’une maison en ruines, seul vestige d’un rêve immobilier bien vite défunt. Et voici le GR 8 au-dessus de Super-Pyla. Bientôt, il dégringole aux pieds de la Grande Dune. Le randonneur, qui ne peut éviter de grimper au sommet du Bassin, peut au retour, fort justement, prendre un verre à l’auberge de Chez Tintin avant de traverser la Forêt Usagère où les noms de sa carte chantent l’ histoire de notre pays de Buch : Maubruc, La Grave, Dulet, Arnauchon … Il marche alors au milieu de pins boursouflés, de chênes trop souvent pillés et d’arbousiers aux lueurs méditerranéennes, tandis que poussent à ses pieds la discrète violette des bois ou l’achillée mille feuilles, l’herbe des charpentiers. Et puis, passager de notre machine, te voilà à Curepipe, longeant d’étranges marécages. Te voilà à Peyroutas où le théâtre du sentier s’ouvre encore sur les eaux du lac de Cazaux, prisonnières de la voracité des sables, couronnés de pins et dorés à l’or fin des genêts. Bientôt, après la dune des Places et des plages d’îles désertes, ce sera  Haute-Rive. Le lac devient landais. N’allez pas croire qu’il ne nous concerne plus mais une chronique vit dans les bornes du temps.

Quant au chemin de Saint Jacques, nombreux se comptent encore ceux qui en foulent les rudes fondrières, les yeux au ciel mais le regard éveillé sur  les accrocs de la glèbe. Ils y observent, en regardant bien, les traces qu’y ont marquées depuis le Xe siècle des Anglais – du moins tant qu’ils furent catholiques – en quête de salut. Car leur chemin de rédemption, venant de Soulac, abordait le Bassin à Arès et le longeait jusqu’à Lamothe. Auparavant, à Andernos, ils marquaient une étape à l’église Saint-Éloi où les réconfortaient les moines de Saint-Jacques le Majeur. Plus tard et plus loin ils prieront et sans doute boiront à la fontaine Saint-Jean de Lamothe. La preuve : on voit aujourd’hui, datant du 17e siècle, dans l’église du Teich, une statue colorée d’un pèlerin arborant sur sa poitrine son passeport indiscutable, une coquille Saint-Jacques et s’appuyant sur l’indispensable bâton, fort utile pour passer les gués et tabasser les malandrins. Les plus éclopés de ces pèlerins auraient pu se refaire une santé au prieuré de Comprian, à Biganos avant de se lancer dans les spongieuses routes landaises. De là, les uns partaient le long de l’Eyre vers Belin où ils rejoignaient la voie vers Bayonne.

Ceux qui préféraient avancer dans des terres un peu moins hostiles, gagnaient La Teste-de-Buch puis Cazaux, à travers la forêt. À ce propos, Robert Aufan s’interroge devant le nom d’un quartier de Cazaux baptisé “L’Hôpital”. Un nom qui semblerait indiquer que les pèlerins passaient par l’actuelle rue Jean-Lavigne pour rejoindre le chemin de Sanguinet, vers Biscarrosse … Leur souvenir est encore si présent qu’on peut encore croiser leurs grandes ombres qui prennent souvent l’allure d’hommes et de femmes qui perpétuent l’une de ces profondes traditions sans lesquelles il n’y a point de civilisation. Tiens donc : voilà de quoi méditer en chemin, en sachant bien, toutefois, que, quel que soit le voyage et quel que soit le chemin, ce qui compte le plus  c’est l’ineffable bonheur d’arriver.

Jean Dubroca

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