Les écrivains nous l’ont assuré : le Bassin se pare des couleurs les plus diverses, à chaque instant du jour, du matin au soir et les saisons y allument des éclairages somptueusement divers. Et, la fierté des communes voisines d’Arcachon dût-elle en souffrir, il faut bien reconnaître qu’un des formidables attraits d’Arcachon c’est que, du Moulleau à l’Aiguillon, la ville offre le plus beau balcon qui se puisse trouver sur ce Bassin. A l’Aiguillon, il s’ouvre sur les doux horizons testerins et les lointains bleutés du delta de l’Eyre. Au Moulleau, il offre les lignes à la fois tourmentées et somptueuses des passes et de la Grande dune, tandis que le front de mer exhibe le foisonnement discret des stations cachées sous une ligne de pins à peine écornée par quelques clochers, dépassés en hauteur, signe des temps, par des châteaux d’eau en béton.
Ce spectacle en cinémascope, changeant comme sous des spots hollywoodiens, nuancé comme les chatoiements du Nil à Assouan et bleuté comme un lagon, il ne pouvait un jour que s’ouvrir à des spectateurs envoûtés. Mais que l’on n’oublie surtout pas que le Bassin, tel un chat, conserve ses instincts sauvages, inscrits dans sa géographie. Cette alliance de douceur et de férocité plait car la Petite mer de Buch, hormis quelques coups de gueule qui comptent, apporte la sérénité quand l’océan devient fou.
Cependant, ce Bassin repose sur des socles monstrueux. La puissance de ses courants, 1 mètre 50 à la seconde, se cogne à l’Atlantique et aux bancs des passes qui, à peine profonds de six mètres, s’abiment dans le gouffre de l’Atlantique, en une cataracte qui soulève souvent des vagues hautes comme une maison et que les marins appellent des bâtardes, c’est tout dire. Elles ne valent pas mieux que les “bouillocs”, presqu’aussi hautes mais, de plus, les garces, chargées de sable bouillonnant. Ces tourbillons dont on ne perçoit d’Arcachon que le sourd grognement, transbahutent chaque année au moins un million de mètres-cubes de sable et, à chaque marée, pompent de 150 à 400 millions de mètres-cubes d’eau, dans un débit moyen de 30 000 mètres-cubes par seconde.
On entend alors, c’est sûr et certain, comme des grognements d’Orénoque ou des mugissements amazoniens. Ces puissants courants, têtus comme un taureau bazadais, rabotent les côtes, déplacent les dunes, emportent des espaces entiers de territoire, au fin fond des mers, renouvelant ces combats de Titans que Zeus, qui ne rigolait pas avec la discipline, enferma dans le Tartare, un enfer infini. Ils s’en sont pourtant évadés pour revenir se bagarrer entre les bouées 1 et 5. Mais on s’égare, on s’égare, car partis à la recherche du kilomètre de largeur du rivage perdu en trois siècles du côté du Moulleau et des 2000 mètres de ce même rivage, engloutis en face du Pilat. Peut- être, après tout, que cette fragilité du Bassin, cette impression que rien ne pourrait y durer, peut-être est-ce ce sentiment qu’on saisit ici des secondes qui se sont déjà enfuies quand on les vit, peut- être cela fait-il le charme d’Arcachon ? Mais c’est une autre histoire.
A suivre…
Jean Dubroca