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Chronique n° 007 – Des grognements d’Orénoque

   

Les écrivains nous l’ont assuré : le Bassin se pare des couleurs  les plus diverses, à chaque instant du jour, du matin au soir et les  saisons y allument des éclairages somptueusement divers. Et, la  fierté des communes voisines d’Arcachon dût-elle en souffrir, il faut  bien reconnaître qu’un des formidables attraits d’Arcachon c’est  que, du Moulleau à l’Aiguillon, la ville offre le plus beau balcon  qui se puisse trouver sur ce Bassin. A l’Aiguillon, il s’ouvre sur  les doux horizons testerins et les lointains bleutés du delta de  l’Eyre. Au Moulleau, il offre les lignes à la fois tourmentées et  somptueuses des passes et de la Grande dune, tandis que le front de  mer exhibe le foisonnement discret des stations cachées sous une  ligne de pins à peine écornée par quelques clochers, dépassés en  hauteur, signe des temps, par des châteaux d’eau en béton.

Ce spectacle en cinémascope, changeant comme sous des spots  hollywoodiens, nuancé comme les chatoiements du Nil à Assouan et  bleuté comme un lagon, il ne pouvait un jour que s’ouvrir à des  spectateurs envoûtés. Mais que l’on n’oublie surtout  pas que le  Bassin, tel un chat, conserve ses instincts sauvages, inscrits dans  sa géographie. Cette alliance de douceur et de férocité plait car la  Petite mer de Buch, hormis quelques coups de gueule qui comptent,  apporte la sérénité quand l’océan devient fou.

Cependant, ce Bassin repose sur des socles  monstrueux. La  puissance de ses courants, 1 mètre 50 à la seconde, se cogne à  l’Atlantique et aux bancs des passes qui, à peine profonds de six   mètres, s’abiment dans  le gouffre de l’Atlantique, en une cataracte  qui soulève souvent des vagues hautes comme une maison et que les  marins appellent des bâtardes, c’est tout dire. Elles ne valent pas  mieux que les “bouillocs”, presqu’aussi hautes mais, de plus, les  garces, chargées de sable bouillonnant. Ces tourbillons dont on ne  perçoit d’Arcachon que le sourd grognement, transbahutent  chaque  année au moins  un million de mètres-cubes de sable et, à chaque marée, pompent  de 150 à 400 millions de mètres-cubes d’eau, dans un débit moyen de 30 000 mètres-cubes par seconde.

On entend alors, c’est sûr et certain, comme des grognements  d’Orénoque ou des mugissements amazoniens. Ces puissants  courants, têtus comme un taureau bazadais, rabotent les côtes,  déplacent les dunes, emportent des espaces entiers de territoire, au fin fond des mers,  renouvelant ces combats de Titans que Zeus, qui ne rigolait pas avec  la discipline, enferma dans le Tartare, un enfer infini. Ils s’en sont  pourtant évadés pour revenir se bagarrer entre les bouées 1 et 5.  Mais on s’égare, on s’égare, car partis à la recherche  du kilomètre  de largeur du rivage  perdu en trois siècles du côté du Moulleau et  des 2000 mètres de ce même rivage, engloutis en face du Pilat. Peut- être, après tout, que cette fragilité du Bassin, cette impression que  rien ne pourrait y durer, peut-être est-ce ce sentiment qu’on saisit  ici des secondes qui se sont déjà enfuies quand on les vit, peut- être  cela fait-il le charme d’Arcachon ? Mais c’est une autre  histoire.

A suivre…

Jean Dubroca

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