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Un occupant particulièrement surpris lorsque son ordonnance ouvre ses fenêtres, en ce premier janvier 1941, c’est bien le capitaine Schumacker, chef de la Kommandatur d’Arcachon qui découvre, à ses pieds, une partie des dix mille petites croix de Lorraine, découpées dans du papier et répandues dans la ville. C’est la première manifestation de résistance, menée par l’instituteur Robert Duchez, le séminariste Henri Brunet et par Marie Bartette, la mercière qui tient “Le Bonheur des Dames”. Sa boutique, située sur l’actuelle place Lucien-de-Gracia, a une sortie sur l’arrière ainsi que, par ailleurs, la bibliothèque du Cercle universitaire, animée par Duchez, servent de discrètes boîtes aux lettres. Bientôt, ainsi que le raconte René Terrisse, le petit groupe s’étoffe, Brunet touchant les milieux de droite et ses deux compagnons recrutant plutôt dans ceux de gauche. André Réaux, André Lesca, anciens militants de la SFIO, tous deux employés des PTT et le jeune André Perdriat, dix-neuf ans, fils d’un commerçant voisin de chez Marie Bartette, renforcent le groupe.
Par l’intermédiaire de Perdriat, on contacte Robert Blanc, un Parisien réfugié, en réalité, ”Richard”, un officier parachuté d’Angleterre en France. Il prépare le groupe à la guerre clandestine mais, menacé d’arrestation, il doit s’enfuir. Nouveau contact, accompagné des dangers que l’on imagine, avec Raymond Marty, un Arcachonnais, chef d’un autre groupe qui a pris l’excellente couverture de responsable local des “Amis du Maréchal”, dont on comprend mieux le zèle Il est en liaison avec “l’Intelligence Service”, le bureau du renseignement britannique. Mais, d’après René Terrisse, ces contacts n’aboutissent pas car « le groupe Bartette-Duchez veut impérativement rester sous la bannière gaulliste ». Une décision qui explique que l’histoire officielle de la Résistance arcachonnaise négligera beaucoup, par la suite, d’évoquer précisément le travail accompli ici par d’autres réseaux, tels “Jove”, “Jade-Amicol” ou “Maurice Buckmaster”, directement rattachés, soit à l’Intelligence Service, soit au “Special Opérations Executive”, dépendant du ministère anglais de la Guerre économique, particulièrement chargé des sabotages, de la subversion et des bombardements en territoires ennemis.
Ce service considère l’Aquitaine comme une région hautement stratégique et y envoie nombre de ses agents. Pendant un temps, on a même voulu faire croire que le débarquement pourrait avoir lieu sur nos côtes. En 1942, le groupe de résistance arcachonnais qui a diffusé des tracts, recueilli des renseignements et mené diverses actions compte une quarantaine de membres mais il reste toujours sans liaison régulière avec Londres, car sans doute jugé trop gaulliste. Il s’organise cependant en groupes et en sections et passe sous le commandement du colonel de Luze, 62 ans, allias “Marceau”, un protestant arcachonnais appartenant à une grande famille bordelaise spécialisée dans le commerce du vin. « Un des trois seuls officiers de réserve du secteur qui ait, à ce moment-là, pris parti pour la Résistance armée », écrit Robert Escarpit.
Par l’intermédiaire du commandant Léo Paillère, un Bordelais, le groupe arcachonnais qui s’étend petit à petit à tout le Bassin et notamment à Biganos, est reconnu par l’Organisation civile et militaire et par Londres qui le contacte avec le message personnel “La vie est belle”. Dès lors, son activité va considérablement se développer. Distributions du journal clandestin “Résistance”, dirigé par Charles Serre, distributions de portraits du général de Gaulle, détournements de courriers, recherches et transmissions de renseignements sur les défenses côtières ou les mouvements de bateaux et de troupes, impression de faux papiers, évacuations d’aviateurs alliés tombés dans le secteur, sauvetages de juifs, camouflage des réfractaires au Service du travail obligatoire, sabotages de lignes téléphoniques et réception de matériel parachuté. Toutes actions dont les auteurs risquent la mort ou, ce qui est pire, la déportation.
La première opération de parachutage a lieu, près de Marcheprime, en avril 1943, grâce à un petit groupe formé par Campet, Bazergue, Wattez, Irinitz, Lissayou, Soulatge et Castillon. Neuf autres opérations semblables suivront, jusqu’en août 1944. La camionnette de l’épicier Sensevin permet le transport des armes enterrées en divers lieux suivant les circonstances ou distribuées aux groupes voisins. Avec une autre équipe, neuf nouveaux parachutages d’armes sont reçus au Muret, près de Belin-Béliet, à partir du 20 mars 1943, sous la conduite de Franck Cazenave qui les cache dans son usine de fabrication de vélos. Pendant ce temps, on répertorie, notamment, six importants sabotages menés par divers mouvements girondins : destructions de pylônes électriques à Facture et à Croix d’Hins, déraillement d’un train à Lamothe, sabotage de dix-sept camions du chantier du “Mur de l’Atlantique”, au cap Ferret, d’un magasin d’habillement à Mios ou d’une partie de l’usine de la Cellulose, à Facture. Mais, devant cette recrudescence des activités clandestines, les services de renseignements allemands et leurs alliés français accroissent leur chasse aux résistants. C’est une autre histoire.
Jean Dubroca