Villa du Lac

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En vous baladant dans la ville de Sanguinet, ne manquez pas d’admirer la « Villa du Lac », l’une des premières résidences secondaires de Sanguinet, et qui possédait une écurie de course ;

c’est la propriété en 1928 (référence “Annuaire des châteaux et des villégiatures”) du comte Henri Irma Léonard de Mezamat de Lisle (1874-1948) et de la comtesse Jeanne Marie Eugénie Antonie née Arnoulx de Pirey (1881-1950), habitant au château de Maisières à Maisières-Notre-Dame dans le Doubs. Le comte (famille de Castelsarrazin – officier de cavalerie) possède une écurie de course et faisait courir ses chevaux en avril sur l’hippodrome du Becquet (1904-1912 références “L’Avenir d’Arcachon“).

Né à Biscarrosse le 14 novembre 1852, Édouard Lalanne, « courtier en propriétés » n’est pas un personnage banal. Sans fortune personnelle, il vit à sa guise, avec sa famille, sans se soucier du qu’en dira-t-on, c’est dans l’air du temps, dans la demeure de Sanguinet, construite en 1900, la « Villa du Lac ». Il profite sans vergogne de la fortune de sa femme, née Anne-Marie Legallais, fille de Jean Baptiste Évariste Legallais (ca 1813-1863), Docteur en médecine à Arcachon (lui-même fils de François Legallais 1785-1864).

Le 30 juin 1904, la famille Lalanne rachète le domai­ne de « La Compagnie d’exploitation des Landes » pour un prix dérisoire[1] (mise à prix 5 000 F, les travaux coûtent 1 500 000 F), lors d’une troisième enchère ; et c’est ainsi que l’acte d’achat de la concession du canal est établi, non pas au nom d’Édouard Lalan­ne, mais à ceux de Madame Lalanne et leur fille Marguerite. Le territoire sud du Canal, avec tous les droits y afférents vaudront, dans les années suivantes, des difficultés avec la municipalité de La Teste et les utilisateurs du canal des usines[2].

Marguerite veut vivre en union libre ! Et alors ? En 1905, elle fait un enfant, Pierre ; elle finira par épouser, en 1912, le père présumé de son enfant, Urbain Triscos, maire de Sanguinet.

Madame Lalanne offre le tronçon nord du canal à sa seconde fille Antoinette et lui fait construire, en 1905, la « Villa du Canal ». Elle l’habitera avec son mari, un chanteur lyrique nommé Marcellin Justin Cazauran. À son décès, vers 1912-1913, elle sera inhumée dans la propriété, sur le côté est du canal, au niveau de l’actuelle passerelle de La Chêneraie ; les Allemands détruiront sa tombe pendant la seconde Guer­re mondiale[3].

Le couple Lalanne, achète des terrains dans le quartier de Bergantade, à La Hume et y construit une maison qui existe toujours en face de l’aérodrome de Villemarie.

Devenu veuf[4], Édouard La­lanne se remarie en 1916 avec Marie Minvieille, de 33 ans sa ca­dette, dont il aura une troisième fille[5]. Il décède le 15 octobre 1928 et repose dans le jardin où sa tombe se voit fort bien depuis la route des Lacs.

C’est la partie « Antoinette Lalanne », avec la « Villa du Canal », d’une superficie de 18 ha, que le Bordelais Gabriel Faret, fabricant de cirés et d’imperméables, achète en 1917.

La villa du Canal

Deux ailes latérales, celle de droite surmontée d’un étage, deux vérandas ouvertes joignant un avant corps central orné d’une grande porte, un agréable appareillage de pierres et de briques rouges, cette villa de style arcachonnais, réplique agrandie de la « Villa du Lac », veut avoir grand air. Il n’est pas étonnant que le petit miroir d’eau, agrémenté d’une fontaine, placé entre la maison et la route de Bordeaux à Arcachon, devienne, par inflation verbale, un lac pour les Humois. En quelle occasion, le propriétaire a-t-il flanqué sa monumentale entrée d’une paire de statues d’hommes en armes s’appuyant sur de lourdes francisques ? Il s’agit probablement de personnages africains, réminiscence de la récente « Exposition Coloniale » de Paris, ce détail anachronique n’apparaissant que sur les cartes postales des années 30.

Après l’Armistice, sous l’impulsion de Frédéric Lestrade, propriétaire des « Genêts », La Hume, qui possède quelques belles demeures dont la villa Lestout et la villa « Sans-Souci », habitée depuis 1915 par l’infante Eulalie d’Espagne, se transforme et s’ouvre au tourisme. Gabriel Faret accepte de devenir le Président d’honneur du «Syndicat d’initiative La Hume-Meyran » qui est créé en 1927. Son rôle y est purement représentatif. Le 11 juillet 1927 l’affiliation à « l’Union des Fédérations des Syndicats d’Initiative de France, Colonie et Protectorats » (sic) est effective. Pour fêter cette adhésion, Gabriel Faret organise une fête magnifique dans le parc de sa villa. On peut en lire le commentaire élogieux paru dans « Le journal d’Arcachon » du 17 août 1927. On y parle de « plafond électrique », de « feu d’artifice d’une durée d’une heure », de « concert donné par l’Orphéon d’Arcachon et l’Harmonie Saint-Michel », suivi d’un bal avec « l’or­chestre Fraîche ». Dans ses mémoires, écrites en mars 1978, Pierre Carnus nous fait revivre cette journée mémorable : « Je me souviens de la première fête donnée par le S.I et le propriétaire du lieu. Les peupliers et les carolins qui entourent le lac, devant le Camping (Camping de la Chêneraie, établi en ce même lieu après la guerre, sous la municipalité Paul Pouget), étaient reliés par des guirlandes et des lanternes vénitiennes, ainsi que des centaines de lampions rouges qui se reflétaient dans le lac me paraissaient une féerie. À cette époque la circulation n’était pas celle que nous connaissons maintenant et des centaines de personnes se massaient sur le bord du chemin de fer pour assister au feu d’artifice qui nous paraîtrait bien maigre aujourd’hui, mais qui donnait alors une joie sans pareille à tous ceux qui avaient la chance d’y assister. Et tout cela est encore bien vivant dans mon souvenir ».

La même fête se répétera avec toujours autant de succès en 1928 et 1929, mais en 1930, la circulation automobile devenant (déjà) importante, il fut décidé, afin d’éviter tout risque d’accident sur la route nationale, d’organiser une fête vénitienne sur le Canal à la place du feu d’artifice tiré sur la pièce d’eau.

Tous les étés, Gabriel Faret a à cœur de recevoir dans sa villa les personnalités de passage à La Hume. Sous le titre « Une belle manifestation touristique à La Hume-Meyran » le journal « La France » du 4 mai 1930 écrit à propos de la visite de M. le procureur honoraire Maxwell, président du SI de Bordeaux, de Maurice Martin et de plusieurs autres personnalités régionales : « À l’issue du banquet les visiteurs se sont rendus dans la belle propriété de M. Faret et ont fait une merveilleuse pro­menade sur les bords du Canal, dont ils ont apprécié le calme et la beauté. M. et Mme Faret ont eu l’amabilité d’offrir dans leur salon une dernière coupe de champagne » nous dit Pierre Carnus.

Gabriel Faret est souvent en lutte avec les blanchisseuses qui s’installent en bordure du canal des usines pour rincer le linge provenant des hôtels arcachonnais. Il n’est pas non plus très tendre avec les braconniers qui viennent tendre des pièges ou pêcher dans ses eaux. Une exception cependant pour le jeune Pierrot Carnus, toujours lui, qui nous explique sa façon de pêcher : « À propos de pêche, je me souviens d’avoir fait un jour l’étonnement de Monsieur Faret. Je pêchais le brochet au lacet, avec un bambou, 50 à 60 cm de corde fine, le nylon n’existait pas encore, et un fil de fer d’une fiche de bagages que j’allais demander au chef de gare. J’en faisais un nœud coulant. Les brochetons qui attendaient leur proie en bordure du canal en somnolant étaient visibles, il suffisait de passer doucement toujours par-devant, de placer le lacet par dessus leur tête et une fois celle-ci engagée, on tirait fort et le brocheton était pris… Monsieur Faret arrivé le samedi après- midi, venait me chercher pour me regarder faire et repartait avec la friture offerte, stupéfait, du moins la première fois. »

En 1928, le propriétaire des lieux, peut-être excédé par les blanchisseuses et les braconniers, chasseurs ou pêcheurs, a l’idée de mettre en vente, par lots, une partie de sa propriété. Il n’y a pas d’acquéreurs et la vie continue normale et paisible, jusqu’au grand chambardement de la guerre. En juin 1940, les Allemands aussitôt arrivés s’empressent de réquisitionner le domaine pour leur usage personnel, avant de dynamiter la maison pour construire la position défensive présente sur cette partie du canal. Les anciennes écluses sont détruites et remplacées par des barrages en palplanches destinés à déverser les eaux du lac de Cazaux (dont l’altitude est de 25 mètres supérieure à celle du Bassin,) dans la plaine, en cas de débarquement allié sur la côte landaise.

D’après Philippe Jacques « ces ouvrages semblent avoir été édifiés en plusieurs étapes, et avoir subi deux numérotations différentes en fonction de l’évolution du système défensif allemand dans le courant des années 43 et 44. La villa a été détruite pour faire place à un bunker de casernement de type R621 qui a été lui-même camouflé en villa, ce type d’ouvrage a été installé dans notre région courant 1943 ». Ce que complète Marc Mentel : « La position du canal de La Hume porte la nomenclature Ar.234. Le bunker édifié à la place de la villa est du type 621 (structure utilisée par l’armée de terre allemande à partir de l’automne 1942). Cet abri de casernement pour un groupe de combat de 10 hommes a la particularité d’être équipé d’un puits intérieur. Son numéro dans la position est le 02. Un bunker de tir était situé de biais, légèrement en arrière, il abritait un canon de défense antichar qui balayait la route Arcachon Bordeaux »[6]. Ce blockhaus avait la particularité d’être camouflé de façon très adroite en maison d’habitation avec portes et fenêtres en trompe-l’œil. Volets brun rouge, vitres et rideaux simulés aux fenêtres. Il ne semble pas exister de document photographique de cette époque.

Le 8 juin 1959, la Municipalité Pouget achète le domaine à Madame Faret pour la somme de 11 500 000 F et entreprend de gros travaux pour l’aménager en camping. Les abords des bunkers sont remblayés et nivelés et une maison pour le gardien juchée sur la structure. L’inauguration a lieu le 8 août 1959. Voici ce qu’on peut en lire sur le « Bulletin Municipal de Gujan-Mestras » en date du 2e trimestre 1964 : « Camping Municipal « La Chêneraie » vaste propriété de presque 20 ha, (2 hectares sont achetés à une tierce personne, sans doute à un héritier Triscos de Sanguinet) ayant en son centre un plan d’eau (canal) de 6 ha ; plantée de pins maritimes, chênes, érables, acacias, tilleuls, peupliers, saules, vernis du Japon, sapins, cyprès de Lambert etc. Au centre sur toute sa longueur, 2,200 km, le canal reliant l’étang de Cazaux au Bassin d’Arcachon vient y trouver son aboutissement. »

Bien des années plus tard, en 1987 sous la Municipalité Bézian, le camping municipal est déplacé vers la plage au quartier « Verdalle ». Non sans faire des vagues : le 9 juillet 1985 paraît dans Sud-Ouest un article ravageur, signé Serge Ledoux. « Port Grimaud sur les bords du Canal ? »  Un avant-projet est à l’étude chez l’architecte bordelais Perrier. Le camping de La Hume, vieillot, disparaîtrait. Un autre serait créé à Verdalle, près de la plage. À sa place, côté avenue Sainte-Marie, un grand parc boisé, non constructible, non carrossable. Côté Clair-Bois, des maisons21 style Port Grimaud (lorsqu’on lui pose la question : combien de maisons ? Il répond : 50-60), les pieds dans l’eau, « très chic”. La réaction négative est immédiate ; deux associations de défense voient le jour, plus d’un millier de pétitions sont signées. La municipalité recule, fait étudier un autre projet par l’architecte Mazière. Plus question de « pieds dans l’eau en bordure du canal ou au bord d’un lac créé par dérivation du canal ». Mais, pour financer le nouveau camping de Verdalle, une transaction d’échange de terrains est faite avec Khélus, auquel est concédée une bande de terrain permettant l’installation de mobil-homes et autres bungalows. « Les fondrières de la partie ouest seront comblées et c’est là, sur 700 mètres environ, que s’égrènera peut-être quelques groupes (cinq ou six) de cinq ou six mai­sons chacun […]. Sans terrain. Disposées en arc de cercle ou selon un dessin géométrique plaisant . Sous la pression de l’opinion publique, seule la vente de terrains à Khélus est effectuée et le domaine devient, « Le parc de la Chêneraie », une splendide coulée verte que les communes avoisinantes nous envient.

En 1942, l’importance de la capitale girondine en tant que port d’importation et base pour les sous-marins, rend un débarquement des alliés possible à hauteur du Bassin d’Arcachon. L’essentiel des blockhaus de la bande côtière de la côte aquitaine, 140 km de long, est dédié à la défense du Bassin d’Arcachon, de son port, et de ses routes d’accès à la capitale girondine. Le point d’appui du mur de l’atlantique situé à la Hume, numéroté Ar 234, est donc capital pour l’état-major allemand car il permet de contrôler la seule route reliant Arcachon à Bordeaux. L’occupant n’hésite pas à faire raser la « Villa du Canal » pour bâtir à la place, en 1943, trois ouvrages bétonnés : Un abri pour loger dix hommes de troupe (plan type 621) ; un abri pour canon anti-char de 4,7 cm (plan type 506d) ; un petit abri pour un homme appelé Tobrouk. Avant l’ouverture du Parc de la Chêneraie au public en février 1989, les bunkers sont couverts de terre, de plantations et de végétation afin de les maquiller : bien intégrée dans un ensemble paysagé avec goût, complètement recouverte de lierre, la casemate sert de fondation à une terrasse qui surplombe la pièce d’eau restée intacte et permet de contempler le Port de La Hume et les aménagements de la plage. Aujourd’hui ces ouvrages longtemps cachés se dévoilent de nouveau à nous, grace à l’association Gramasa[7], et nous racontent l’histoire de Gujan-Mestras et de la seconde guerre mondiale. Nombreux sont les habitués, amateurs du parc de « La Chêneraie » qui, je le pense, ignorent toujours le passé heurté, diffici­le, dramatique, mais aussi romantique et parfois festif, de leur lieu de promenade favori…

Remerciements

Daurelle Annie, Espagnol Jacqueline, Jacques Philippe, Delrue Hélène, Legrand Jacqueline, Riffauld Pierre, Espagnol Simone, Mentel Marc, Taffard Francis.

Nous devons cet article à notre feue amie Jacqueline Broustey Parson

Extrait du Bulletin de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch n° 132 – 2e trimestre 2007

https://www.france-voyage.com/villes-villages/sanguinet-14397.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sanguinet

https://www.ladepechedubassin.fr/2020/02/11/actualites/patrimoine-exceptionnel-qui-veut-visiter-le-blockhaus-de-la-hume/

[1]Histoire de la Teste-de-Buch des origines à la fixation des sables, Jacques Ragot.

[2] – Archives Municipales de La Teste, Dossier Canal des Landes, série O. 26 avril 1922, Édouard Lalanne à mairie de La Teste. « Un groupe important de propriétaires cultivateurs de La Teste et Gujan-Mestras, impressionné par la perte de récolte de l’an dernier, à cause de la longue et persistante sécheresse, me demande d’intervenir pour lui donner de l’eau du canal pour l’irrigation des propriétés cultivées. Ces cultivateurs savent que j’ai fait acheter à Madame Urbain Triscos, ma fille, par ma femme, les chutes d’eau des 4ème, 5ème, 6ème écluses de l’ancien canal de navigation, dit d’Arcachon. Malheureusement par suite du barrage illégalement établi il y a 3 ans à la 8ème écluse par le service hydraulique en tête de la 8ème écluse, ce canal ne reçoit plus d’eau venant du lac de Cazaux, nous ne pouvons disposer, et encore qu‘en partie, de l’eau des sources qui se lèvent dans le lit du canal ». Relevé Francis Taffard.

[3] – Pierre Carnus, dans ses mémoires, parle de cette tombe en l’attribuant à Édouard Lalanne, ce qui est faux. Les restes d’Antoinette seront exhumés vers 1956-1958 et transportés à la fosse commune du cimetière du Fin, à Gujan. Précisions apportées par Mesdames Espagnol, petite-fille et arriè­re petite-fille consanguines d’Édouard Lalanne.

[4] – Le 10 septembre 1911. On peut lire dans le testament de Mme Lalanne en date du 22 mai 1910 devant Me Dupin notaire à Gujan-Mestras : « Je soussignée Anne-Marie Legallais, propriétaire, épouse Édouard Lalanne, je lègue à mon mari une pension alimentaire et viagère de 150 F par mois qui sera servie solidairement par mes deux filles et un droit au logement dans la villa du Canal et un cabinet d’affaire dans l’immeuble d’Arcachon au n°19 de l’avenue Lamartine ». Archives personnelles de Madame J. Espagnol.

[5] – La descendance d’Édouard Lalanne deviendra très compliquée : cette troisième fille, de 39 et 40 ans plus jeune que ses aînées et son arrière-petite-fille Triscos épousent deux frères.

[6] – Document allemand mis à disposition par Marc Mentel provenant des archives du Service Historique de l’Armée de Terre (Vincennes). Le blockhaus de La Hume ne comportait pas de « tobrouk » (position de tir extérieure pour un homme).

[7] – Rappelons que l’association Gramasa a pour mission principale, d’améliorer la connaissance sur les fortifications du Mur de l’Atlantique du Secteur Arcachon.

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Raphaël

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