Le savant Danville pense que le Bourg de Salles qui occupe une jolie situation entre un petit ruisseau et la Leyre est l’antique Salimacum de l’itinéraire d’Antonin. Il est plus probable que ce bourg eût des origines moins grandioses et que sa première habitation fut une de ces « Sales » ou grande maison, comme en possédaient les riches Gaulois, qui fut transformée plus tard en une villa romaine sur les ruines de laquelle fût bâtie au Moyen âge l’ancienne église de Salles.
Faisons un saut dans l’histoire, et nous voilà avec François de Montferrand 1385-1437, auquel le roi d’Angleterre donne le 11 avril 1436 tous les droits qu’il peut avoir dans la paroisse de Salles, et, de plus, il lui permet d’unir cette paroisse au domaine de Belin. François de Montferrand passe sa vie entière à combattre, abandonnant l’administration de ses biens à Jouyne qui ne quitte guère soit Uza, soit Belin dont la garde est alors confiée à un capitaine nommé Jean de Yrigoyen.
François part sur tous les champs de bataille de France, il lutte contre les seigneurs amis de la France, il défend Dax assiégé, il est à Castillon à côté du grand Talbot, puis comme les hommes de sa trempe ne plient pas, quand le désastre devient irrémédiable, il se réfugie dans l’exil en Angleterre où il meurt au bout de quelques temps.
En 1435, Jehannot de Montferrand, né en 1417, fils de François épouse Johaneta de Foix-Grailly, née en 1419, fille naturelle (filha bastarda) de Gaston de Foix, comte de Longueville et de Benauge, captal de Buch, seigneur de Fargues ; celui-ci lui constitue en dot les deux châteaux de Fargues, lo bieilh castet et lo castet neou, et celui de Puy Normand, pour la valeur de 4 000 fr bordelais. Le contrat de mariage est passé dans l’église de Saint-André de Bordeaux. Henri François de Cavier, évêque de Bazas, en est témoin, ainsi que plusieurs autres personnages distingués du pays.
Bérard de Montferrand, 1415-1471, fils de François, est chevalier, vicomte d’Uza, seigneur de Belin et d’Agassac. Il n’imite pas la fierté de son père : au lieu de s’en aller outre-mer après la défaite, il reste en Guienne. Il y a en effet tous ses intérêts et il sait que s’il part, il n’évitera pas la confiscation totale de ses biens, il se soumet donc au vainqueur. Malgré cet acte d’obéissance immédiate, le seigneur de Belin se trouve pris dans une situation des plus difficiles car fils et gendre de seigneurs ennemis, il demeure par la force des choses, suspect aux nouveaux maîtres. On l’a accueilli mais on le surveille de près – comme le lait sur le feu – et la plus petite aventure le perdre.
Bérard n’a peut-être pas le tempérament batailleur de son père, dans tous les cas c’est un très habile homme ; il se condit donc avec une remarquable prudence, il renonce à toute velléité d’action publique, vit obstinément retiré sur ses terres et obtient de la sorte la confiance des conquérants ; aussi quand il meurt en I47I, garde-t-il intactes toutes ses possessions.
Le 22 octobre I447, Bérard de Montferrand épouse à Podensac sa cousine Marie de Lalande, fille de noble et puissant baron Jean de Lalande, seigneur de La Brède, descendant de Jean de La Lande, sénéchal du Limousin, du Quercy et du Périgord en 1261, et de Jeanne de Foix, fille de Gaston de Foix, captal de Buch et de Marguerite d’Albret ; une dot de 2000 livres bordelaises lui est promise le 16 décembre 1446 mais étant emprisonné par les anglais le mariage est retardé. Marie de Lalande se remarie (avant le 25 mai 1469) au baron Bertrand de La Mothe, chevalier, seigneur de Roquetaillade et de Langon, puis, le 30 janvier 1488, à Pierre du Puch, seigneur de Peuch.
En 1472, Isabeau de Montferrand, seconde fille de Bérard de Montferrand et de Marie de Lalande, hérite de sa sœur aînée, Catherine, morte sans enfant, dame vicomtesse d’Uza, dame de Belin, Aureillan, Biscarrosse, Salles, Belin, Beliet, et Fargues ; Isabeau épouse Pierre de Lur II, et fait passer dans cette famille, ses terres et les titres de vicomte d’Uza, de seigneur de Fargues ; après un long procès entre Isabeau et ses cousins lui disputant ses possessions, une transaction de 1507 (ou 1512 ) lui laisse Uza, Salles, et Belin (Biscarrosse revenant aux cousins de Saint-Martin)
Suit, Pierre III de Lur, vicomte d’Uza, baron de Fargues, seigneur de Castet-en-Dorthe, d’Aureilhan, de Salles-en-Buch, de Beliet et les Jauberthes, gouverneur de Saint-Sever, gentilhomme de l’Hôtel des rois Louis XII, François 1er et Henri II,
Son fils, Louis de Lur 1535-1573, sénéchal de Bazas, se distingue dans les guerres du XVIe siècle : « Très bon officier de terre et de mer » selon de Thou, selon un chroniqueur du temps il n’aimait pas « à croupir sous la cendre » : le 23 août 1566, avec 700 hommes sur sept bateaux, il accompagne Peyrot quand celui-ci entreprend une expédition pour voir « l’Afrique jusqu’au fons ». Peyrot est tué devant Madère, et ses compagnons mettent à feu et à sang Funchal, emportent 500 000 écus et tuent 200 personnes dont sept moines cordeliers. Louis de Lur, qui prend le commandement de l’escadre, revient à St-Jean-de-Luz ; quand il veut débarquer, il apprend que le roi le considère comme pirate sur la demande du roi d’Espagne ; cinq mois plus tard Louis de Lur et ses compagnons obtiennent rémission de leurs actes. Louis de Lur est général des galères du roi, pour la province de Guyenne, et pousse son dévouement pour son roi, jusqu’à engager ses terres de Salles, Belin et Beliet, pour entretenir à ses frais la flotte devant La Rochelle ; il y est tué le 8 juin 1573, ayant eu la promesse de la première place vacante de maréchal de France. D’après Brantôme, il mourut de tristesse à La Rochelle pour avoir vu passer une barque chargée de poudre alors que les Rochelais n’en avaient plus sans qu’il y eut eu faute de sa part. En dédommagement des terres qu’il a aliénées, le roi donne à son fils, Jean, une île à Cauderot, qui est encore au pouvoir de la famille de Saluces.
Le 5 mai 1563, Louis de Lur vend la seigneurie de Belin, avec celles de Salles et de Beliet, à Jean de Pontac 1488-1589 pour la somme de 18 030 francs bordelais. Il se réserve quelques droits sur ces terres, mais, le 31 juillet 1571, Jean de Pontac lui ayant avancé une somme de 7 250 livres, plus 150 livres déjà prêtées auparavant, Louis de Lur, « en considération du plaisir et service que ledict sieur de Pontac luy a faict » renonce, en sa faveur, à tous ces droits. Jean de Pontac devient ainsi seigneur en totalité de Salles, Belin et Beliet.
L’histoire des Pontac se confond avec celle des vins de Bordeaux. C’est en effet en 1533 que Jean de Pontac fonde le domaine Haut-Brion destiné à l’exploitation des vignes.
Maison originaire du Béarn, la famille de Pontac, établie à Bordeaux dès la fin du XVe siècle est originaire et a pris son nom de la petite ville de Pontac, près de Pau, qu’elle possédait autrefois. Les grandes charges que cette maison a exercées dans les Parlements et dans les armées, son ancienneté, ses services rappelés dans plusieurs brevets royaux et lettres-patentes, ses alliances toujours honorables, contractées souvent avec la principale noblesse de France, lui donnent rang parmi les premières familles de la province de la Guyenne. Les principales alliances directes de la maison de Pontac sont les suivantes : de Vogein, de Cos, de Bellon, de Goth, de Léon, d’Aspremont, de Geneste, de La Lanne, de Brémont, du Sault, de Pérusse des Cars, de Chassaignes, du Duc, de Thou, de Crussol, d’Uzès, d’Aulède de Lestonnac, de La Gorce, de Lasse, de Secondat, de Bourbon-Busset, de Nesmond, de Pichon, d’Alesme, de Piis, des Aygues, de Fiany, de Lahet, de Ferron de La Peyrière, du Plantier, de Sentout, Pallot, de Maugrin, de Ségur-Montazeau, de Mosnier, de Chastaigner de La Châteigneraie, de Sainte Maure Montauzier, de Perrau, de Rayne, de Caupenne, le Blanc de Mauvezin, de Sérignac, du Vergier de La Roche-Jacquelein, etc., etc. (Nobiliaire de Guienne et de Gascogne, tome II.
Jean de Pontac construit le château de Salles en 1563 ; la construction est surveillée par Artaud Masson (lié à la famille Cazauvieilh). Charles Dupuy est le jardinier du château.
Son fils Raymond de Pontac, décède après le 8 octobre 1579, c’est son fils, Geoffroy de Pontac (1576-1649 ; il périt pour la cause royale en 1649 lors des évènements de la Fronde), chevalier, qui devient Seigneur de Salles, de Belin, de Beliet, de Haut-Brion, de Pès (Pez), de Podensac, de Gueyrac (ne faut-il pas lire Queyrac ?), de Bignac et de l’Isle-de-Jau (Médoc). Il a la charge de conseiller du roi en ses conseils d’état et privés, et de président à mortier en 1617 en la cour du parlement de Bordeaux.
La propriété appartient par la suite à son fils Arnaud de Pontac (1599-1681), conseiller du roi, premier président du parlement de Bordeaux en 1653. Le président de Pontac possède ainsi les vastes seigneuries de Salles, Belin et Beliet, dans les landes, qui seront estimées à 65 000 livres en 1713, mais gageons qu’elles lui rapportent bien moins que son petit vignoble de Haut-Brion. De fait, les présidents à mortier se distinguent souvent par l’importance de leurs propriétés, ce qui leur permet une implantation polynucléaire. Arnaud de Pontac est propriétaire des seigneuries de Salles, Belin et Beliet, dans les landes, qui forment un tout cohérent, tandis que le premier magistrat possède par ailleurs le domaine de Haut-Brion, fondé par ses ancêtres. À ces deux noyaux, il ajoute la maison noble de Pez, près de Saint-Estèphe, et la seigneurie de Bisqueytan, en Entre-Deux-Mers, deux biens de rapport situés dans l’orbite bordelaise et présentant une vocation viticole.
On connaît le travail effectué par Arnault de Pontac pour la seigneurie de Salles. Ce bien, situé dans les landes de Bordeaux, est a priori peu rentable, en raison de la nature du sol, mais Pontac comprend que la richesse du lieu réside dans la plantation de pins, susceptible de fournir des produits dérivés, comme le goudron ou la résine. Le terrier réalisé par son fils en 1683 permet de mesurer le travail réalisé par le père dans les décennies précédentes. Tout au long du XVIIe siècle, de nouvelles parcelles sont régulièrement concédées en baux à fief. On repère 92 cessions réparties sur la période 1634-1686, soit plus de 1185 journaux concédés, certaines tenures faisant l’objet d’un accroissement régulier. Ainsi, le bien de Pierre Hazera est augmenté en 1641, 1669, 1678, et encore en 1687. Ces baux à fief sont concédés régulièrement au fil du temps, ce qui témoigne du fait que la gestion de la seigneurie se fait au quotidien, et non au coup par coup, à la faveur de la révision d’un terrier. Le bail à fief nouveau est aussi l’occasion, pour un seigneur, d’orienter la mise en valeur de ses terres, comme en témoigne le contrat conclu avec Jean Hazera, en 1671. Pontac y baille une parcelle où il y a déjà quelques jeunes pins. Hazera s’engage à semer toute la surface en graines de pin pendant deux ans, durant lesquels il doit nettoyer et entretenir le sol, sans rien demander à Pontac. Le bien est alors tenu en indivision ; à partir du moment où il commence à gemmer, Jean de Hazera doit donner au magistrat la moitié de la résine ou tourmantine, et assumer les frais de « chaudière, canôte, auges » et autres. Or, cette opération n’est pas isolée, comme en témoigne le contrat conclu avec le chirurgien Pierre Lanoir dès 1646, l’accord passé en 1668 avec Pierre Dumoura, pour 218 journaux, ou le bail à fief nouveau en faveur de Guiraud Martin en 1676, présentant les mêmes conditions de partage. Pontac peut ainsi, en renonçant à percevoir un droit d’entrée, valoriser des terres qui présentaient auparavant un rapport très faible, mais il faut attendre vingt ans avant que l’opération soit rentable…
À sa mort, ses biens sont partagés entre son fils François-Auguste de Pontac et sa fille Thérèse, épouse de Jean-Denis Daulède de Lestonnac, premier président du parlement de Bordeaux, seigneur baron de Margaux.
La terre de Belin paraît être sortie des mains de la famille de Pontac à la fin du XVIIe siècle.
Le 15 février 1713, Léon-François Lecomte (ou Le Comte 1682-1737), seigneur de Rostaing. conseiller au Parlement, achète à son frère Louis-Armand Lecomte, captal de Latresne, chevalier d’honneur au Parlement, la seigneurie de Salles, Belin, Belliet, la vente comprenant la justice haute et moyenne, le château, les domaines, bois, moulins, passage des rivière, péages rentes, droits et devoirs seigneuriaux, pour 58 600 livres, ainsi que les meubles du château, bestiaux et mouches à miel, charrettes et outils aratoires pour 6 400 livres. Ce bien leur vient de leur aïeul maternel, Arnaud de Pontac par leur mère Catherine Delphine de Pontac.
Louis Armand Lecomte de la Tresne avait épousé, le 8 novembre 1708, la fille d’un greffier de l’amirauté qui n’a que dix-sept ans ; l’écart entre les époux est de vingt-huit ans. Il s’agit d’un remariage, le parlementaire ayant épousé en premières noces sa cousine, Jeanne Claire Lecomte, dont il a eu six enfants. Ces remariages sur lesquels se concentre l’opinion comportent le plus souvent une grosse différence d’âge entre les époux ; ce n’est cependant pas ici ce qui frappe l’opinion, mais bien plus la « mésalliance » ainsi conclue, d’autant que la dot est médiocre, dix mille livres seulement. La ville prête incontestablement attention au nouveau couple, et on peut ajouter ce que le conseiller de Ruat se laisse aller à confier le 9 février 1709 sur les charmes de l’épouse : la marquise de la Tresne a un fort beau visage, une fort belle taille et une fort belle jambe mais la main et la gorge sont vilaines.
Le 6 juin 1741, Jean-Baptiste Lecomte vend les trois paroisses à M. Dalbessart, Président à Mortier au Parlement de Bordeaux pour le prix élevé de 80 000 livres. Cette opération ne plait pas aux Montferrant. Sans doute convoitent-ils ces fiefs ; ils décident de mettre en jeu la procédure de retrait lignager au nom de Mme de Montferrant. Faut-t-il encore disposer des 80 000 livres et ils ne les ont pas : le 2 mars 1742, Jean de Raymond de Lalande leur consent un prêt de 40 000 livres sur deux ans dans le but précis du rachat des trois fiefs (Bolle, notaire de Bordeaux) payé en pièces d’or et argent. Le retrait a lieu à Bordeaux le 3 avril (notaire Sarrauste).
Enfin, le 10 juin, M. de Montferrant amortit sa dette en vendant à Jean Raymond de Lalande les fiefs de Belin, Mons et Beliet pour le prix de 22 000 livres dont 2 000 pour les intérêts (Treyssac, notaire de Bordeaux). Cette vente porte sur tous les droits seigneuriaux de toute nature, cens, rentes foncières, lods et ventes, droits de prélation et sur tous les domaines, landes et vacants, bâtiments et « masures du château ».
La semaine suivante, Jeanne Duhamel, alors dans son château de Salles, ratifie cette vente et fait établir par le notaire de Belin la prise de possession.
Les Lecomte sont apparentés à Jeanne Duhamel, l’épouse d’un très important personnage, François Armand de Montferrant, chevalier, marquis de Landiras, vicomte d’Escouasse, de Castet et Dorthe, premier baron et grand sénéchal de Guyenne. Devenus du Hamel avec la particule : au XVIIe siècle, la monarchie ayant besoin d’argent, une famille de bourgeois aisé peut acheter un ticket d’entrée dans la noblesse. On appelle cela une « savonnette à vilain », une charge, un office. Ainsi, en 1659, Charles Duhamel devient conseiller au Parlement de Guyenne. Ce garçon de 26 ans doit sa promotion à son père Nicolas qui a acheté en 1638 une savonnette, la charge de secrétaire du roi. Puis il a marié sa fille à un conseiller au Parlement, Joseph Dubourg ; le jeune Charles lui, épouse en 1660 une fille du Président François Arthus Lecomte de La Tresne, très en vue. Mais cela ne suffit pas à établir une noblesse oublieuse de ses origines roturières : il faut un château : ce sera celui de Castets en Dorthe, bâtisse austère aux murs presque aveugles qui domine la Garonne et raconte à elle toute seule un passé noble et militaire. Mais cela ne suffit toujours pas et il convient que la famille constitue une bibliothèque. Une vraie collection de livres, voilà un des critères de noblesse, du moins pour la noblesse de robe, celle des parlementaires :734 titres à l’inventaire pour les du Hamel, dans leur hôtel particulier à l’angle des rues Porte Dijeaux et de Castillon. Ces livres sont lus et contribuent à former à Bordeaux, l’esprit des Lumières.
Le château de Belin est ainsi décrit : « II n’y a d’autre masure (vestige ou ruines) du dit château qu’une petite tour du côté du couchant qui a même été ébréchée et qui ne peut servir que de monument d’une vieille antiquité. Nous a, de plus, fait apercevoir le dit Seigneur de Lalande que la dite halle a besoin d’être recouverte à neuf, qu’il y a plusieurs pièces de bois pourries ».
Cependant, le nouveau seigneur de Belin entreprend sans tarder les travaux de reconstruction et remise en état nécessaires. Il en fait sa résidence, celle d’été tout au moins, et le siège de la juridiction. C’est dans ce château et en 1755 que M. de Lalande subit les horreurs d’une diffamation qui l’atteint dans sa vie privée la plus intime…
Jean de Raymond de Lalande et Jeanne Dupudal ont quatre enfants :
– Jeanne, née en 1723, mariée en 1747 à Ch. de Lafaurie de Montbadon,
– Jeanne, née en 1724, épouse en 1743 de Joseph de Raguenau,
– Arnaud, né le 13 octobre 1725,
– Pierre, né le 31 mai 1727 qui perpétue la famille.
Jeanne Dupudal décède le 8 juillet 1732 et est inhumée le 14 dans l’église Saint-Pierre de Bordeaux, âgée de 32 ans. Le conseiller Jean Raymond de Lalande reste veuf 30 ans et disparait le 23 mai 1762.
Quant à Pierre de Lalande, le fils, il fait aussi carrière dans la magistrature. Il est nommé conseiller au Parlement par lettres de provision du 4 août 1747, ce qui implique une double dispense, d’âge et de parenté car son père siège encore.
Au lendemain du décès de son père, il s’empresse de liquider son patrimoine de Belin-Beliet qui, peut-être, lui rappelle quelque désagréable souvenir, à moins qu’il ne trouve là l’occasion d’une belle spéculation.
Le 10 septembre 1762, il vend chez Duprat, notaire de Bordeaux, Belin-Beliet, Mons et généralement tout son patrimoine à Nicolas Pichard, baron de Saucats, le Barp, Président à Mortier, la justice, deniers d’esporle, cens, rentes, lods et ventes, prélation, passage de Leyre, foires, château et autres bâtiments, terres, dont 7 métairies, cinq à Belin-Beliet et deux au Barp et enfin pignadas, landes, vignobles, ruches et meubles du château.
Il liquide ainsi « tout ce qui provenait de son père et de sa mère ». Cette vente est conclue pour le prix de 65 000 livres dont 30 000 déjà versées et 35 000 en crédit de cinq ans.
Plus tard, Nicolas Pichard achète aussi la terre et seigneurie de Salles qui est restée dans la succession de Jeanne Duhamel.
Au moment de la Révolution, Nicolas Pierre de Pichard en est seigneur haut justicier.
Halte là ! les Chevaliers déplacent les bornes…
Le texte qui suit désigne des lieux-dits qui n’apparaissent pas sur les cartes en notre possession. Tant bien que mal, j’ai essayé de tracer les limites fu fief détenu par l’Ordre de Malte dans la Seigneurie de Salles. Sûrement parmi nous, certains pourront apporter plus de précisions…
Un des seigneurs hauts justiciers d’une des familles seigneuriales qui possédèrent successivement la paroisse de Salles en Buch, donne en fief à la commanderie des chevaliers de Malte de Bordeaux une partie du territoire de la seigneurie de Salles, se réservant les eaux des ruisseaux et conservant ses droits de corvée sur toute l’étendue de la seigneurie comme signe de réminiscence attaché à la Haute Justice (Lettre de M. de Pichard à M. Gelez du 18 octobre 1782).
C’est ainsi que l’abbé Baurein, procureur des chevaliers de Malte, doit faire démolir un moulin dont il a autorisé la construction par bail à fief sur le ruisseau de Mouchon pour ne s’être pas rappelé que les eaux ne lui appartenaient pas.
Les limites du fief des chevaliers de Malte, avec le temps, sont devenues des plus vagues comme en témoigne le terrier de Salles de l’année 1685, retenu par Preyssac, notaire royal, et aux dires, en 1782, de M. de Pichard, seigneur de Salles, depuis plus de vingt ans les paysans « s’emploient » à ne rien payer, ni au percepteur du seigneur de Salles déclarant qu’ils se trouvent sur le fief des Messieurs de Malte, et ni au fermier de ces derniers se disant ressortissant du seigneur de Salles.
Le commandeur de Bordeaux, en effet, ne perçoit pas directement ses droits seigneuriaux mais en afferme la perception. C’est pourquoi le bien connu abbé Baurein, demeurant à Bordeaux, rue des Fossés des Tanneurs, procureur de la commanderie depuis le 19 juillet 1758, au nom de haut et puissant seigneur Pons-François de Rosset de Rocozel 1727-1774, bailli de Fleury, ambassadeur de l’Ordre de Malte auprès de S.M. le roi de France, ci-devant général des galères et ambassadeur extraordinaire auprès de SM le roi des Deux-Siciles, chevalier de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem, commandeur des commanderies de salins et du Temple de Bordeaux, baille à ferme, le 28 octobre 1766, à Pierre Cazauvielh, marchand, habitant le bourg de Salles, et au beau-frère de celui-ci, André Dupuch, dit Lapointe, les fruits décimaux cens, rentes, lods, et droits de change que les chevaliers de Malte possèdent dans les quartiers de Bilos, Lanot, Caplane, La Mendaine, La Courgeyre, Le Tronc, et Peyreherrine, moyennant la somme de 600 livres par an.
Le contrat va du 1er mai 1767 au 30 avril 1770. Il est entendu que les preneurs ont le droit de tirer « raisine» de tous les pins « épars » dans la lande, en particulier au Pébrot, mais en se conduisant en bons pères de famille, sans « les employer à d’autres usages, ni les détériorer » (les gemmer sans les épuiser.)
Alors fermiers de la Commanderie de Bordeaux, Pierre Cazauvielh et Pierre Dupuch fils d’André, passent le 18 mai 1772, devant Martin, notaire royal, un nouveau bail de trois ans avec l’abbé Baurein, toujours procureur des Messieurs de Malte. Le bailli de l’ordre n’est plus le même, c’est maintenant frère Charles-François-Antoine Guislain de la Tour de Saint-Quentin, comte du Saint Empire, un des seigneurs de la Grand Croix de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem, de la vénérable Langue de France, et capitaine général des escadres du dit ordre.
La teneur du bail aussi n’est plus la même que celle du bail du 28 octobre 1766 : après l’énumération des quartiers où les chevaliers de Malte ont le droit de percevoir, il est ajouté : « et en général dans tous les autres lieux défrichés et à défricher. … et suivant les bornes, limites et enclaves d ïceluy territoire ainsi qu’il est bonté et bridané par bornes anciennes et subsistantes que les dits preneurs ont dit bien savoir et connaître … ».
S’il est question de bornes dans le bail de mai 1772, c’est parce que M. de Pichard, seigneur de Salles, conteste les limites du fief des Messieurs de Malte à l’intérieur de sa seigneurie.
Selon eux, la limite de leur fief part du lieu « le Grand Pas », au confluent de la Leyre et de la « Chicoye craste » ou « craste de Beguey », en face du village de Beguey, situé, lui, sur la rive droite de l’Eyre.
Du « Grand Pas » on se dirige vers le sud en longeant La « chicoye craste», puis la « coume » de Belhade, qui sert de limite entre la seigneurie de Salles et celle de Lugos. On arrive alors au « Pébrey », où il y aurait eu autrefois une borne très grosse, non plantée en terre, mais couchée sur le sol, que Philippe Dumora et son frère Jean, dit « Chinoy », demeurant au Lanot, certifient avoir vue.
Du « Pébrey » il faut marcher plein ouest, « en droiture », jusqu’à la « Lagunat » de Sillac où d’après ce que Philippe Dumora aîné a garanti aux gardes-chasse du seigneur il y aurait eu une borne.
À partir de la « Lagunat » on oblique vers le nord-est et au lieu dit « La Poubrouse » (Peubrouse) on trouve une borne à 250 pieds à l’est du parc de Philippe Dupin, puis une autre au nord de la première, au lieu appelé « Destouesse » à la limite de séparation des paroisses de Salles et de Mios.
La borne suivante est plantée à deux pas de la maison de Jean Villetorte, laquelle se trouve dans la partie nord du village de Caplanne.
À Balos, il y a une borne et entre cette borne et celle de Villetorte on compte six bornes.
De la borne de Balos en marchant en ligne droite on arrive au milieu du pignada de Balos à une autre borne. À partir de celle-ci il faut se rendre au « pujo Guiot » en passant par la fontaine de Balos et le lieu-dit Lescouzères, où il y a une borne.
Du « pujo Guiot » après avoir traversé en ligne droite les « fenas » du Mayne, on arrive au chemin de Bilos à Salles. Sur le côté est de ce chemin, entre la maison de Marc et celle de Dupin, Pierre Téchoueyres, dit Pierron de Mothe, prétend connaître une borne émergeant de deux pieds au-dessus du sol. Du chemin de Bilos à Salles, en coupant « en droiture » par la « Clide » du Mayne et en suivant l’ancien chemin de Saint Jean, on arrive au « Grand Pas » et la boucle est bouclée (État des bornes qui sont entre milieu des terres de MM. Les Chevaliers de l’Ordre de Malte et de M. le Président de Pichard, tant de Salles que de Lugo).
Trop fastoche ! Pichard n’est pas d’accord, mais alors pas d’accord du tout. Pour lui (observations relatives au fief de Malte situé dans l’enclave de ma terre de Salles), en partant du nord, le fief de Malte commence au Mayne. La borne n’y est plus mais on connait son emplacement. De la borne du Mayne au « Grand Pas », l’ancien tracé du chemin de St-Jean, qui fait limite, se reconnait aisément. La borne du « Grand Pas » se trouve bien sur la ligne de séparation des terres de Salles d’avec celles de Lugo, mais indique-t-elle également la limite du fief de Malte ? M. de Pichard n’en est pas sûr et demande à l’Ordre de Malte de le prouver.
- de Pichard doute également que la « coume » de Belhade, indiquée dans tous les titres comme la ligne de séparation entre les seigneuries de Salles et de Lugo, puisse servir également de limite au fief de Malte.
En suivant la « coume » on arrive au Pebrey où l’on trouve une borne « arrachée de son lit, d’un pied et demi de longueur sur un de largeur », mais il est à présumer que cette borne a été placée pour séparer les deux juridictions de Salles et de Lugo et non pour borner le fief de Malte.
De la borne de Pebrey, les chevaliers de Malte tirent une ligne droite jusqu’à la métairie de la Pointe. M. de Pichard ne conteste pas qu’il y eut eu une borne, aujourd’hui disparue devant la maison de La Pointe, encore faut-t-il prouver qu’elle indiquait la limite du fief de Malte. Au demeurant, si la preuve est faite, la métairie de La Pointe reste dans la terre de Salles et Messieurs de Malte ne récupèrent que quelques règes de terrain cultivé.
Du Pebrey à la « Lagunat » (ou Lagubat), où deux paysans attestent avoir vu une borne aujourd’hui arrachée, la limite est rectiligne et de la « Lagunat », toujours en ligne droite, on arrive à une borne située au delà de la forêt donnée en fief nouveau (sans doute, s’agit-il de ce que les chevaliers de Malte appellent le pignada de Balas). Si cette borne est reconnue valable par titres, il faut, à partir d’elle, tirer une nouvelle ligne droite jusqu’à une borne placée derrière la maison d’Arnautilh, car la prétendue borne qui se trouve à 250 pas du parc de Mouret n’est qu’une pierre perdue. Elle est, en effet, couchée et ne ressemble en rien aux autres pierres, ni par sa nature, ni par sa grosseur. Du reste au pied de la borne d’Arnautilh, il y en a une autre indiquant la direction de la borne de la forêt. Si entre celle-ci et la borne d’Arnautilh il n’y a aucune borne, malgré la distance considérable, cela n’a rien de surprenant, attendu qu’entre les deux bornes il y a de nombreux champs cultivés, permettant de supposer que lors des défrichements, les bornes, si bornes il y avait, ont dû être enlevées.
De la borne d’Arnautilh jusqu’au Mayne, pris comme point de départ du circuit, la délimitation ne présente pas de difficultés. Les bornes sont très peu espacées, et sont de même forme et même nature. Il y en a cinq en suivant l’ancien chemin de St-Jean, la troisième se trouve aux pins de … ? ….. et la quatrième au carrefour du chemin de St-Jean avec le chemin de Bilos à Salles.
En 1777, les avocats de M. de Pichard et ceux de la Commanderie de Bordeaux arrivent à se mettre d’accord et signent une transaction. Il ne reste plus qu’à placer de nouvelles bornes.
Celles-ci doivent être mises en place par une commission composée de M. Chipoulet de Fontenelle, fondé de pouvoir de M. de Lordat, procureur des Messieurs de Malte, et du feudiste de M. de Pichard. Mais il se trouve qu’au début des opérations par suite d’une mauvaise entente entre le feudiste et le régisseur du seigneur de Salles, M. Chipoulet est très mal accueilli et doit même chercher refuge chez un paysan dépendant du fief de Malte.
Profitant de cet incident et du mécontentement de M. Chipoulet, plusieurs paysans, espérant ainsi continuer à ne rien payer à l’un ou l’autre seigneur, entreprennent de persuader le dit Chipoulet que la transaction de 1777 lèse les chevaliers de Malte. M. Chipoulet remet celle-ci en cause, si bien qu’en 1788, à la veille de la Révolution, les limites du fief des Messieurs de Malte dans la seigneurie de Salles est toujours en discussion.
L’affaire est réglée durant la nuit du 4 août 1789, quand l’Assemblée Nationale supprime les droits féodaux. Il n’y a plus désormais de Seigneurie de Salles, ni de fief dans la seigneurie, et il n’est plus besoin de bornes.
Certaines de ces bornes sont encore en place. Souhaitons qu’elles y restent pour rappeler le temps où des chevaliers au blanc manteau ont créé un hôpital à Bilos pour héberger les pauvres pélerins cheminant vers Compostelle.
Jacques Ragot, Bulletin sha n° 47
https://shaapb.fr/wp-content/uploads/files/SHAA_047_opt.pdf
https://gw.geneanet.org/pierfit?lang=fr&p=berard&n=de+montferrand
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La Guienne militaire : histoire et description des villes fortifiées, forteresses et châteaux construits dans le pays qui constitue actuellement le département de la Gironde pendant la domination anglaise, Léo Drouyn, (1816-1896), 1865
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Essai sur l’histoire de la ville et de l’arrondissement de Bazas : depuis la conquête des Romains dans la Novempopulanie, jusqu’à la fin du 18e siècle, abbé Patrice-John O’Reilly, (1806-1861), 1840
Chronique du bordelais au crépuscule du grand siècle : le mémorial de Savignac, Caroline Le Mao
Vivre à Bordeaux sous l’Ancien Régime, Paul Butel
D’où vient le nom de la rue Du Hamel à Bordeaux, réponse de Michel Cardoze
Les présidents à mortier du parlement de Bordeaux, une élite économique au service de la province ?, Caroline Le Mao
https://books.openedition.org/pur/133521?lang=fr
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http://landesenvrac.blogspot.com/2010/01/uza-et-ses-seigneurs.html
https://shaapb.fr/wp-content/uploads/files/SHAA_091.pdf