Robert Picqué

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Sauve qui peut !

L’hôpital chirurgical complémentaire de Talence, implanté dans des baraquements dans l’enceinte du Petit Lycée impérial[1], est utilisé par les américains, en 1917 ; il est remis à l’armée française au départ des troupes américaines en 1919.

C’est à cette date que Robert Picqué y est nommé médecin-chef et crée un service d’expertises médicales du personnel de l’aéronautique militaire. Très rapidement, il va ajouter une nouvelle passion à ses tâches de praticien et à ses obligations d’enseignant, l’aviation sanitaire : recevant des blessés ayant souffert de longs délais de transport, il propose de les évacuer en avion comme cela se pratique au Maroc et au Levant. Le colonel Félix Marie[2], commandant le centre de Cazaux, lui affecte deux avions, et lui adjoint Goegel, sous-officier pilote, qui ne le quittera plus. Lui-même devient officier observateur et reçoit un carnet de vol.

Le mercredi 1er juin 1927, il est 16 heures quand le médecin-colonel Robert Picqué reçoit un message du général Marie l’informant que l’épouse du capitaine Cormier, officier pilote de la base aérienne de Cazaux, atteinte d’une grave hémorragie interne, est dans un état grave. Robert Picqué, médecin principal de 1ère classe, décide d’amener en avion la malade à l’hôpital de Talence où tout est prêt pour les interventions urgentes. Il se rend auprès de son pilote, le lieutenant Goegel, pour lui expliquer son projet ; celui-ci résiste, c’est un jour de tempête, la pluie et le vent sont violents, la nuit approche. Qu’importe réplique aussitôt Picqué, une vie humaine est en danger, notre devoir est de partir. Goegel finit par céder à condition d’utiliser deux Hanriot[3],

un sanitaire

et le second d’entraînement piloté par l’adjudant Godmer, au lieu du Breguet 14Tbis, jugé trop lourd pour les conditions météo.

L’arrivée à Cazaux se fait à 19 h 45, la malade est chargée à bord de l’avion sanitaire piloté par Goegel ; Picqué monte dans l’avion de Godmer, tandis que Cormier, mari de la souffrante, pilote un troisième avion. Ils partent en direction de Beau-Désert, à Mérignac. Entre temps, l’orage s’est fait plus menaçant. Le plafond, suivant le terme consacré, est de plus en plus bas.

Les trois appareils volent en triangle. À mi-chemin, l’avion de Godmer souffre d’ennuis mécaniques et un début d’incendie du moteur se déclare. Le pilote n’a pas aperçu les premières flammèches qui vont incendier son appareil, lorsque, de l’avion sanitaire, Goegel lui fait un signe de détresse. Immédiatement, Godmer tente d’atterrir. Robert Picqué, installé en place avant s’extrait de l’habitacle pour ne pas être atteint par les flammes. Alors que Godmer amorce une descente pour se poser, Robert Picqué, qui souffre de la maladie de Tabès[4], ne réussit pas à s’agripper à la carlingue, et tombe de l’avion. Godmer arrive à se poser dans une clairière et trouve Robert Picqué allongé dans les bois.

Mme Cormier est témoin du drame. Elle croit que c’est l’avion de son mari qui a pris feu. Folle de douleur, elle réussit, malgré son état, à sortir de la carlingue. Elle va perdre l’équilibre et tomber de l’avion lorsque – in extremis – Goegel réussit, d’une main, à la maintenir, tandis que de l’autre il fait la manœuvre nécessaire pour atterrir, et se pose sans dommage. Le dernier zinc, piloté par Cormier, atterrit également, mais un accident de terrain le fait capoter. L’appareil se brise, le pilote et un de ses camarades ne sont pas blessés, par le plus grand des hasards.

Goegel, Cormier et son camarade se portent au secours de Picqué. Malgré ses affreuses blessures, le professeur respire encore. Il a une fracture du crâne, est atteint à la colonne vertébrale, et souffre de multiples blessures. Quelques minutes après son arrivée à l’hôpital de Talence, Picqué, qui est dans le coma, rend le dernier soupir[5].

Godmer grièvement brûlé sur différentes parties du corps, aucune lésion ne mettant sa vie en danger, reçoit les soins que nécessite son état[6].

Et la malade ? Mme Cormier est dirigée vers la salle d’opération où elle est opérée d’une grossesse extra-utérine rompue ; elle est sauvée !

À l’annonce de ce tragique accident, un immense courant d’émotions parcourt la ville, la France et même l’étranger. Le 2 juin, le ministre de la guerre Paul Painlevé[7] cite, à l’ordre du corps d’armée, le savant remarquable … le chirurgien de grande valeur, type accompli du médecin et du soldat … véritable apôtre de l’aviation sanitaire.

La levée du corps a lieu le 7 juin à 9 h 30 à l’hôpital complémentaire de Talence. C’est en présence du clergé de la commune, des autorités civiles et militaires que le convoi se dirige vers l’église Notre-Dame de Talence. En tête du cortège, la musique du 144e RI joue des marches funèbres. De nombreuses couronnes de fleurs ornent le corbillard. Les cordons du poêle sont tenus par messieurs Peberay, représentant le préfet, Georges Lasserre[8], maire de Talence, le général Tantôt et le recteur Dumas[9]. Un jeune marin suit le catafalque en portant sur un coussin les décorations du médecin-colonel Robert Picqué qui l’avait sauvé quelques temps auparavant en l’opérant d’une plaie du cœur. Un détachement de tirailleurs marocains de la 18ème section fait une haie d’honneur de part et d’autre du corbillard, le canon du fusil tourné vers le bas. Après la cérémonie, le cercueil est transporté à la gare Saint-Jean en direction de Paris, sa ville natale. Robert Picqué est inhumé le lendemain au cimetière du Père Lachaise[10]. Sur sa tombe, sa dernière patiente fait graver cette épitaphe : À celui qui donna sa vie pour sauver la mienne.

Un an passe ; une stèle est dressée[11] au milieu des futaies, à proximité de l’allée de Péchicard, là où Robert Picqué fut recueilli ; une cérémonie rassemble le général Félix Marie, le professeur Sigalas, doyen de la faculté de médecine, le médecin colonel Mathieu, directeur du service de santé, le médecin général Brugère, directeur de Santé Navale, le docteur Bézian[12], Conseiller d’arrondissement, les professeurs Bégouin et Jeanneney, le docteur Guillermain, son ancien assistant, et le lieutenant Godmer, son fidèle pilote, ainsi que de nombreux officiels et médecins de la garnison. Le maire de Marcheprime et son Conseil, accompagné des anciens combattants et des enfants de la commune, participent également à l’hommage rendu au Médecin volant.

Le texte de la stèle : tombé glorieusement ici, serait presque risible s’il ne s’agissait pas d’un tragique accident[13].

Pour accéder à la stèle, à la sortie du bourg sur la N 250 en direction d’Arcachon, en face des anciennes usines Couach Renault-Marine[14], s’engager dans l’allée Monerol. Poursuivre au-delà de la partie revêtue, au premier carrefour prendre la piste à droite (allée de Péchicard sur la carte IGN), puis encore la première piste à droite, continuer sur 300 mètres, un chemin sur la droite s’engage dans la forêt, prendre ce chemin, la stèle se trouve à 200 mètres.

L’hôpital militaire de Bordeaux (Villenave d’Ornon), où se trouve une autre stèle, porte le nom de Robert Picqué.

[1] – Le Petit Lycée impérial a été construit, en 1854, sur les terres de la maison de campagne du Breuil, que possédait le lycée impérial de Bordeaux. Il est réquisitionné le 23 août 1914 comme hôpital militaire complémentaire, puis de 1917 à 1919 sert comme hôpital américain.

D’autres (brochure Parcours patrimoine Peydavant, Mairie de Talence) avancent le château Crespy ; il est vrai que les deux domaines sont voisins…

En fait, il aurait existé deux hôpitaux complémentaires à Talence, le n° 17 (dans l’ancien noviciat des frères des écoles chrétiennes, aujourd’hui école St-Genès) et le n° 25 (au Petit Lycée impérial, aujourd’hui lycée Victor Louis).

[2] – Félix Marie est nommé commandant du camp d’instruction de Cazaux le 1er janvier 1924. Il le quitte le 19 juin 1930, lors de son départ à la retraite. Il est promu général de brigade le 9 mars 1927.

[3] – Probablement de la série Hanriot HD 14, le modèle avec lequel Saint-Exupéry s’est crashé en janvier 1923 ; en 1925, apparaît le modèle sanitaire Hanriot H.14S, avec un compartiment longitudinal recevant la civière. Il comporte aussi un strapontin au cas où on désire transporter le blessé en position assise.

[4] – Maladie neurologique chronique entraînant des troubles de la sensibilité des mains.

[5] – Pour La Petite Gironde, du 3 juin 1927, Robert Picqué décède des suites d’une chute d’environ 80 mètres ; quand les premiers secours du centre de Marcheprime, sous les ordres du chef Farlieux, arrivent, le colonel a cessé de vivre.

[6]Le Petit Parisien du 3 juin 1927.

[7] – Mathématicien célèbre, il est aussi théoricien de l’aéronautique.

[8] – Le 27 septembre 1902, Georges Lasserre a contracté un mariage endogame en épousant à Audenge, Marguerite Lurie, institutrice originaire de cette commune alors qu’il est instituteur à Mios.

Georges Lasserre avait été Conseiller municipal de Pauillac, le 30 novembre 1919.

Il sera élu député en 1932 contre l’abbé Bergey qui ne s’était présenté qu’au deuxième tour, le candidat du premier tour, Henri Lorin, député sortant, étant mort subitement d’une hémorragie, saisi d’émotion à l’annonce des résultats – défavorables – du premier tour.

[9] – Professeur d’histoire, avait été doyen de la faculté des Lettres.

[10]La Petite Gironde du 8 juin 1927, Bibliothèque de Bordeaux MIC502.

[11]La Petite Gironde du 5 juin 1928.

[12] – Louis Bézian sera maire de Gujan-Mestras en 1935.

[13] – Article de Francis Baudy, paru dans le Petit Augustin, octobre 2011.

[14] – Usine construite vers 1880 liée au travail du bois (distillerie de résine) de la S de Haute-Lande et Born, puis Cie des Produits résineux (unité de production d’essence de térébenthine à partir de résine de pin jusqu’en 1968. Elle est rénovée en 1935 : extensions vers l’est pour abriter le département bois et construction de logements d’ouvriers (actuellement détruits). Le logement patronal est édifié en 1949. Le site est repris en 1971 par la S Renault-Marine-Couach pour fabriquer des moteurs marins, l’atelier de fonderie restant à La-Teste (33). Nouveaux agrandissements en 1972 et 1976. A partir de 1982, la fonction se porte sur les moteurs automobiles et, en 1985, une nouvelle entreprise, la S PRIM, concentre son activité sur la rénovation de ces moteurs, comprenant les essais, les ateliers de peinture, de traitement de surface et de montage. Parallèlement, une partie du site est louée à la Sté D.I.A.S. (bureau d’études). Seule l’activité de bancs d’essai autorisée par l’arrêté préfectoral du 3 juin 1995 perdure jusqu’en avril 2002, date à laquelle l’ensemble de l’activité PRIM cesse. La cessation définitive d’activité est déclarée le 5 septembre 2005.

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Raphaël

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