La rumeur publique colporte que le quartier du Canelot de La Teste serait un ancien domaine public « offert » pour le franc symbolique aux occupants de fait.
Ce ne sont que fables et médisances. Nous allons raconter comment cette opération de restitution de la propriété privée, qui a eu lieu il y a juste trente ans en novembre 1992, découlait d’un feuilleton dont la nature et le Conseil d’État sont les principaux protagonistes
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Au début était le néant et le flux et le reflux des marées régnait sur cette zone de simples près salés .
En 1841, la ligne Bordeaux-La Teste a été mise en service. Ce bourg assoupi de pêcheurs (pas encore ostréiculteurs) est secoué par un afflux de nouveaux arrivants débarquant du train voulant tous se rendre dans le quartier d’Arcachon (qui n’était encore qu’un quartier de La Teste).
Les riches estivants français, anglais et de diverses nations de l’univers veulent profiter de l’air vivifiant des pins et des nouveaux établissements balnéaires notamment le fameux établissement Legallais premier palace de la côte, ouvert dès 1823.
À cette époque, le port de la Teste est une simple zone d’échouage appelé « le Caihaou » (ainsi nommé parce que les bateaux y déposaient les pierres qui avaient servi à les lester à vide avant de repartir avec des poteaux de mines pour l’Angleterre). Le rivage devant la gare est un présalé recouvert à marée haute où aucune embarcation conséquente ne peut raisonnablement aborder.
Afin de faciliter le transport des voyageurs vers Arcachon, la compagnie de chemin de fer décide dès 1841 de creuser un chenal qui part devant la gare et qui permettra aux voyageurs de monter sur les fameuses pinasses du Bassin pour se rendre au quartier d’Arcachon.
C’est l’amorce du futur port de La Teste.
Les déblais de creusement du chenal sont déposés vers l’est et forment une petite digue. En 1852 la digue est renforcée et empierrée par le service des ponts et chaussées, puis l’endiguement se poursuit au bout de la digue et ce qui était un pré salé devient un polder surgi des eaux.
Le quartier du Canelot a été gagné sur la mer comme une zone à sec.
Première manche remportée par les hommes sur la nature. Un quartier entier d’environ 2 km carrés a été arraché au flux et reflux des eaux du Bassin.
Harry Scott Johnston industriel Bordelais d’origine Irlandaise obtient cette zone terrestre par adjudication en 1872. Elle devient ainsi propriété privée. Divers propriétaires vont se succéder, au cours des siècles la propriété sera morcelée entre ostréiculteurs, éleveurs de poissons en bassin, résidents.
Ce quartier est bien la propriété privée de divers propriétaires de terrains comme des bâtiments qui y sont érigés.
La nature reprend ses droits
A plusieurs reprises en 1882 puis en 1924, la nature repart à l’assaut de cette presqu’île. Bien que les hommes aient imprudemment creusé un petit Canal (appelé Canelot) au milieu du quartier avec une écluse au bout (d’où le nom de quartier du Canelot), les digues tiennent bon et l’écluse aussi.
Mais le 29 décembre 1951, un fort vent de sud a poussé la marée montante dans le bassin pour bien le remplir. Le vent malin a ensuite tourné à l’ouest pour repousser cette masse compacte vers le rivage de la Teste. En pleine nuit, les digues cèdent sur 35 mètres, le quartier est submergé par 1,5 m d’eau, les habitants sont évacués. Au reflux c’est la grande désolation, la nature a repris ses droits, le polder est redevenu un pré salé couvert à marée haute.
Où il est question de Colbert et du conseil d’état
Une Ordonnance de Colbert de 1681 précise :
« Est considéré comme domaine maritime, tout le terrain que la mer couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusqu’où le grand flot de mars peut s’étendre sur les grèves. »
Autrement dit : est considéré comme domaine public maritime ce qui est recouvert par les grandes marées, hors événements exceptionnels et catastrophes naturelles.
Cette zone est donc aux yeux de la loi, redevenue un domaine public maritime. Tous ceux qui avaient des droits de propriété sur ces terrains les ont perdus !
Les propriétaires submergés auraient pu rapidement réparer les brèches dans la digue. Certes un syndicat de réparation incluant la commune de la Teste est formé, mais certains membres du syndicat contestent la répartition des coûts, voire simplement le fait de payer les réparations de la digue. L’un d’eux saisit imprudemment le Conseil d’État pour faire valoir ses droits.
Funeste initiative.
Le Conseil d’État s’en référant aux différents actes antérieurs et à l’Ordonnance de Colbert, rend un arrêt le 13 octobre 1967 déclarant que cette zone étant désormais submergée à marée haute est devenue domaine public maritime.
Les résidents et occupants de la zone n’ont plus de droits de propriété sur le sol. Ils sont propriétaires de murs et d’installations qui se trouvent sur le domaine public ! Ce sont pratiquement des occupants illégaux d’un domaine public inaliénable, éventuellement susceptibles d’être expulsés.
La seconde manche est donc bien remportée par la nature avec l’appui inattendu du Conseil d’État.
Une Longue bataille juridique
Le domaine public étant, par définition, imprescriptible et inaliénable, il devient illégal de prétendre s’en attribuer une partie simplement en réparant les digues.
Heureusement les juristes sont gens pleins de ressources et d’inventivité.
Après de longs débats, d’une grande complexité et subtilité, une mesure exceptionnelle est prise par dérogation. L’État cède gratuitement à la commune une concession à charge d’endigage.
Ceci transfère de l’État à la commune la propriété de cette zone de 23 hectares.
Cette décision est notifiée en 1989 par décret des ministères de la mer et du budget.
La commune devenue propriétaire signe avec les particuliers concernés les actes de transfert de propriété à leur profit.
Le 17 novembre 1992, après vingt ans de procédure, 150 familles retrouvent la propriété de leur sol.
Les preuves de propriété pouvant être anciennes et incertaines (voire plus qu’incertaines) il a fallu 4 ans pour transférer l’ensemble de la propriété aux particuliers.
Les « occupants de fait » du domaine public deviennent ainsi propriétaires réguliers devant notaire.
La propriété privée qui a était restituée en novembre 1992, n’est donc pas un fait du prince de « faire cadeau » du domaine public à quelques privilégiés mais bien la restitution d’une propriété privée antérieure aux décisions du conseil d’état de 1967.
La troisième manche est remportée par les hommes sur la nature avec le renfort de la représentation parlementaire.
C’est une victoire des Girondins (c’est le cas de le dire) sur les Jacobins.
On ne sait si le réchauffement climatique, la montée des eaux et autres phénomènes imprévus ne nous réservent par une quatrième manche.
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Tout le détail sur l’histoire du quartier du Canelot www.histoire.avdo.fr
Yvon Corcia
Association des Riverains et Amis de l’Avenue de Ostréiculteurs (Avdo)
Le Conseil d’État n’ est d’aucune façon une « représentation parlementaire
Bonjour François
lorsqu il est dit
« La troisième manche est remportée par les hommes sur la nature avec le renfort de la représentation parlementaire »
Cette décision découle du lobbying des élus locaux; commune, sénateurs, députés c’est pourquoi c’est à la fois une action de la représentation parlementaire et une victoire des « girondins » contre les « jacobins ».