Journal d’Arcachon à partir du N° 1162 du 3 décembre 1966
Avec l’aimable autorisation de Monsieur Pierre Lataillade, Maire honoraire d’Arcachon, propriétaire du Journal d’Arcachon.
Depuis près de deux ans, les Allemands sont installés à Arcachon dans les grands hôtels, et peu à peu, ils les évacuent pour la nuit et vont coucher dans des villas où ils se trouvent mêlés à la population.
Ils redoutent donc les bombardements de la Royal Air Force et ne veulent pas continuer à garder leurs hommes trop rassemblés. On parle périodiquement de l’évacuation de la ville. J’ai assez de peine à y croire car nous ne sommes pas et nous ne pouvons pas être un point stratégique. Notre présence protège les Allemands beaucoup plus qu’elle ne les dérange. Ils savent qu’il existe parmi nous des espions qui les surveillent et que des renseignements partent et arrivent en Grande-Bretagne, mais ils savent bien que ces hommes décidés s’arrangeront toujours pour rester sur place en cas d’évacuation ou tout au moins un bon nombre d’entre eux.
Un plan d’évacuation est fait, il doit même y en avoir plusieurs, car l’un se propose de nous faire partir à pied par la forêt.
Avec ce que l’on emporte lorsque l’on quitte sa maison, sans savoir si on la retrouvera, l’idée de ce voyage dans le sable mouvant et les dunes de notre forêt landaise, crée une très grosse émotion.
Pendant une quinzaine de jours, on ne parle pas d’autres choses et les familles qui comprennent des vieillards ou des impotents s’inquiètent beaucoup. Les jours passent, l’ordre d’évacuation n’est pas donné, les inquiets se rassurent et on change de sujet de conversation.
PARACHUTAGES
Notre groupement rattaché à l’O.C.M. prend une existence légale en ce printemps 1943, en étant reconnu par Londres.
Au cours de plusieurs émissions, nous entendons avec un plaisir très grand au moment des messages personnels, passer la phrase : « La vie est belle. ». Cette petite phrase est notre indicatif et c’est par elle que bien souvent, dans les mois qui suivront, nous désignerons la Résistance du Secteur du Bassin d’Arcachon.
Mais notre bataillon n’a pas encore une seule mitraillette, et cette question des armes préoccupe intensément le commandant et Robert. On cherche un terrain convenable pour le parachutage, on le trouve dans la région de Marcheprime, à un endroit qui s’appelle la Passe Brûlée, à trente kilomètres d’Arcachon.
Les avions anglais viendront le survoler et il est accepté. Il présente en effet tous les éléments possibles de sécurité, car l’ennemi le plus proche est à quatre kilomètres.
Tout le monde est enchanté, sauf Luc Gara qui, en inspectant les lieux, a fait une remarque judicieuse : il y a, paraît-il, une maison proche de ce terrain et on ignore tout des sentiments et opinions des gens qui l’habitent.
Six hommes d’Arcachon doivent participer à cette expédition : le commandant, Robert Duchez, Pierre Maurange, Jean Cazauvieilh et Lucien Pinneberg, une femme doit se joindre à eux, Mme de Luze, qui accompagne son mari. Deux hommes viennent de Bordeaux, Jean Duboué et un Anglais désigné sous le nom de Charles. Ils viennent pour faire les signaux et donner les explications pour une autre fois.
La réception des armes parachutées n’inquiète personne, la promenade est considérée sans péril et le fait que le commandant emmène sa femme en donne la preuve. Mais il y a une chose plus difficile, c’est ensuite d’amener ces armes et ces munitions de leur lieu de chute à Arcachon, sur trente kilomètres d’une toute très fréquentée et surveillée par les Allemands. C’est autour de cette question que tournent les conversations et s’agitent les préoccupations. L’intention du commandant est de rapporter ce matériel le lendemain matin, mais soldat discipliné, il m’envoie prendre à Bordeaux les instructions de Lucien Poirier. Celui-ci me dit que l’opération doit se faire en deux temps, un voyage par une équipe, pour recevoir les armes, un deuxième, autant que possible par une autre équipe, pour les transporter. Je transmets les ordres et sans discuter le commandant de Luze les met à exécution.
Nous attendons fébrilement le passage du message à la radio à 19 h 30, car il faut prendre le train à 21 heures et l’émission de 21 h 15 est trop tardive.
Deux soirs, nous écoutons pour rien en maudissant le brouillard infernal ; enfin le troisième soir, le 14 juin, nous entendons : « Le monde regarde avec horreur le monstre sauvage. » Il fait une soirée de juin magnifique et un beau clair de lune. Mes amis s’en vont en emmenant leur bicyclette, car une partie du trajet doit se faire avec. Certains partent à la gare d’Arcachon, d’autres à celle de La Teste, pour ne pas attirer l’attention. Ils seront tous sur le terrain vers 23 heures, comme convenu, et l’avion doit passer entre minuit et une heure.
Ils reviendront après 6 heures du matin puisqu’il est interdit de circuler avant.
Le lendemain, j’attends Robert avec impatience, il arrive très content, tout s’est très bien passé, quoique le rassemblement des « containers » ait demandé assez de temps, car ils sont tombés très éloignés les uns des autres ; il y en a sept, pesant environ 150 kilos chacun.
LE HUITIÈME PARACHUTE
Mais un épisode comique vient s’ajouter à cette première expérience de parachutage et nous l’apprenons quarante-huit heures plus tard.
L’équipe venue d’Arcachon était novice, et, se sentant loin des Allemands qui n’avaient alors aucun sujet de ses méfier, elle fut, selon les règles méridionales en général et arcachonnaises en particulier, très exubérante et bruyante. Obligés de ses séparer pour rechercher les « containers » et de se réunir pour les transporter, les six hommes s’appelaient à pleine voix sans aucune précaution.
Or, ils avaient compté sept parachutes, alors qu’en réalité, il y en avait huit, et le huitième ne descendait point des armes, mais un Anglais très habitué à ce genre de sport, c’est-à-dire à le voir pratiquer en silence. Entendant ce grand ramage et ces éclats de voix, l’Anglais pensa très logiquement du reste :
« Ça y est ! Les amis se sont fait prendre, et les armes sont ramassées par des gens qui ne risquent rien, parce qu’ils sont au service de l’ennemi. »
Il se camoufla sous son parachute et attendit les événements, revolver au poing.
Les « containers » rassemblés et dissimilés sous des broussailles, l’équipe, au nombre de neuf personnes se réunit aussi est s’installa pour un casse-croûte en attendant l’heure légale de prendre lechemin du retour.
Puis, à 6 heures, les néophytes du parachutage, s’égaillèrent dans plusieurs directions pour revenir chez eux.
Lorsqu’il n’entendit plus rien, notre Anglais émergea de son parachute et regarda autour de lui, ne sachant pas où se diriger car il ne connaissait pas, naturellement, ce coin-là. Mais à la même heure et dans le même rayon, un autre homme circulait aussi avec une certaine curiosité. C’était le propriétaire ou le locataire de la maison qui avait inquiété Gara, il avait entendu l’avion et un remue-ménage suspect. Et les deux hommes se rencontrèrent.
– Que faites-vous sur mon champ à pareille heure ?
– Je me promène.
– Pas d’histoires ! Vous êtes un parachutiste, j’ai entendu l’avion cette nuit !
L’Anglais braqua son revolver. L’homme sourit :
– Non, ne vous inquiétez pas, il y a encore des Français en France, venez chez moi.
Il le mena chez lui, le fit laver, manger, reposer et le conduisit ensuite à la gare de Marcheprime.
Cette petite histoire racontée par l’Anglais le même jour, dès son arrivée à Bordeaux, nous amuse beaucoup et nous la répétons avec complaisance à tous ceux qui sont naturellement dans le secret de l’expédition.
Huit jours après, les armes arrivent à Arcachon sans dommage, dans une camionnette de ravitaillement précédée d’une autre chargée de veiller à la sécurité de la route. Si la première est arrêtée, un signal convenu, Gara assis à l’arrière, doit sortir son mouchoir, doit permettre à la deuxième de faire demi-tour.
OÙ METTRE LES ARMES ?
Il y a eu plus tard, en 1944, d’autres parachutages et d’autres transports, mais j’en entendrai parler incidemment et n’en ai conservé que de très vagues souvenirs.
Une équipe régulière de parachutages sera formée avec Fernand Bazergue, René Irinitz, François Soulatge, Castillon, Lissayou et Wattez. Cette équipe travaillera dans la région de Marcheprime ; avec le concours des résistants de Facture et de Biganos et ensuite elle ira à Bordeaux et opèrera pour la région. Elle compte à son actif vongt-sept parachutages, plus des transports et bien des sabotages.
Pour en revenir à nos premières armes, on les enterre d’abord au Moulleau, derrière le Préventorium « La Dune », de la ville de Bordeaux. On les sort fréquemment pour les entretenir et les empêcher de se rouiller, mais ce genre d’exercice présente des dangers dans ce coin de forêt ouvert à tout venant et où les Allemands circulent aussi.
Le directeur du Préventorium autorise le commandant à les placer à l’intérieur du parc clôturé, mais un enfant de l’établissement a vu enterrer quelque chose. Ne tenant pas particulièrement à être fusillé, le directeur demande que l’on enlève au plus tôt cette indésirable marchandise.
Qu’en faire ?
On pense à Mme Juliette Cailleteau qui, il y a déjà longtemps, s’est mise à la disposition de la Résistance et qui habite tout près, la villa « Irène ».
Consultée à ce sujet, elle accepte avec empressement ainsi que son mari. Les « containers » sont placés dans leur jardin, ils y resteront des mois et seront transportés pour leur dernier voyage dans une villa vide, où ils en rejoindront d’autres, sous un plancher, à l’abri de l’humidité.
Ces armes m’ont causé des insomnies, car je pensais qu’à force de tourner autour d’elles, un groupe, un jour, se ferait ramasser.
Une mitraillette et un pistolet Colt sont gardés pour êtres montrés aux hommes qui devront les prendre un jour, en leur expliquant le maniement. Un jeune homme qui était sergent dans l’aviation, vient de revenir à Arcachon, Christian Campet. Il est maintenant inspecteur de police. Comme il a mis entièrement son activité au service de la Résistance, il se promène allègre et joyeux avec le Colt ou la mitraillette dans la sacoche destinée normalement aux papiers de la police.
DES LIVRES BIEN INNOCENTS
Je réclame et j’obtiens de petites brochures de propagande éditées à Londres, qui se trouvaient en beaucoup d’exemplaires dans les « containers ». Ce sont de toutes petites brochures, à l’aspect des plus innocents, sur la couverture de l’une, il y a comme titre : « Paul et Virginie », en haut le nom de l’auteur Bernardin de St-Pierre, en bas le nom et l’adresse d’un éditeur parisien, en tournant la couverture, on lit alors sur la première page : « Le Complot Laval-Pétain », et c’est uniquement de cela qu’il s’agit. La couverture de l’autre porte en titre : « Ce qu’une jeune fille bien élevée doit savoir ». Ces deux petits livres vont se promener sans arrêt pendant un an et ils auront un gros succès.
LES ÉVÉNEMENTS D’ALGÉRIE
Les événements qui se déroulent à Alger depuis le mois de novembre nous préoccupent.
Nous ne comprenons pas très bien, mais nous sentons que les choses ne marchent point comme nous le souhaiterions.
La radio nous annonce un jour la constitution d’un nouveau Comité de la Libération Nationale et la création, plus tard, d’une Assemblée consultative.
Cette assemblée rassemble une bonne partie des parlementaires de la IIIe République.
Nous sommes sans enthousiasme.
Non… pas d’argent…
Un édifice lézardé, vermoulu, s’est effondré par la faute de la guerre, c’est possible, mais surtout par la faute des politiciens qui se sont révélés incapables de le moderniser et de l’améliorer. Depuis trois ans, nous rêvons, quelles que soient nos opinions politiques, d’hommes nouveaux s’étant fait connaître par la Résistance et leur lutte contre l’ennemi. Nous pensons que la France doit être dirigée par ceux qui ont souffert et lutté pour elle, c’est-à-dire par les meilleurs, les plus courageux et les plus forts.
Et voici, tout d’un coup, revenus tous les vieux parlementaires, enfoncés dans leur routine, prêts à reprendre toutes leurs vieilles manœuvres et leurs petites combines, n’ayant aucune raison de plus, aujourd’hui qu’hier, de penser aux intérêts supérieurs de la France. Et pour que rien ne leur soit contesté, ils brandissent triomphalement le bleu avec lequel très timidement ils ont répondu « non » à Vichy, au maréchal Pétain !
Ce ne sont pas les hommes qui ont failli la mener à sa perte qui seront à la hauteur de la tâche qui doit être entreprise demain pour le redressement de la patrie.
Première et grande déception.
GRANDCLÉMENT VA-T-IL NOUS LIVRER ?
Au mois d’août, mon ami Georges Mailher vient m’annoncer l’arrestation de Grandclément. Je ne le connaissais que sous le nom de Bernard, mais je comprends de suite.
Nous l’attendions à Arcachon sous peu de jours. Il avait mon nom par l’Abbé Brunet et devait passer chez moi.
C’est une secousse pour l’O.C.M. qu’il dirige du centre de la France aux Pyrénées., mais nous ne doutions pas de lui. Nous apprenons qu’une souricière a été installée par la Gestapo à son domicile, cours de Verdun, et que plusieurs personnes y sont tombées, entre autres un séminariste, ami de l’Abbé Brunet, qui mourra en Allemagne. Lucien Poirier qui se trouve à Arcachon, m’envoie à La Tresne, prévenir un autre séminariste, l’abbé D… qui était en contacts très fréquents avec Grandclément. Il était déjà prévenu. Je fais une agréable promenade en campagne par une belle journée d’été.
Peu de jours après, nous apprenons que Grand Clément livre à la Gestapo les terrains d’atterrissages et les principaux dépôts d’armes de la Gironde et des Landes. On lui impute la fameuse affaire de Lestiac où Jean Duboé, qui était trois mois plus tôt à Marcheprime pour notre parachutage, est attaqué par les Allemands brusquement dans sa maison, où se trouve, en plus de sa femme, un officier anglais. Ils se défendent énergiquement, mais l’Anglais et Mme Duboé sont blessés et Jean Duboé est arrêté et ensuite déporté.
Grandclément va-t-il nous livrer ? C’est la question qui se pose à nous très naturellement. Le commandant m’envoie chercher à Bordeaux de fausses cartes d’identités pour ceux d’entre nous qui sont connus de l’homme qui vient de passer à l’ennemi. Il me remet plusieurs photos, me dit de demander directement celle de Robert et de l’abbé qui se trouve en vacances à Arcachon.
Il ajoute :
– Vous porterez également deux photos de vous, car il faut que vous soyez aussi prête à partir au premier signal.
– Ce n’est pas la peine, mon commandant. Je ne veux pas m’en aller. Je n’ai plus grand chose à faire maintenant, il est très peu important que je sois arrêtée.
– Vous croyez ? Et si on vous fait parler en vous arrachant les ongles ?
– Bien, mon commandant, je prendrai une carte pour moi, et partirai si vous le voulez.
Ces ongles arrachés sont une hantise !
Le lendemain soir, je rapporte les fausses cartes en blanc et le jour suivant, l’abbé, Robert et moi, les remplissons en riant. Nous devenons Joseph Blondel, Raymond Dumas et Madeleine Bouran, car il est toujours mieux de conserver ses initiales.
Mais rien ne se passe dans notre ville ; Grandclément n’a pas parlé de nous. Nous apprenons qu’il est remis en liberté et semble vouloir reprendre son activité. On se méfie immédiatement de tous ceux qui l’approchent. Des bruits circulent, on raconte que des sommes très fortes sont passées dans ses mains et qu’au lieu de les répartir selon les besoins de la Résistance, il a détourné des millions pour son usage personnel. L’argent a déjà commencé son travail de corruption. Je me réjouis de la pauvreté de notre groupement, nous n’avons pars d’argent, cela n’a pas nui le moins du monde à notre recrutement. Mais ainsi que nous pourrons dire bien haut et bien clair, un jour, que personne n’a touché un centime pour avoir servi la Résistance du secteur du Bassin d’Arcachon.
NON, PAS D’ARGENT
Il y a quelques mois, Victorin, qui a changé de nom et s’appelle maintenant Valentin, car il y a eu des arrestations dans le réseau, se méfie et m’a demandé si j’avais besoin d’argent pour obtenir les renseignements qu’il vient chercher régulièrement.
Je lui réponds brusquement :
– Non, surtout, ne parlez pas de çà. Le remboursement des frais, quand il y en aura, oui, mais en ce moment, je ne crois pas qu’il y en ait. Edgar Goutard fait une certaine consommation de papier pour ses plans, vous lui en parlerez à l’occasion.
Le remboursement des frais engagés par quelqu’un qui n’est pas riche est chose naturelle et j’ai pour ma part toujours accepté très simplement que le commandant de Luze me rembourse le montant des voyages qu’il me fait faire. Mais le travail lui-même ne doit pas être payé. A quel taux en effet peut-on rétribuer un travail qui compromet la liberté et souvent la vie de celui qui l’accomplit ? Je sais bien que dans beaucoup de milieux résistants, on en a décidé autrement. J’ai vu en déportation des jeunes femmes qui touchaient mensuellement des sommes très fortes pour faire le métier d’agent de liaison. Cela leur permettait de mener une vie de luxe, de se payer toutes leurs fantaisies et d’avoir avec elles, comme vestiaire, sacs, etc. de très belles choses, alors qu’elles étaient de condition très modeste.
Or je suis absolument convaincue qu’elles auraient fait la même chose pour rien, c’est-à-dire pour le remboursement de leurs frais, qu’elles auraient peut-être même travaillé davantage et mieux, n’ayant pas l’esprit occupé par les babioles que procure l’argent.
Elles auraient été en tous cas plus haut dans mon estime et certainement aussi dans la leur, ce qui est encore plus important.
En répandant l’argent inconsidérément, on pervertit les âmes et on rabaisse els hommes.
ON RAFLE LES JEUNES
Les Allemands raflent tous les jeunes gens susceptibles de leur procurer une main-d’œuvre dont ils ont grand besoin. La classe 1942 est requise tout entière pour ce service forcé.
Mon jeune ami, André Perdriat en fait partie et reçoit les papiers qui le convoquent à Bordeaux pour une visite médicale.
Je lui demande ce qu’il compte faire.
Il me répond avec la force d’une volonté sûre d’elle-même :
– Je vais à Bordeaux demain, voir si je peux être réformé, mais si je suis bon pour partir en Allemagne, ils peuvent être tranquilles, je n’irai pas.
– Où irez-vous alors ? Car vous ne pourrez pas rester ici.
– J’irai passer la fin de l’été à la campagne, après on verra…
Pris bon naturellement pour le travail en Allemagne, il quitte Arcachon à l’heure réglementaire comme s’il allait suivre les consignes de l’ennemi et, à Bordeaux, s’en va dans une tout autre direction.
Il reviendra, dans la nuit d’un soir d’automne chez ses parents, s’enfermera dans sa chambre, n’en bougera que pour venir chez moi après la nuit tombée et partira au printemps de 1944 pour rejoindre à Bordeaux des équipes de Sabotage.
MON 50e ANNIVERSAIRE
Le 9 septembre, je célèbre, entourée de quelques amis, mon cinquantième anniversaire. On me porte des fleurs et des cadeaux ; mes amis, hommes et femmes, me sont extrêmement chers, leurs cadeaux me font plaisir, mais je leur fais remarquer que le plus beau de tous est la capitulation de l’Italie survenue la veille.
Cette nouvelle nous remplit de joie, nous ne soupçonnons pas qu’il va falloir près d’un an avant que notre région soit libérée et que mon prochain anniversaire se passera à Ravensbrück ! Inutile d’ajouter sans fleurs ni cadeaux. C’est un des grands avantages de notre condition humaine est d’ignorer l’avenir et de pouvoir prendre sur lui des hypothèques qui embellissent le présent.
ARRESTATION AU RÉSEAU JOVE
Valentin passe dans la soirée, il est préoccupé. Comme l’O.C.M., le réseau Jove est secoué par des arrestations et tous les militants sont surveillés et menacés. J’admire toujours son calme et son sourire paisible. Je lui parle des tortures infligées par les Allemands pour faire parler les prisonniers.
– Ce doit être atroce, dis-je.
– Il ne faut rien exagérer, répond-il tranquillement. Les forces de l’homme sont limitées. Quand la souffrance devient trop grande, on s’évanouit et on ne sent plus rien.
Il me dit qu’un message de remerciements passera pour nous à la radio et que nous sommes le groupe d’Arcachon désigné sous le nom de « Maximilien ».
Quelques semaines plus tard, alors que nous n’y pensons plus, nous entendrons parmi les messages personnels de la B.B.C. :
« Nous remercions l’Hirondelle et Maximilien du bon travail et les prions de continuer. »
Il me fixe un rendez-vous pour le vendredi suivant et part après avoir introduit dans le cadre de sa bicyclette les papiers que je viens de lui remettre.
Le vendredi fixé, je l’attends en vain. Il ne vient pas. Comme il est aussi exact qu’un chronomètre, j’ai plus qu’un pressentiment, la quasi certitude qu’il est arrêté, car si un changement s’était produit dans ses projets, c’est arrivé, déjà, il m’aurait écrit. Pas une minute mon inquiétude ne s’égare sur notre petit groupe d’Arcachon, je sais que Valentin ne parlera pas. Mais lui ? Que va-t-on lui faire ?
Deux semaines plu tard environ, je vois entrer Charles Viot qui arrive de Toulouse.
Je bondis :
– Vous avez des nouvelles de Valentin ?
– Non. Nous sommes inquiets ; je viens voir si vous en avez. Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?
Je cite la date. Il l’a vu le dernier, car il était à Toulouse deux jours après être venu à Arcachon. Il me promet de me donner des nouvelles dès qu’il en aura lui-même.
Quelques jours plus tard, une lettre en style de circonstance m’apprend que Valentin est entré dans une clinique à Nice, mais le chirurgien n’a pas jugé son cas très grave et sa vie n’est pas en danger. Je pousse un grand soupir de soulagement.
LE CHOIX DES HOMMES
Pour notre mouvement, soit sur le plan local, soit sur le plan régional, la trahison de Grandclément a tout bouleversé.
Nos armes étant très insuffisantes, on s’était occupé d’obtenir un deuxième convoi et le message qui devait l’annoncer était attendu d’un jour à l’autre, au mois d’août, au moment de l’événement fatal.
L’Anglais René qui, à Bordeaux, assurait la liaison avec le War-Office, regagna vivement l’Angleterre, nous laissant absolument coupe de toutes communications. A Bordeaux, tous les hommes qui ont eu des rapports avec Grand Clément se sont dispersés et c’est élémentaire prudence. Bref, pour nous, nous sommes de nouveau isolés.
L’automne passe dans ces conditions et, à l’approche de l’hiver, Léon Poirier, se sentant de plus en plus poursuivi, décide de gagner Alger par l’Espagne. Il cherche quelqu’un à qui remettre la direction régionale de ce qui reste de l’O.C.M.
Nous entendons parler d’un certain Lormont et le commandant de Luze et Robert Duchez vont à Bordeaux afin de prendre contact avec lui.
Vers 19 heures, ce soir-là, j’entends monter par l’escalier qui mène à ma salle à manger, les amis qui entrent par derrière. Je vois arriver sans trop de surprise le commandant, Mme de Luze et Robert qui ferme la marche.
Ils arrivent tout juste de Bordeaux et Robert me dit :
– Vous ne savez pas qui est Lormont ?
– Évidemment non.
– C’est Untel !
Et il me rappelle une affaire de détournement de fonds qui a valu à son auteur une condamnation infamante et six mois au fort du Hâ. Nous sommes consternés du choix de Lucien Poirier, car sans vouloir exclure Lormont de la Résistance à laquelle il peut rendre certainement des services, il nous paraît de très mauvais goût de le mettre au premier poste.
À Arcachon, nous serons absolument unanimes sur ce point, malheureusement Bordeaux aura une autre attitude.
À la fin de décembre, je vais un dimanche après-midi au Moulleau, voir M. et Mme de Luze. Je tombe sur Lormont qui s’y trouve déjà. J’ai eu l’occasion à Bordeaux de dire que sa candidature au premier poste me semblait tout à fait indésirable et mes propos lui ont été répétés. Comme avec assez d’inconscience, il me demande des explications, je les lui donne sans ambages :
– Un jour viendra, lui dis-je, où, sortant de l’ombre, la Résistance surgira au grand jour et où les pseudonymes disparaîtront. Ce jour-là, il faut que les hommes qui paraîtront à la tête de nos groupements soient indiscutables.
Il est assez pénible de penser qu’un raisonnement aussi simple et que l’honneur exigeait, soit resté sans écho.
Mais le destin se joue parfois de la volonté des hommes.
Dans les tous premiers jours de janvier 1944, Lucien Poirier emmène Lormont à Paris pour le présenter aux chefs nationaux de l’O.C.M. A peine arrivé, Lormont meurt d’une embolie. Je crois qu’il n’avait pas 40 ans.
JOËL REMPLACE VALENTIN
Ne voulant plus différer son départ, Poirier passe alors le commandement de Bordeaux au commandant Édouard de Luze. Depuis Arcachon, ce n’est pas un travail très commode et notre patron multiplie à ce moment-là, ses voyages à Bordeaux et il en fera également à Paris, avec Robert Duchez.
Depuis le mois de septembre et l’arrestation de Valentin, nous sommes également coupés du réseau Jove et, de ce côté-là, nos bonnes volontés restent inemployées. Pas trop longtemps cependant, car Charles Viot arrive de Toulouse pour m’annoncer que Valentin a un successeur qui viendra chez moi avec le mot de passe suivant :
« Je viens de la part de Viot et du capitaine Jean. »
Au début de décembre, Joël (Pébarthe, instituteur à Bordeaux) vient comme convenu et passera aussi régulièrement que son prédécesseur. Il est plus froid, moins confiant que ne l’était Valentin, mais ses yeux clairs ont une énergie farouche et j’aime la pression ferme et prolongée de sa poignée de main.
Je saurai bientôt qu’il est père de cinq enfants et que cela ne l’empêche pas de courir les plus grands risques.
Il fait la connaissance chez moi d’Edgar Goutard et de Luc Gara. Les nouveaux plans de Cazaux arrivent ainsi que les renseignements. Les Boches se savent surveillés et ils transforment continuellement le camp, ce qui fait qu’un plan, au bout d’un mois et souvent avant, n’est plus exact, tout a changé de place.
CAZAUX EST BOMBARDÉ
Un gros bombardement du camp de Cazaux a lieu au cours de cet hiver.
À Arcachon, pourtant bien près, nous n’entendons pas les bombes, mais nous entendons les avions et sortons précipitamment pour les regarder. Il est environ 13 heures. Il fait un temps splendide ; les avions brillent dans le soleil, leur mission est accomplie ; ils regagnent la mer pour rentrer chez eux. Rien ne s’oppose à leur marche victorieuse. Arcachon, en joie, les admire. Mais la joie sera encore plus grande quelques heures plus tard lorsque les ouvriers qui travaillent au camp, apporteront la nouvelle des gros dégâts qu’il vient de subir.
Pour ceux du réseau Jove, il y a encore une satisfaction supplémentaire. La semaine suivante, en effet, Joël m’arrive rayonnant. Il a reçu des félicitations de Londres, car le bombardement a eu lieu d’après le plan remis par Edgar Goutard tout récemment, et les Anglais sont très satisfaits des résultats obtenus. Cela nous enchante. Il faut bien aussi avoir des heures de joie.
CONSEILS DE PRUDENCE
Un peu plus tard, Joël me porte une lettre dactylographiée sur papier portant les armes de la Grande-Bretagne. Cette lettre s’adresse à l’Hirondelle pour la remercier et lui conseiller la prudence. C’est à titre symbolique que cela s’adresse à moi, car je ne suis dans cette affaire qu’une boîte aux lettres et un lieu de rendez-vous commode, les remerciements s’adressent surtout à ceux qui ont fourni les renseignements.
Je pense aux maisons que les Boches transforment en souricières et je préviens Joël pour qu’il regarde en venant du cours Tartas en face de lui chez mes voisins Gruot. Si un foulard basque à fond rouge que je lui montre est étendu sur un fil cela voudra dire que j’ai été arrêtée et qu’il y a danger.
Mais malgré cela, l’Hirondelle ne suivra pas les conseils de prudence donnés par l’Intelligence Service.
ARRESTATION DES JUIFS
Le lundi 10 janvier 1944, vers 22 h 30, j’écris chez moi en écoutant la radio. Soudain on frappe violemment aux volets de ma porte, je descends vite et ouvre. C’est ma voisine et amie Yvonne Gruot qui m’annonce qu’on vient pour arrêter sa fille et son petit-fils. Je demande immédiatement qui ? Elle me répond que c’est la police française. C’est de simple évidence, car la Gestapo ne la laisserait point sortir pour venir me chercher. Cette déclaration me rassure.
Je reconduis chez elle mon amie affolée. Elle et son mari dormaient, comme il est normal à cette heure-là et deux agents les ont réveillés pour leur réclamer ce qu’ils ont de plus cher au monde avec un fils prisonnier.
Leur gendre, étranger et israélite, est parti en effet et se dissimule à Montauban ; alors on recherche comme orages sa femme et son fils.
La Veille, dimanche, nous étions tous réunis chez la famille Duchez pour célébrer les cinq ans d’Huguette Duchez, fille de Robert. Mais ce matin même, la fille de mes voisins est repartie pour Bordeaux qu’elle habite et Didier, le petit garçon, qui a six ans, a regagné la villa « Sémiramis », pension d’enfants où il est élevé.
La situation n’est donc pas catastrophique, puisque mes amis, ce soir, sont seuls chez eux. Les agents sont repartis chercher des ordres. Peut-être ne reviendront-ils pas ?
Je fais se recoucher mon amie en essayant de la rassurer. Mais un des agents revient et déclare qu’il à l’ordre de prendre l’enfant et qu’il faut le conduire à la pension où il se trouve. Je ne connais pas cet agent. Je le regarde : il a un visage tout triste et n’a rien d’une brute. J’en profite pour lui faire des mauvais compliments :
– Vous faites, Monsieur, un bien sale métier !
Il me répond absolument désemparé et consterné :
– Mais, Madame, nous sommes obligés de faire ce qu’on nous commande.
Je passe devant lui, descend l’escalier, saute chez moi sur un ciré et un capuchon, car il pleut, et à toute allure, je file vers la villa « Sémiramis ».
La directrice, Mme Pouget, n’est pas couchée. Je lui explique la situation et réclame l’enfant vite, vite. Douce et paisible, pleine de sang-froid, elle réveille l’enfant et l’habille avec toutes les préoccupations qu’exigent pour sa conscience, l’heure et la température.
Je trépigne. On ne trouve pas son capuchon. Je déclare que c’est sans importance.
– Mais il pourrait s’enrhumer.
– Cela m’est bien égal qu’il s’enrhume !
Heureusement, on trouve le capuchon et nous partons.
Alors en pensant à la bizarrerie de mon comportement, Mme Pouget se demande tout à coup avec inquiétude si je ne suis pas devenue folle. Mais un quart d’heure après mon départ, un nouveau coup de sonnette vient confirmer mes dires.
Comme elle avait fait pour moi, Mme Pouget interroge d’une fenêtre du premier étage et lorsqu’on lui dit qu’on vient chercher Didier, elle répond toujours paisible à la grand-mère pleine d’angoisse :
– Mais à quoi pensez-vous, ma chère amie, vous savez bien pourtant qu’il est parti ce matin avec sa mère.
J’ai quitté la villa après 23 heures, c’est-à-dire après l’heure du couvre-feu, et dans ma précipitation, je n’ai point pris de sac et n’ai pas ma carte d’identité. Je parcours la ville d’hiver tenant l’enfant par la main en ayant la peur atroce de rencontrer une patrouille. Mais les allées sont désertes, toutes les villas obscures et silencieuses.
Une petite voix me demande :
– Où allons-nous ?
– Chez Huguette, mon chéri.
Un mouvement de joie accueille ma réponse. Didier est content d’aller retrouver sa petite amie. C’est en effet à la famille Duchez que je vais le confier.
Robert part le lendemain matin pour Paris, avec le commandant. Il dort comme quelqu’un qui doit se lever de bonne heure. Je frappe assez doucement à la fenêtre de sa chambre. Nous l’entendons remuer et il demande :
– Qui est là ?
– Marie. Ouvrez vite !
Il ouvre. Je le mets au courant rapidement de la situation. Je lui passe l’enfant qu’il prend dans ses bras. Je lui souhaite bon voyage et repars, le pied léger et l’esprit tranquille.
Maintenant je me moque éperdument de toutes les patrouilles.
Je croyais qu’il s’agissait d’un cas individuel et que cet enfant et sa mère étaient seuls recherchés. Ce n’est pas cela du tout. En ce soir du 10 janvier, les Allemands ont organisé une grande rafle des Juifs que rien ne faisait prévoir quelques heures avant l’ordre brutal, arrivé vers 21 h 30 pour exécution immédiate. La liste comporte 70 noms d’hommes, de femmes de tous âges, et d’enfants.
Situation tragique pour notre police locale obligée d’obéir en travaillant à limiter les dégâts au maximum.
Le lendemain, Christian Campet me parle de la nuit affreuse qu’il vient de passer. Onze arrestations ont été opérées, sur soixante-dix, c’est ce que l’on peut appeler du bon travail qui prouve que ces postes si difficiles à tenir, étaient mieux dans les mains de bon français, que dans celles de collaborateurs.
Mais le 11 janvier, il reste maintenant à faire partir d’Arcachon, le plus vite possible, tous ceux qui sont passés à travers les mailles du filet. Nous nous affairons autour de ma table à fabrique de fausses cartes d’identité et à changer la couverture des titres d’alimentation. Christian, vers midi, s’est encore emparé sans scrupules des cachets de la mairie et de la police. On tamponne rapidement les cartes et l’après-midi on les écrira, après quoi, on s’assiéra dessus, on les frottera pour leur donner l’apparence d’avoir servi depuis longtemps.
Dès le 12, les malheureux traqués quitteront une région devenue malgré elle, inhospitalière, et Christian accompagnera les plus âgés jusqu’à ce qu’ils soient en sécurité.
MISSION À PARIS
À ce moment-là, le commandant de Luze et le capitaine Duchez sont à Paris. A l’automne, Robert était allé en Dordogne voir un de nos amis que la politique avait conduit avant la guerre, assez souvent à Arcachon, Charles Serre. Il l’avait déjà vu plusieurs fois depuis l’occupation et nous savions qu’il était membre du Conseil National de la Résistance. Par lui, nous avions appris bien des choses sur cet organisme et qu’il était présidé par Georges Bidault. Organisation des maquis de la Dordogne Nord, dirigeant à Paris un journal clandestin « Résistance », Charles Serre trop menacé a été obligé de partir à Paris. C’est lui que viennent voir les deux chefs de notre groupement pour essayer de retrouver une liaison à l(heure où il n’est plus possible de continuer l’O.C.M. à cause de la présence de Grand Clément, autour de ceux qu’il n’a pas encore dénoncés.
Avec Charles Serre se trouve un homme dont la barbe, la figure et l’accent sont très connus des Bordelais, Pierre Dumas rédacteur avant la guerre à « La Petite Gironde ». Il a milité à Toulouse sous le nom de Saint-Jean et va venir sous peu à Bordeaux. Il doit s’occuper du M.U.R. (Mouvements Unis de Résistance), et travailler à unifier la région bordelaise et prendra dès son arrivée contact avec Robert Duchez. En plus nous recevrons tous les mois, de mille à trois mille numéros du journal « Résistance ».
Nous sommes très heureux de ne plus être isolés, on espère surtout pouvoir obtenir les armes indispensables à notre bataillon. Nous changeons de nom pour la troisième fois et sommes maintenant « Résistance ».
BRASSARDS, CROIX DE LORRAINE ET DRAPEAUX
Dans le cours de l’année 1943, nous avons travaillé à la confection de brassards en utilisant une vieille voile de bateau. Nous sommes très loin d’avoir le nombre voulu et nous nous remettons au travail. C’est un petit sport facile qui ne concerne que les femmes.. Le commandant me fixe le chiffre de six cents, mais nous ne pourrons pas l’atteindre, car le ruban tricolore va nous manquer.
Cependant nous fabriquons environ 550 brassards.
Je les porte en plusieurs fois, car ils font un certain volume, à mon ami Lucien Pinneberg, imprimeur, qui va graver en noir sur le blanc du ruban les lettres « F.F.I .» et « R » de notre nouveau nom. Il doit cacher chez lui tout le stock des brassards et les cachera bien, car les Allemands ne le trouveront pas en perquisitionnant chez lui après l’avoir arrêté.
Presque tous les matins depuis longtemps déjà, on peut voir les chefs de la Résistance causer paisiblement devant la mairie. Ils sont trois et quatre le jeudi et les jours où Robert n’est pas à son école. Un peu avant ou un peu après, on les trouve aussi devant chez le garagiste Aubert… qui fabrique en ce moment dans son atelier des croix de Lorraine en métal pour les casques et les bérets des F.F.I.
Le pasteur Angevin vient me voir et trouve sur un meuble un casque avec une croix de Lorraine. Robert vient de me le laisser pour le reprendre un peu plus tard.
Il m’a dit :
– C’est Aubert qui a posé cette croix, il en fabrique beaucoup en ce moment, mais naturellement n’en dites rien.
Le pasteur s’extasie :
– À moi, Monsieur le pasteur, portez-moi votre casque et trois jours après vous viendrez le reprendre ici.
Le jour suivant, je suis en possession du casque, le porte au garage et très ponctuellement, je reviens le chercher le troisième jour.
– Je ne l’ai plus, me dit Aubert, le pasteur est venu le prendre lui-même pour ne pas vous déranger.
Et voilà comment tout se savait et tout se propageait, dans la Résistance et en dehors, sans qu’il ait jamais été possible d’empêcher nos bavards de parler !
Une de mes amies, Paulette Marchat, qui a travaillé aux brassards avec une très grande célérité, me parle un jour de drapeaux de dimensions moyennes qui sont à ventre par jeux de trois : français, anglais, américain. C’est très intéressant. Il faut les acheter, cela nous permettra de pavoiser le jour le la libération. Seulement, il faut une croix de Lorraine sur le drapeau français pour le purifier de tous les contacts infâmes des collaborateurs, de la légion antibolchévique, etc. Mon voisin et ami se charge de ce travail et peint en jaune une croix de Lorraine sur les drapeaux. Les jeux de trois s’enlèvent, d’autant plus facilement qu’ils ne sont pas chers du tout, pour le moment où nous sommes. Ce sont certainement des vieux stocks de 1918, mais ils se trouvent tout à fait d’actualité. Il nous manque malheureusement le drapeau russe.
JOURNAUX CLANDESTINS
Nous commençons à recevoir nos journaux clandestins de Paris. Ils sont adressés à Monsieur Georges Biard à Arcachon. Georges Biard est le pseudonyme qu’utilise depuis peu de temps Robert Duchez. Pour retirer ce volumineux paquet de la gare, il faut naturellement la complicité des cheminots. Elle est très facilement obtenue et un jeune chef de groupe, Pierre Allard va retirer le colis et se charge de le porter chez le garagiste Aubert ou de faire lui-même la distribution. Sur le Boulevard de la Plage, Suzanne Darrigade qui tient un magasin de papeterie et journaux, ajoute ce supplément gratuit à tous les clients qu’elle connaît et fait une très forte distribution.
Elle est avec nous depuis le début et a beaucoup travaillé au recrutement du Front Souterrain.
Très bien rédigé, donnant de très intéressants renseignements sur l’Allemagne et la vie clandestine en France, le journal « Résistance » se répand très vite sur Arcachon. Après la réception de notre premier numéro, nous apprenons une très mauvaise nouvelle, nos amis Charles Serre et sa femme ont été arrêtés à Paris. Ils seront ensuite l’un et l’autre déportés en Allemagne. Nous craignons de ne plus recevoir le journal, mais la vie du mouvement n’est pas interrompue, un ami de Charles Serre, le capitaine Pucheu qui possède une villa à Arcachon, s’occupe de nous et nous continuons à recevoir « Résistance ». Le capitaine Pucheu sera du reste lui aussi arrêté et déporté.