Lubec

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De Lubec à Marcheprime à petits pas

Au milieu des landes, se trouve le bois de Lubet, un des très rares bois de la région. Le Seigneur de Certes est le propriétaire de ces landes. Il vient de mourir le 22 juillet 1757, dans son château de Crazanne en Saintonge. Son fils, Eymeric François, alors âgé de 30 ans, hérite des titres de son père et des immenses landes de Certes. Le jeune marquis est doué d’une large ouverture intellectuelle et d’un tempérament réalisateur. En outre, par son brillant mariage avec Marie-Françoise de Pardaillan Gondrin, petite-fille de la fameuse Marquise de Montespan, il appartient aux plus hauts rangs de l’aristocratie de Versailles et de Paris où il réside d’ailleurs.

À cette époque, un mouvement idéologique d’avant-garde se développe à Paris dans ces milieux. Il s’intitule physiocratique. Les physiocrates soutiennent que la terre est seule source de richesse et nullement l’artisanat ou le commerce. Ces idées nouvelles sont faites pour stimuler l’imagination créatrice du marquis. Nous pensons qu’elles ne sont pas étrangères à la fondation de Lubet puis, quelques années plus tard, à la création des marais salants qui vont si profondément bouleverser les familles ainsi que la topographie d’Audenge.

Dès le décès de son père, Eymeric François Durfort fait savoir qu’i1 donnerait volontiers des terres en bail à fief à tous ceux qui accepteraient de défricher et mettre en culture la lande de Lubet. En fait le marquis donne sa lande à ceux qui veulent bien la coloniser. Ces terrains perdus à plusieurs kilomètres de toute vie, très difficilement accessibles par des chemins sablonneux incertains, ne valent pas pipette ; personne ne répond aux offres du marquis.

Enfin, on trouve à Massan, dans la paroisse de Biganos, qui est alors dans la seigneurie de Certes, un couple de paysans qui accepte la proposition. Ils s’appellent Jacques Gauguet et Suzanne Meynard ; ils ne sont ni de Biganos, ni du pays mais viennent de la région de Soulac. Ils se sont fixés là, à Massan, en attendant peut-être de pouvoir trouver une terre dont ils pourraient devenir les propriétaires.

Le 27 mai 1758, Jacques Gauguet prend donc un bail à fief dans la lande de Lubet. Il s’installe avec sa femme et ses premiers enfants en un lieu qui s’appelle aujourd’hui Ramouniche. Il ne possède rien, ni animaux de trait, ni matériel et, on peut imaginer, au prix de quelles difficultés, le couple parvient à dessoucher retourner la terre, la préparer et la mettre en culture. Ce labeur n’est pas vain.

En effet, quelques années plus tard, en 1765, Marie, l’ainée des enfants, est arrivée à l’âge du mariage. Elle a 18 ans. On lui fait épouser un garçon de Lanton qui n’a plus ses parents. Il accepte de venir aider les Gauguet et de vivre avec eux. Son nom est Jacques Ramon mais on l’appelle Ramouniche. Ses descendants s’appellent Raymond. Alors, on vit à huit dans des conditions que l’on va voir.

Jacques Gauguet – communément appelé Massan – meurt deux ans plus tard et Suzanne Meynard peu de temps après, au cours de l’été 1767.

Ramouniche prend la charge de la famille soit trois garçons et une petite fille de 6 ans, tous mineurs. Il sait qu’il est nécessaire de faire l’inventaire des biens hérités par les mineurs, car, en ces temps lointains, la seule protection sociale connue concerne les biens des mineurs. Si d’ailleurs, Ramouniche avait ignoré l’obligation de l’inventaire, le Procureur d’Office de Certes la lui aurait imposée.

Mais, il n’y a à Certes ou Audenge aucun notaire susceptible d’établir les inventaires. Ramouniche pense à Messire Jean Dunouguey, notaire à Gujan, qui l’a marié, deux ans plus tôt. Il le prie de venir.

Maître Dunouguey, qui doit être nommé Juge de Certes, quelques mois plus tard, fixe au 3 septembre la date de son déplacement. Lorsqu’il arrive à Lubet, Jean Dunouguey ne peut cacher sa surprise. Il aperçoit, au milieu de l’airial, une cabane fermée de brande et couverte de paille, semblable à celle qui abrite ses bestiaux de Gujan. C’est la maison des Gauguet.

Jean Dunouguey renonce à l’usage du français et s’exprime en patois afin que chacun puisse le comprendre. Il s’inquiète d’abord des véritables noms et prénoms des uns et des autres car il se méfie de l’usage généralisé des surnoms.

Ramouniche confirme qu’il s’appelle bien Jacques Ramon et il précise les noms de ses beaux-parents. D’ailleurs, il apporte pour preuve son contrat de mariage sur lequel Maitre Dunouguey retrouve sa propre signature à côté de celles de Gauguet et de Ramon. Et Messire Dunouguey se dit que ces paysans si misérables sont décidément plus évolués que ces marchands d’Audenge qui sont à peu près tous incapables de signer de leur nom.

Le notaire demande les noms des enfants. Ramouniche hésite car les enfants portent eux aussi des surnoms plus ou moins bizarres qu’il ne dit pas au notaire. Sans trop de risques d’erreur, il déclare : Pierre, Pierre, Marie et Jean.

Plus tard d’ailleurs, lorsqu’il marie la petite dernière, il déclare qu’elle se nomme Andrive ; nous dirions Andrée.

L’inventaire commence. Il est rapide mais très précis et détaillé. Le mobilier est composé d’une table de bois de pin avec ses pieds, cinq petites chaises, un coffre de bois de noyer fermant à clé, un seul lit avec « coète », une couverture et rideaux.

Ce qui signifie que les jeunes mariés et les enfants dorment dans la paille dans une des deux cabanes de brande située près du logis principal. Il y a aussi un linceul (drap) et une nappe.

Et d’autre part, deux chaudrons en cuivre, une crémaillère, deux pots de fer et un petit poêlon.

Le matériel agricole est plus complet : une araire, un joug, une charrette, une herse et « un trésor », la jument de quatre ans qui vaut seule, plus que tout le reste ensemble. Enfin, une faux, une « marre» (pioche), une « dalhe » (faulx), deux haches.

Le notaire note enfin « 47 boisseaux de blé qui doivent servir à la nourriture dans le cours de la présente année » et évalués 376 livres.

Il n’y a ni chèvre, ni mouton ; le fief n’avait pas été donné pour l’élevage. Le notaire ne note pas non plus la présence de volailles. Elles sont destinées à la consommation familiale et n’ont pas de valeur vénale. Tel est le patrimoine des premiers habitants de Lubet.

Le nom de Gauguet va disparaître d’Audenge. Dans la famille même, on l’oublia. On ne trouve trace que du fils ainé car, en 1773, il est installé à Mimizan lorsqu’il vend à Ramouniche sa part d’héritage évaluée à 100 livres.

Peu de semaines après le décès de Jacques Gauguet, le 24 décembre 1767, le marquis de Civrac trouve une seconde famille qui vient s’installer à Lubet. Pierre Larrieu, qui était jusque-là marinier à Certes puis pasteur de brebis, sa femme, Catherine Lartigue, et leurs enfants s’installent un peu plus loin au lieu de Pujau Boutic. Ce premier Larrieu meurt jeune en 1773, âgé de 40 ans. Deux de ses fils se fixent sur place. L’aîné des deux surnommé Pierrillon épouse le 17 janvier l779 la petite Andrive Gauguet. Ramouniche dote de 100 livres sa belle-sœur en paiement de sa part de l’héritage de ses parents. C’est ainsi que Ramouniche parvient à acheter progressivement la terre qui portera son nom.

Pierre Larrieu, dit Pierrillon, laisse aussi son surnom à la postérité puisque le Pujau Boutic s’appelle aujourd’hui Grand Pierrillon.

Les sœurs Gauguet donnent à leurs maris de nombreux enfants.

Les Larrieu ont deux garçons et quatre filles qui épouseront successivement Jérôme Herreyre, de Mios, Amant Dartenuc, d’Audenge, Jean Bernard, d’Audenge, et Pierre Baquey, de St-Jean-d’Illac.

Les Raymond ont cinq garçons et deux filles. C’est ainsi que le peuplement de Lubet commence.

Au cours de ce dernier quart du XVIIIe siècle, la paroisse change beaucoup. Entre Audenge et Certes, sur les « Places de Certes », un nouveau quartier, formé par les vingt maisons de sauniers charentais, est apparu et va devenir le centre de la commune. Dans la lande de Lubet, les Civrac poursuivent leur distribution de baux à fief. Les exemples de Ramouniche et de Pierrillon ont été suivis. Dix-neuf familles sont maintenant installées et forment une population de 123 personnes. Mais cette population ne s’accroitra guère car tous les points hauts susceptibles d’être mis en culture sont occupés. Et d’ailleurs les municipalités ne font pas de distribution gratuite.

Or, ces dix-neuf familles de Lubet sont, comme les sauniers, d’origine « étrangère ». Les nouveaux colons viennent de St-Jean d’Illac, de Salaunes, de Martignas, du Barp. Ce sont toujours de modestes paysans de la lande. Pour la plupart, ils ne resteront à Lubet que le temps d’un bail.

Cependant les Ramon et les Larrieu sont toujours à Lubet et ils sont nombreux. Chez Ramouniche, le vieux patriarche a gardé près de lui sa nombreuse descendance. Deux des cinq fils sont mariés, deux petits-fils sont arrivés. On vit à treize sur l’airial que Gauguet avait défriché. C’est beaucoup !

Treize ans plus tard, en 1808, quatre familles Raymond sont encore groupées sur l’airial de Ramouniche. Alors, Étienne, le troisième fils, celui qui possède la personnalité la plus affirmée, prend la décision de quitter le lieu de sa naissance. Avec sa femme et ses trois jeunes fils, il part pour St-Jean-d’Illac et prend à bail une ferme située à Berganton, où il ne demeure pas, puisqu’en 1810 il est établi au lieu de Testemaure, aujourd’hui Marcheprime, en pleine lande de Biganos en bordure de la route de Bordeaux à La Teste.

Comme « Massan », son grand-père, comme « Ramouniche », son père, Étienne Ramon a un tempérament de pionnier ; il a le goût d’entreprendre et cherche sa voie. Il remarque que le lieu de Testemaure est exactement à mi-distance de Bordeaux et de La Teste. De plus, un raccourci part de là et aboutit à Mios. Étienne conclut que ce serait un excellent emplacement pour un relais sur la route de Bordeaux à La Teste. Il décide de s’y fixer et d’ouvrir une auberge.

Avec l’accord du maire de Biganos, il bâtit à Testemaure une modeste maison de bois et de torchis, défriche quelques journaux sur ce coin de lande isolé.

Or, Testemaure se trouve en pleine propriété Turgan, Étienne Ramon, malgré les assurances du maire, est peut-être un usurpateur. Il régularise la situation, fait les démarches nécessaires et obtient le 22 janvier 1811 un décret que « Sa Majesté Impériale et Royale » signe aux Tuileries autorisant M. Pierre Courbin, maire de Biganos, « à vendre 10 journaux de terre de lande située à Testemaure ». Le 26 novembre suivant, le notaire établit le contrat de vente pour ces 3 ha 20 ares « situés sur la route de Bordeaux à La Teste, entouré de toutes parts par les landes communales ».

C’est ainsi qu’Étienne Ramon est très officiellement le premier habitant du lieu de Testemaure ; sa famille ne quittera plus ce coin de lande.

Pierre Raymond, fils cadet d’Étienne est passé à la postérité, nous allons voir comment.

S’il est vrai que chez les Raymond de Marcheprime, on conserve encore le souvenir de quelque lointain grand-père qui aurait été surnommé « Marcheprime », on ne peut trouver aucun document, aucune référence à ce surnom dans les papiers de la famille. Il ne faut d’ailleurs pas s’en étonner car les notaires évitaient – autant que faire se pouvait – de désigner les gens par leurs surnoms. Mais l’État Civil, les listes électorales du début du siècle, des documents touristiques de la même époque répondent en toute certitude à cette question : c’est en 1823 que Pierre Raymond apparait dans les actes publics lorsqu’il épouse Marie Lalande de Mios, elle aussi fille d’aubergiste. Il porte le surnom de Ramouniche qui est celui de la famille et son nom de Ramon se francise. L’acte précise « Pierre Raymond surnommé Ramouniche, habitant Testemaure ». C’est à cette époque que son père lui abandonne la gestion de l’auberge.

Un acte de naissance de 1828 précise « Pierre Raymond, aubergiste ».

À la suite de son père, il donne à son auberge une impulsion nouvelle. Il réussit vite et bien ; deux ans plus tard, il est déjà le dix-huitième plus fort imposé de la commune sur plus de cent contribuables.

On imagine sans peine ce garçon maigre et menu – comme le sont en ce temps la plupart des gens de la lande – s’activant de jour et de nuit pour accueillir et servir les voyageurs. Suivant l’usage, on l’affuble d’un surnom et comme il est toujours pressé et trottine à petits pas, on l’appelle « Marcheprime ». D’ailleurs la liste électorale de 1830 porte la précision décisive « Raymond Marcheprime, cabarretier ». Ainsi, le surnom élimine à nouveau l’ancien surnom familial de Ramouniche comme le prénom officiel de Pierre. Le phénomène de la diffusion de surnom se développe.

Il passe du personnage à la maison et de là au lieu-dit : on parle de l’auberge de Marcheprime, on s’arrête chez Marcheprime… Sur la liste de 1834, on trouve Pierre Raymond à Marcheprime. Un acte notarié familial de 1837 fait état du lieu de Marcheprime. Le nom de Testemaure tombe lentement en désuétude. Le processus de la diffusion du surnom est terminé. Un nouveau nom de lieu s’est définitivement et officiellement imposé.

Fermage du bois de Lubec du 29 brumaire an VII

Les forêts d’Audenge, énumérées dans le tableau des évaluations de Jean Eymeric, sont des îlots isolés dans la lande de bruyère, généralement des bois de chênes exploitées en taillis ; seules les forêts situées près du château sont des pignadas en résine, ce qui justifie leur valeur.

En brumaire an VII, M. et Mme Dauberval afferment pour vingt ans à un certain Ducasse de Mios leur bois de Lubec, ensemble de 1044 journaux dont 300 journaux de bois, le reste étant en lande. Cet affermage comporte l’obligation de procéder à des coupes réglées tous les 7 ans, avec livraisons régulières au propriétaire d’un grand nombre de charretées de bois de chauffage et de charbon. Sur un peuplement de 887 grands chênes, Ducasse dispose de 500 arbres et le restant reste à Dauberval. Ducasse doit délimiter le bois par un piquetage de grandes perches. Il dispose des landes louées pour le pâturage de ses bestiaux. Outre les prestations en nature, Ducasse verse un loyer annuel de 370 francs.

Dans ses inventaires, Eymeric omet notamment de mentionner la « garenne de Certes », située près du château. C’est une belle forêt de 160 hectares enclavée dans la propriété Dauberval.

Arrivé au terme de ses difficultés financières, Dauberval réussit à conclure avec l’administration du département un échange de forêts signé par le préfet et lui-même. L’État lui cède la garenne de Certes de 160 hectares ; en contrepartie Dauberval cède le bois de Lubec de 117 hectares et 387 hectares de landes. Cet acte, signé le 23 prairial [an XII], est enregistré le 24. Mais on a perdu son texte, non transcrit aux hypothèques. Il est suivi par un procès-verbal établi par l’administration des Eaux et Forêts le 8 fructidor, texte également égaré.

À l’issue de ces opérations, il est décidé d’ouvrir, entre Lubec et Certes, un grand canal de 7 750 mètres de long et large d’une toise (2 mètres environ), destiné à l’assainissement de la lande. C’est le canal dit de Ramouniche, du chaffre de Jacques Raymond, d’Audenge, un des fondateurs du village de Lubec.

Cet échange témoigne de l’intérêt porté par l’administration de l’époque pour l’assainissement de la lande, ce qui est bien antérieur aux lois votées sous le règne de Napoléon III.

Dauberval a lui aussi son mérite en la matière.

Cet échange de l’an XII repose sur un postulat très discutable. Il est implicitement admis que l’État représenté par le Préfet est bien le propriétaire de la garenne cédée. Or, il est de règle que les biens saisis et non vendus demeurent dans le patrimoine des communes et non dans celui de l’État. La suite des événements le confirme.

À la suite de cet échange, le bail accordé à Ducasse est annulé.

 

La fondation du quartier de Lubet[1] a lieu en 1758, résultant d’une décision d’Eymeric François Durfort et du labeur acharné de Jacques Gauguet.

Le premier est Marquis de Civrac, Seigneur de Certes et Baron d’Audenge. Le second n’est rien du tout, cependant, pour beaucoup d’Audengeois, il a une importance beaucoup plus grande que le Marquis de Civrac car toute la population de Lubet, et une large fraction de celle d’Audenge, sont issues de Jacques Gauguet.

Au-delà d’une bande de terrains en culture qui borde le Bassin sur un à deux kilomètres, la lande s’étend jusqu’aux portes de Bordeaux. Elle est immense, stérile, sans la moindre valeur, vide de toute vie humaine. Deux chemins de sable partant, l’un de Certes, l’autre d’Audenge, permettent de la franchir lorsque le temps est clément. Seuls, quelques marchands, tels les Duvignau, s’aventurent à travers la lande pour transporter à Bordeaux les produits de la pêche qu’ils vont chercher aux ports de Certes et d’Audenge.

[1] – Ce nom de Lubet est aussi orthographié Lubac. Actuellement les Audengeois préférent la première orthographe car elle est plus conforme à la phonétique locale qui connaît les tonales « bet » et pratiquement pas les tonales « bec ».

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Raphaël

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