Les chocolats de Pâques

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Petite causerie vespérale relative à l’indéniable victoire du cacao sur notre volonté, au caractère respectable de la tradition, à la perfide hégémonie chocolatière d’une marque bien connue et à l’humeur inflexible de l’auteur.
 
« Si tu ne digères pas la soutane, ne mange pas le missionnaire » énonçait Alexandre Vialatte dans un des nombreux proverbes bantous que le chroniqueur auvergnat s’amusait à inventer — et qu’on retrouve aujourd’hui dûment certifiés d’origine africaine sur la toile numérique.
Ainsi, alors que nos contemporains se désoleront bientôt que plus aucun trou de leur ceinture n’est atteignable (pas plus que leurs chaussettes) et que nos contemporaines déploreront le rétrécissement inexpliqué de leurs tenues estivales, en ce dimanche pascal les mêmes se seront-ils néanmoins gobergés de force agneau tout aussi pascal (préparé avec de l’aillet c’est très bon) et surtout de chocolats, beaucoup de chocolats de toutes formes : cloche, œuf, friture de trogues et d’esquiras, poule et désormais ce qui ressemble à un lapin mais n’en est pas un.
Le lecteur aussi numérique qu’HTBoïate me répondra que les chocolats de Pâques font partie de la tradition, et nous aurons donc bien raison d’en causer sur les pages de ce groupe, où l’on se préoccupe de ce sujet-là. Mais de quelle tradition exactement s’agit-il ? C’est en vérité un gloubi-boulga de traditions païennes, de célébrations chrétiennes, de choses mercantiles, d’effets de la globalisation du monde et du fait que l’Homo gloutonus ne manque pas une occasion de faire bombance.
Il faut dire que la chose réellement traditionnelle dans cette affaire a surtout à voir avec les œufs, puisqu’on se félicite à cette époque de l’année que les poules pondent de nouveau (le citadin qui estime normal de trouver des œufs à tout moment méconnait la saisonnalité de la ponte aviaire). D’où l’origine de l’omelette pascale remontant probablement à une époque préchrétienne ainsi que la tradition toute aussi ancienne des œufs décorés que l’on retrouve dans de nombreux pays. La découverte du xocoatl ramené des Amériques et l’intense commerce maritime avec les Antilles — qui, il faut le signaler au passage, fit de Bordeaux la capitale française du chocolat au XVIIIe siècle — donna l’idée à quelques industrieux chocolatiers de remplacer les œufs véritables par des œufs en chocolat pour célébrer Pâques.
Et voilà, c’était parti. Après les œufs on se mit à confectionner aussi des poules tout aussi cacaotière, par relation de cause à effet, des coqs — il n’y aurait pas de poules sans eux, nous prévenait Raymond Devos —, des cloches qui soi-disant revenaient bénies de Rome et qu’on faisait chercher aux enfants dans les jardins (c’est là l’origine de la « chasse » aux œufs) et de la friture de poissons afin de rappeler les pêches miraculeuses relatées dans le Nouveau Testament.
Puis, très récemment (à la fin du siècle dernier), vint l’ère globalisée du lapin qui n’en est pas un. Les germanophones connaissent la légende du « Osterhase », le lièvre de Pâques qui est réputé pondre des œufs et c’est ce lièvre-là, symbole de fertilité, qui fut représenté en chocolat dans les pays anglosaxons.
À l’heure où peu de nos concitoyens s’approvisionnent encore à cette occasion pascale auprès des artisans chocolatiers perpétuant nos traditions locales et nationales et que la plupart achètent en grande surface les productions aussi insipides qu’industrielles d’un manufacturier germano-italien, le lapin qui n’en est pas un a hélas supplanté nos œufs, poules, coqs, cloches et autres fritures.
 
Mais pas chez les Perreaud… No pasaran Osterhase ! Gardarem lou béret et l’uòu en chocolat !
Thierry PERREAUD

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Aimé

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