Lège – Jane de Boy en mouvement

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Le train de Jane de Boy le dimanche

Pour vous raconter l’Histoire de Jane de Boy, commençons par nous rappeler que tout ce territoire depuis le Cap Ferret jusqu’à Bordeaux et aux Landes est à l’état insalubre, infesté de moustiques qui vivent sur ce pays de marécages. Les dunes « marchent » en avant et l’église de Lège – et le village – reculent plusieurs fois devant l’avancée des sables. Certains quartiers de Bordeaux craignent, dit-on, d’être ensevelis sous les sables.

Des essais de fixation des sables avaient été entrepris mais sans grand effet, jusqu’à ce que Nicolas Brémontier inspecteur général des Ponts et Chaussée en 1802, à Bordeaux, n’applique le moyen de fixer « les dunes de sables mouvants ». Sous l’autorité de Brémontier, les dunes littorales sont ensemencées afin de contenir le mouvement des dunes et l’envahissement du pays par les sables. C’est ainsi le cas à Lège, comme sur toute la côte landaise. Cela représente un énorme travail pour une population pauvre et dépourvue de moyens.

Cinquante ans plus tard, la réussite est au bout puisque les sables sont contenus, les dunes arrêtées dans leur marche. Une forêt est née et s’est développée ! À la fin du siècle, le succès de l’opération est tel, que les premiers arbres venus à maturité, sont exploités. Entre temps, comme l’État est pris d’un besoin pressant… en argent, deux lois, appelées « Lois d’aliénation des Forêts de l’État », en 1860 et 1862, autorisent l’État à vendre aux particuliers ou aux communes, un certain nombre de parcelles forestières ou à vocation forestière. Environ 100 000 hectares sont ainsi aliénés.

La commune de Lège, pour sa part, achète 548 ha 84 a, pour la somme de 293 773 Francs. Certaines parties sont boisées, les autres non. Afin d’éviter que se reproduise un nouveau mouvement des sables, une des clauses est que l’acheteur s’engage au boisement des parties vides. Il y a urgence d’ensemencer les parcelles nues, puis ensuite, celles qui seront exploitées. L’obligation de financer ces travaux et d’assurer les moyens matériels et humains indispensables met la commune dans la nécessité de trouver beaucoup d’argent frais et cela de façon très rapide. L’exploitation et la vente des bois s’avèrent donc être les seuls moyens de faire face à la situation. Après la chute de l’Empire, l’exploitation de cette richesse locale devient une aubaine inattendue et très appréciable pour les propriétaires de forêts à Lège comme ailleurs. Une période de relative prospérité, mais surtout d’intense activité s’installe alors dans toute la région. Une main d’œuvre endurante et laborieuse, attirée par tous ces travaux, vient s’implanter. De grosses entreprises d’exploitation et de mise en valeur de la forêt s’y installent.

En cette période de plein essor industriel, il faut s’organiser de façon moderne. Déjà, il devient nécessaire d’obtenir une amélioration des rendements et de la productivité. Le transport des marchandises et produits de la forêt doit se faire de plus en plus rapidement alors qu’il augmente sans cesse en nombre et en volume. Il s’avère que les bœufs et les mulets, seuls équipages ayant accès aux sols difficiles et peu porteurs de la dune, travaillent beaucoup trop lentement… Or, en 1882-1884, on vient de construire la ligne de Facture à Lesparre par Arès. L’enthousiasme est à son comble, on entre dans l’âge d’or du chemin de fer et nombre d’entrepreneurs rêvent de construire leur propre ligne. Paul Decauville (1846-1922), change la donne : industriel dynamique et ingénieux, résout la question en créant le chemin de fer léger à voie étroite qui portera désormais son nom. Il crée aussi le matériel approprié pour équiper et utiliser ses voies.

À Lège, l’exploitation des dunes est confiée à la société Pelletier et Cie. Celle-ci, moderne et désireuse de suivre le progrès se dote d’une voie dite Decauville. C’est ainsi que la forêt se voit sillonnée de voies ferrées, notamment de Lège à Lacanau. Cet équipement permet de transporter les bois exploités au plus profond des forêts et de les acheminer vers le Bassin d’Arcachon, en l’occurrence à Jane de Boy jusqu’où la voie ferrée arrive en 1906 à la plage des Pastourelles. Mais pour en arriver là, il faut faire appel à beaucoup de monde, avec des bras musclés et force pelles, pioches et brouettes pour avancer la construction des voies au cœur de la forêt, travée après travée. Un travail de géant pour niveler le sol en brassant le sable, de déblais en remblais et même construire quelques ponts pour traverser les berles et les lagunes. Mètre après mètre, ce sont finalement des kilomètres de voie qui sont posés, une œuvre assez considérable avec les moyens de l’époque et de plus dans un environnement difficile.

Les bois sont approchés en bordure des voies par des bœufs et des mulets pour être chargés sur les wagonnets Decauville qui effectuent les longs trajets avant de sortir de la forêt. Les wagonnets sont à l’origine, tirés par des mules ou des bœufs attelés en flèche, de part et d’autre de la voie, ce qui doit être beaucoup moins pénible pour les bêtes que de se mouvoir dans le sable avec leurs lourdes charges.

Jane de Boy, terminus de la voie, voit se construire des appontements dignes d’un grand port, presqu’un môle d’escale ;

la villa « Podensac[1] », inaugurée le 24 juin 1918, sert de gare, c’est-à-dire qu’elle abrite le personnel chargé de contrôler les wagons et les marchandises, la villa  « Les Écureuils » est allouée au contremaître, tandis que la villa sur la dune juste au-dessus de l’appontement, aujourd’hui maison Pichot, est dévolue au surveillant. « Monsieur », le propriétaire, un anglais, habite en face, à Arès, et de là observe à la jumelle si le travail avance !

Marie Batmale transforme en buvette la cabane forestière de Piclaouey, propriété de la famille François de Lège, où les arrimeurs de Jane de Boy viennent prendre le repas de midi. Située au bord de l’anse dite du Petit Port au quartier la Bastide, la buvette est remplacée plus tard par le restaurant « Au Bon Accueil », tenu par François et Lucie Daurignon. De nos jours l’emplacement correspond à l’ « Auberge du Bassin ».

Les bois sont déposés sur l’appontement pour être chargés sur de très gros chalands et remorqués à marée haute à Arcachon. Ils sont ensuite entassés dans les cales des cargos venus apporter du charbon, à destination des différentes régions utilisatrices, les mines du nord de la France et l’Angleterre. À titre d’exemple, le Mouvement du Port fait état le 15 mars 1903 de 2 781 tonnes de houille apportées par trois vapeurs et deux bricks ; en retour, un trois-mâts emporte 320 tonnes de poteaux de mine et cinq vapeurs 7 815 000 huîtres.

Le transport du bois entraîne un trafic très important à Jane de Boy. À cela s’ajoute les apports de la forêt du Porge, où la société « La Térébenthine Française » et la société Rechenmann l’exploitent sur quelque 8 000 hectares. C’est ainsi qu’à leur tour, elles construisent leurs propres voies Decauville, pour évacuer leurs marchandises et leurs produits. Ce réseau de lignes commence aux dunes du Lion, à la limite de Lacanau, elles traversent sur toute sa longueur la commune du Porge et viennent s’embrancher sur les voies Pelletier pour arriver au terminal de Jane de Boy. Ses appontements en font alors le port le plus important du Bassin pour l’expédition des produits de la forêt.

Le grand-père Rechenmann figurait dans la garde impériale de Guillaume d’Autriche. La famille a choisi la France en 1914. Si bien qu’elle n’a jamais perdu une guerre. Une partie s’installe à Bordeaux dans les années 1920. Rechenmann a construit la voie qui relie Le Porge au Ferret. Naissent au Porge, Gérard Rechenmann le 2 septembre 1922, et Yves Rechenmann le 2 novembre 1923. Ruiné par la crise de 1929, la famille Rechenmann part en Afrique équatoriale française. Le petit-fils Guy – qui écrit ses romans au Canon – naît à Libreville et sera soigné pour une filariose à l’hôpital de Lambaréné par le docteur Schweitzer…

Après la Grande guerre, le trafic périclite et la voie ferrée est prolongée jusqu’à la Vigne où la profondeur des eaux permet aux bateaux de forts tonnages de se présenter jusqu’à l’appontement.

Le mardi 25 juillet 1922 à 13 heures, a lieu la vente, au Tribunal civil de Bordeaux, de la vaste entreprise d’exploitation forestière et d’exportation, par le Bassin d’Arcachon, de poteaux de mines, destinés aux houillères britanniques, wallonnes ou du Nord de la France, appartenant à la Société « Les successeurs de Pelletier », en dissolution, après expiration de son terme, concessions situées commune de Lège au lieu-dit de Jane-de-Boy comprenant chalet avec meubles, maisons d’habitations et ouvrières en pierres, briques et bois, hangars divers, écuries, remises, dépôt de machines, atelier de réparations et outillage, atelier de charpenterie et outillage, grils de carénage, 16 kilomètres environ de voie ferrée posée en exploitation, dont une voie ferrée reliée à la gare de Lège, avec pont-bascule, dix kilomètres environ de voie ferrée libre, ponts-bascules à Jane-de-Boy, au port, de Lanton, au port de la Teste, deux locomotives, deux wagonnets en fer, huit wagonnets en bois, dix paires de mules avec charrettes et bros, un remorqueur de 80 HP de force, première cote Veritas, quinze bacs de 50 tonnes chaque, un bac à voile, un canot automobile de 8 HP, 1 appontement, le tout en bon état de marche et d’entretien et existant sur concessions de l’État ou communale. Mise à prix 900 000 fr.

D’autre part,

1er lot : Diverses constructions importantes en bois et briques, couvertes en tuiles et carton bitumé, composant la Scierie mécanique installée à proximité de la gare de Soulac-sur-Mer, avec terrain sur lequel est construite la scierie, d’une contenance approximative 2 500 mq. Cette scierie comprend machine, scies, raboteuse, dégauchisseuse, chariots, installations électriques, voie, wagonnets, outillage divers, pont-bascule. M. à px 200 000, avec obligation pour l’acquéreur de prendre les marchandises fabriquées à dire d’experts.

2e lot : Une splendide propriété de pins en plein rapport, sise à Piquey (commune de Lège), avec façade sur le bassin d’Arcachon. Contenance approximative 33 ha 96 a 14 ca Mise à prix 100 000.

3e lot : Une sapine appelée Pierrot Maryette, à l’état neuf, de 170 tonnes environ de portée en lourd, ayant les dimensions requises pour la navigation sur le canal du Midi. Une gabare, appelée Hirondelle, de 70 tonnes environ de  portée en lourd, munie d’un moteur d’environ 45 HP de force, marque Kelvin, parfait état. Un sloop à voile, appelé « les Deux-Frère», de 75 tonnes environ de portée en lourd. Un sloop à voile, appelé Camille-Claire, de 70 tonnes environ de portée en lourd. Ces 4 bateaux spécialement aménagés pour le transport des poteaux de mines et mouillés, à dater du 4 juillet prochain, au bassin no 1 des Docks, à Bordeaux. Mise à prix 120 000.

4e lot : Une maison à Lesparre, au lieudit de Bourdieu, comprenant un grand corps d’immeubles, vaste écurie, buanderie et cour. Mise à prix 36 000.

5e lot : Une maison à Lesparre, au lieudit de Plassan. Mise à prix 800.

6e lot : Voie ferrée en exploitation posée sur la route de Cartignac a Cantau (commune de Hourtin), reliée à la voie de l’administration des Eaux et Forêts, aboutissant au garage de Cartignac (ligne des Chemins de fer économiques). Mise à prix 80 000.

7e lot : Un pont-bascule sis en gare de Saumos. Mise à prix 2 500.

Et encore,

Vente d’une vaste propriété de pins, de culture et d’élevage très giboyeuse, dite de Villemarie, Chabannes et la Forge, entourée de canaux, traversée par la route des Grands-Lacs de la Côte d’Argent, de la Hume à Sanguinet, communes de Gujan-Mestras et de la Teste, libre de tous droits d’usage.

1er lot – Ferme de Vaucluse et Ferme de la Madeleine, maisons et dépendances, bois de pins, jeune semis de pins, prairies. Contenance approximative 234 ha 69 a 02 ca, sises entre les canaux d’irrigation n° 2 et 3, la route des Lacs et le fossé mitoyen entre les communes de Gujan-Mestras et de la Teste. Mise à prix 160 000.

2e lot – Fermes de Bergantade comprenant 3 maisons de colons et dépendances, pièces de pins, jeunes semis de pins, prairies, jardin, terres labourables. Contenance approximative 222 ha 57 a 93 ca, sises entre les canaux d’irrigation n° 3 et 4, la route des Lacs et le fossé mitoyen, entre les communes de Gujan-Mestras et de la Teste. Mise à prix 150 000.

3e lot – Grand immeuble connu sous le nom de Chai Decauville, logement de colons, écuries, vacheries, greniers, pièce de pins, terres labourables, jardins. Contenance approximative 68 ha 04 a. sis entre les canaux d’irrigation nos 2 et 3, la route des Lacs et la propriété Lebert. M. à px 110.000.

4e lot – Domaine de la Forge et Chabannes, étable en pierres et bois, couverte en tuiles, prairies, pièces de pins, traversé par le canal des usines en bordure de la route des Grand-Lacs, entre le canal d’irrigation n° 4, la propriété Beaudésert et l’ancien canal de navigation désigné sous le nom de canal des Landes (de Cazaux au bassin d’Arcachon). Contenance approximative 98 ha 04 a 07 ca. Mise à prix 115 000.

Le tout appartenant à la S Les Successeurs de A. Pelletier, en dissolution, après expiration de son terme. Pour visiter, s’adresser à cette société, 12, cours du Chapeau-Rouge, à Bordeaux, et à M. Marquais, liquidateur, 105, rue Saint-Sernin, à Bordeaux Mes Despujol, Besson et Dubois, avoués colicitants.

Le 6 février 1923, se forme pour 25 ans la Société anonyme d’Exploitation forestière et d’Exportation du Bassin d’Arcachon, au capital de 850 000 fr, basée à Jane-de-Boy avec ses bureaux, devinez où ? à Bordeaux, 12, cours Chapeau Rouge !

Les maisons de Jane de Boy sont converties en chalets de chasse, des lots sont loués et des cabanons construits. Le chemin, ancienne digue fut rehaussée puis goudronné. Aujourd’hui, l’électricité, l’eau, le gaz et le tout-à l’égout sont à la disposition des quelques heureux habitants de ce petit paradis.

 

« Le petit train des dunes », Jean Desrentes, SHAAPB n° 93

https://www.infobassin.com/loisirs-culturels/bassin-autrefois-petit-train-dunes-part-1-shaapb.html

Guy Rechenmann, intermittent du spectacle, Monsieur course à France 3, Christian Seguin, Sud Ouest du 9 novembre 2010.

https://www.sudouest.fr/2010/11/09/la-vie-plein-champ-234224-2780.php

Histoire du village de Jane de Boy

http://lacabanedejanedeboy.fr/histoire-de-jane-de-boy/

http://leonc.fr/foret/foret.htm#mine

Le Matin, Alfred Edwards (1856-1914), Directeur de publication, 30 juin 1922.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k574014n/f6.item.r=Despujol%20l%C3%A8ge.zoom#

Le Matin du 1er juillet 1922

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5740151/f6.item.r=%22Successeurs%20de%20A.zoom#

Archives commerciales de la France du 4 avril 1923

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k12567751/f18.item.r=Pichot%22jane%20de%20boy%22.zoom#

http://www.ville-lege-capferret.fr/wp-content/uploads/2019/07/LCF-Larchive-du-mois-de-juillet-2016-La-saison-estivale-sur-la-Presqu%C3%AEle-1910-1940.pdf

[1] – Aujourd’hui cette villa est transformée en une habitation privilégiée, les pieds dans l’eau. Sur son terrain de 750 m² situé en première ligne, la maison, dans un style cabane de pêcheur offre un séjour, salle à manger, trois chambres et une salle d’eau dans un décor authentique et magique. Pour compléter cette villa, une dépendance de 25 m² pour les amis est à votre disposition.

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Raphaël

Un commentaire

  1. Bonjour,
    j’apprécie énormément les contenus de votre site remarquablement documentés. Sur votre article relatif à Jane de Boy, vous dites que les poteaux de mines étaient chargés à bord de très lourdes barges et remorquées à marée haute à Arcachon. Je pense cependant que dans un certain nombre de cas (difficile à quantifier), les barges se contentaient de transférer les poteaux sur les voiliers qui stationnaient en pleine eau un peu plus loin à Hautebelle . Je déduis cela du remarquable Atlas toponymique de Pierre Decoudras qui basé sur le Dictionnaire du bassin d’Arcachon d’Olivier de Marliave dit : » »par ce lieu-dit du village de Claouey ont transité durant tout le XIXè siècle et le début du XXè des millions de poteaux de mines à destination du Nord de la France, de l’Angleterre, du Pays de Galles et de la Belgique … au bord du Bassin, on les chargeait sur des allèges ou des radeaux, puis sur les bateaux ancrés au large »
    Avec mes admiratives salutations

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