Une vieille tradition[1] attribue à Charlemagne la fondation de l’hôpital et prieuré Saint-Jacques du Barp. Or cette tradition n’est certainement pas invraisemblable. « Les invasions arabes, les expéditions franques de Charles-Martel et de Pépin, dit M. Imbart de La Tour[2], changent les campagnes en désert. Une des premières mesures des Carolingiens doit donc être d’appeler les habitants et de rétablir la culture dans ces pays. Les terres abandonnées sont la propriété du fisc. Une partie de ce domaine improductif est donnée à l’Église. C’est dans ces déserts, que sont construits, sous Charlemagne et Louis le Pieux, la plupart des grands monastères carolingiens. Le plus souvent ce sont les religieux qui obtiennent du roi les terres inoccupées. Ils y élèvent une église, des bâtiments, un moulin, plantent des vignes, créent des champs et des prés ; la colonie monastique est constituée.
Aussi bien dans les espaces inoccupés où le monastère s’est établi, les moines peuvent-ils se tailler des domaines. Et à leur demande la royauté est généreuse. Elle multiplie les concessions, car, en réalité, elle ne donne rien que des terres sans valeur[3]. » Ainsi en est-il au Barp !
Comme le fait remarquer l’abbé Gaillard, de Belin, dans les années 1990, l’hôpital & prieuré Saint Jacques du Barp, dont il ne reste aucun vestige, se situaient à l’emplacement de l’actuelle église paroissiale. Placée sur la grande route d’Espagne, à 32 kilomètres de Bordeaux, dans un lieu isolé, en pleines landes, il y fut établi « pour servir d’hospice aux pèlerins qui allaient à Saint-Jacques-de-Compostelle et reçut de ses fondateurs les biens-fonds nécessaires à son existence.
« Le plus beau et ample revenu qu’ils constituèrent est environ deux lieus de bonne et fertille lande en laquelle y avoit plusieurs boys, predz, maisons, maynes[4], bois tailhis et terres labourables, scictué aux environs dudit prieuré. L’églize, l’hospital et maison priorale au milieu dudict ténement. »
L’hôpital-prieuré Saint-Jacques appartient d’abord à des religieux, et il semble hors de doute que c’est aux moines bénédictins de La Sauve. L’histoire de cette maison, sauf ce que nous venons d’en dire, nous est à peu près inconnue pendant les premiers siècles de son existence. Tout ce que l’on en sait, en effet, c’est que Pierre de Burès est prieur en 1220, Pey de Labérade en 1364 et 1366[5], Pey Hélie de ? à ?, Jean Guirauld le 8 janvier 1446.
Le 30 novembre 1397, par son testament, Hélène de Élaud, veuve de Guillaume Wakfeld, fonde 4 chapellenies ; elle lègue 12 guiennois « à Perrin, son chayey » ; 16 guiennois pour concourir à la réparation du prieuré du Barp ; des «gonas» d’écarlate fourrée, «capa», «mantetz», etc. ; elle laisse son grand bassin de laiton, un coussin, etc., « a Crestiana, molher de Jaques Escot » ; elle laisse 4 livres à la fabrique de St-Michel ; à sa servante, pour l’aider à se marier, 20 guiennois, plus « lo drap qui lo sera necessari segont son estat per far cota e gonet, capeyron e caussas e un parelh de sebatons quant era sera espoza » ; elle lègue diverses sommes à la fabrique de St-Projet, à la fabrique de la chapelle de Ste-Catherine, à la recluse de Bordeaux, « a fray Gauter [de] Glouceter », ermite de Lormont, à charge pour lui de dire des messes ; elle laisse 100 guiennois « a maridar paubras piucelas e per far aprendre paubres enfantz a las escolas » et 8 guiennois à l’hôpital de Roncevaux ; 4 guiennois à la fabrique de St-André, autant à la fabrique de St-Seurin, autant « aus heremitaus de Porta Digeus » ; 60 s. à la recluse près la Porte-Dijeaux ; 20 guiennois « per ajudar i a far e construyre las latrinas de la gleysa de Nostra- | Dona de la Plassa, a ops et per ops des malaus qui faran las noenas en ladeyta gleysa per honor et per reverencia de mossenhe sent Eutropi » ; elle institue entre autres exécuteurs testamentaires Vital Carles, Jean Escot et autres ; elle prie les maire et jurats de surveiller l’exécution de son testament et institue un legs en leur faveur.
Inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790. Gironde. Archives ecclésiastiques. Clergé séculier : série G. tome II : n° 921 à 3156 Jean-Auguste Brutails, 1901
Notons encore que le 5 juin 1415, les jurats de Bordeaux font une démarche spéciale pour obtenir l’application au prieuré du Barp de la trêve conclue à ce moment même par plusieurs autres localités[6].
On peut supposer que c’est au XIe siècle que le prieuré s’adjoint un hôpital, alors que le pèlerinage de Saint Jacques-de-Compostelle prend de l’importance ; l’acte le plus ancien qui concerne le prieuré est une charte de 1220 ; place de l’Aumône, les pèlerins reçoivent la passade ; une chapelle appartenant à l’ordre de Malte se trouvait au lieu-dit Castor.
Lors de la délibération du conseil municipal du 6 février 1834, la vétusté de l’ancienne église est évoquée, et, à ce sujet, il est dit que l’église a plus de 1000 ans, ce qui ferait effectivement remonter la construction de cet édifice (peut-être l’église du Prieuré) au règne de Charlemagne ou de son fils Louis le Pieux.
Quoi qu’il en soit, le prieuré est antérieur au XIIIe siècle puisqu’en l’an 1220, Olivier de Pomeyros (ou Pomeys) fait donation de terres situées à Tastous et La Canau Sèque[7] au Prieuré du Barp. Le 16 octobre 1263, Amanieu d’Albret, fils d’autre Amanieu et d’Assalhide de Tartas, époux de Mathe de Bordeaux, donne « cent sols à l’hôpital del Barb[8]». Le 4 novembre de la même année, c’est Gaillard Lambert, doyen de Saint-Seurin, qui lègue 60 sous[9]. Le 3 mars 1286, dame G. Lambert, voulant elle aussi pourvoir au salut de son âme, fait par testament don de dix sous au même hôpital[10]. Vingt-cinq ans plus tard, le 31 mars 1312, son fils Arnaud-Raymond, vicomte de Tartas, testant à son tour, donne 30 sous[11]. Le 7 août 1363, dame Blanche de Foix, captalesse de Buch, dans son testament retenu ce même jour par Jean Desnoyers[12], notaire, fait donation aux religieux du Barp de 4 léopards d’or, à condition que le prieur et les frères prient Dieu pour elle.
En 1366, le Grand Captal Jean III de Grailly, l’héroïque et malheureux adversaire de Du Guesclin, confirme la donation faite au temps de son prédécesseur Amanieu de Buch[13] du domaine de Lacanau-Séque (Argenteyre) à l’hôpital du Barp[14] dont voici la teneur : « Nous, Jehan de Grailly, captal de Buch[15], vicomte de Benauge et de Castillon, regardant et considérant les privilèges que nos prédécesseurs ont anciennement, pour le salut et le bien de leur âme, donné et octroyé à l’hôpital et au prieuré du Barp, en la forme et manière que rapportent certaines lettres scellées du sceau authentique de nosdits prédécesseurs et dont la teneur s’ensuit mot à mot en cette manière : « Guillaume, grand chantre de Bordeaux, faisant fonction d’archidiacre de Cernés[16], à tous ceux qui verront ces lettres, salut éternel et paix. A tous, présents et à venir, faisons savoir qu’en notre présence, pour le salut de son âme et pour celui de ses parents, Olivier de Pomeys a donné et concédé à Dieu et à l’hôpital du Barp toute sa terre de La Canau Sèque avec le bois de Tastous et leurs dépendances, pour qu’ils en restent à perpétuité pacifiques possesseurs; et ce, du consentement de messires Amanieu de Buch et Arnaud de Brach, chevaliers, dont Olivier de Pomeys avait et tenât en fief féodalement la dite terre. Furent aussi présents par devant nous messire Pierre de La Mothe et ses fils, lesquels, consentant au présent titre de donation, ont résigné tous les droits qu’ils auraient pu prétendre sur la terre et le bois susdits. En outre, messires Amanieu de Buch, Arnaud de Brach, Pierre de La Mothe et ses fils, ci-dessus nommés, ont en notre présence donné et concédé à Dieu et au même hôpital, pour en jouir à perpétuité pacifiquement, les padouens de toute leur terre[17], tant dans les bois que dans les pâturages. C’est pourquoi, voulant que tous, présents et à venir, puissent avoir de ce fait une évidence entière, afin également de rendre plus incontestable la force de la charte actuelle et la perpétuité des donations susdites, il a plu à l’une et l’autre des deux parties que les présentes lettres fussent scellées de notre sceau et du sceau de messire Amanieu de Buch ; au bas de l’acte, sont inscrits les noms des témoins qui ont assisté à sa rédaction, savoir : Bernard des Vignes, prieur de Saint-Pierre de Comprian, Pierre de Burès, prieur du Barp, Mme Blanche de Noaillan, chargés de recevoir ces donations pour le compte de l’hôpital susdit, Adhémar Arnaud d’Artiguemale, Montasin de Noaillan (et non pas Nouailhas !) et Bimane de Bacareyre. Fait l’an de grâce mil deux cent vingt, dans le cloître de Comprian[18], avec l’assistance de plusieurs autres témoins. La lettre D étant la lettre dominicale de l’année courante.
« Or, désirant confirmer et augmenter les dits privilèges, pour l’honneur et la gloire de Dieu, par charité pour les pauvres du dit hôpital, de notre grâce spéciale, nous avons confirmé et confirmons les dits privilèges en la manière même qu’ils sont ci-dessus exposés. Et de plus, en ce qui concerne l’accroissement des dits privilèges, pour l’honneur de Dieu et pour le salut de notre âme, nous donnons et octroyons au dit hôpital le droit de pacage, pour son bétail grand et petit, dans les pâturages et padouens de toute notre seigneurie de l’isle en Ruam[19], en temps et lieux dus et légaux, à perpétuité. Et en témoignage de ces choses, nous avons mis notre sceau personnel aux présentes, données à Bordeaux dans notre hôtel de Puy-Paulin, le 9e jour de juillet, l’an de grâce 1366, en présence et sous l’attestation de messire Pierre Arnaud de Lamensan[20], chevalier, et des honorables seigneurs Guillaume de Lescun[21], chanoine de l’église de Bordeaux, Dupuch, prieur de l’hôpital de Cayac[22], et messire Pierre de Labédade, prieur de l’hôpital du Barp. Donné comme ci-dessus.[23] »
Le 10 août 1375, enfin, Jeanne de Canteloup, femme de Bernard de Laxagua, ordonne qu’après sa mort, on délivre à la même maison « cinq sous afin que les pauvres dudit hôpital soient tenus de prier Dieu pour son âme, pour l’âme de son père, de sa mère et des trépassés de son lignage[24] ».
Grâce à des dons si magnifiques, le prieuré peut, sans inquiétude ni présomption, escompter l’avenir. Il arrive d’ailleurs, que, dans la suite des temps, beaucoup d’autres personnages, sans montrer une générosité aussi grande, lui firent toutefois des legs nombreux.
En 1618, les Feuillants se voient obligés de noter mélancoliquement sur leurs registres : « Il est advenu que, tant à cause des guerres que de la misère et corruption de ce siècle, que ledit prieuré a esté délaissé plusieurs années, et a esté administré par mains séculières, et par plusieurs particuliers qui ne résidoient audit prieuré, lesquelz ont vendu ou bailhé à fief nouveau, les uns des maisons, les autres des bois, les autres des métayries, les autres plusieurs pièces de landes ou terres. Le premier de ceux qui ont commencé d’alienner les fonds a esté un Jehan du Marquât, pour lors prieur, lequel, en l’an 1473, bailha à fief noyveau quatre pièces de terre[25]. » Voici l’acte qui consacre cette aliénation[26]. Il est curieux et nous montre comment les bénéficiers commendataires s’efforcent à sauvegarder, en toutes circonstances, les formes prévues par le droit.
« Sachent tous que messire Jehan du Marquât, prêtre, actuellement prieur de St-Jacques du Barp, au diocèse de Bordeaux, tenant son chapitre en l’église du Barp, et, faute de religieux, y ayant appelé au son de la cloche, plusieurs hommes dignes de foi[27]; voyant, considérant et constatant en tout ce qui s’ensuit le bien, profit, utilité, amendement et amélioration qu’en doivent retirer, soit lui-même, soit le dit hôpital et ses successeurs qui, dans les temps à venir, seront prieurs du dit hôpital du Barp, de sa bonne volonté, pour lui et ses successeurs à venir, a donné, concédé, octroyé, baillé et livré en fief, féodalement, et à titre de fief nouveau, selon les fors et coutumes de Bordeaux, à Jehan d’Arsac, habitant du Barp, ici présent et à ses héritiers, quatre pièces de terre, situées au lieu appelé Lucandrault ; et ce, moyennant deux deniers d’exporle payables, en monnaie ayant cours ordinaire à Bordeaux, à chaque muance de seigneur ou de tenancier; plus vingt-cinq sous de rente annuelle, en la même monnaie, payable chaque année à la fête de la Toussaint, portée et rendue la dite rente au domicile du dit messire Jehan du Marquât ou de ses successeurs.» Il a été, en outre, «accordé et appointé entre les dites parties que le dit Jehan d’Arsac, tenancier, pourra faire paître et pacager tous ses bestiaux, ses porcs et ses truies, s’il en a, dans les bois et dépendances appartenant au dit seigneur féodal, comme aussi il pourra prendre du bois pour bâtir et édifier ses maisons, courtil et parc; pourra de plus prendre aux dits bois du Barp les bûches nécessaires à son chauffage. Le tout sans nul débat; sous la réserve que le dit tenancier ne pourra ouvrir taverne au Barp, sans permission et congé spécial du dit messire Jehan du Marquât, seigneur féodal, ou de ses successeurs. Fait au Barp, le 7 avril de l’an du Seigneur 1473, par devant moi Martin du Passage[28], clerc de Bordeaux, notaire public, par autorité royale, dans tout le duché d’Aquitaine. »
Peu à peu on donne ainsi à fief nouveau tous les biens-fonds, à tel point qu’en 1618, c’est à peine si les prieurs possèdent en propre un jardin et une garenne, dépendances immédiates de leur habitation.
En 1474, Jehan du Marquât, qui est prieur dès 1456, et que nous avons vu aliéner certains fonds, s’occupe de concert avec Jehan Gombaud, procureur d’Alain d’Albret, de délimiter le tènement d’Argenteyres. Il conserve son bénéfice jusqu’en 1481 et très probablement même jusqu’en 1485[29]. Dans tous les cas, au début de cette année-là, un prêtre, nommé Bernard de Maubert, se fait pourvoir du Barp. Il commence, dès le 12 mars, à agir en qualité de prieur ; mais un concurrent ne tarde pas à lui disputer son titre, et c’est seulement le 9 octobre suivant qu’il peut jouir en paix de son bénéfice, après avoir obtenu de l’archevêque un nouveau visa officiel.
Bernard de Maubert reste prieur jusqu’aux premières années du XVIe siècle ; il résigne alors son bénéfice en faveur d’un prêtre nommé Bonshoms de Pranis. Mais un second candidat, prêtre lui aussi et nommé Amanieu Deslis, surgit aussitôt, et sans doute parce que Bernard de Maubert meurt au même moment. Une lutte judiciaire s’engage. B. de Pranis en sort victorieux, et, le 8 septembre 1505, il prend possession du prieuré par le ministère de Jean Vaschon, son fondé de pouvoirs. Ensuite il peut jouir en paix du prieuré, qu’il conserve jusqu’en 1507, au moins. Il paraît même certain qu’il le possède encore en 1509. En tout cas, le 10 avril de cette année-là, les vicaires généraux donnent à un prêtre, nommé Pierre Daney, « des provisions pour raison du prieuré du Barp, après permutation ». Pierre Daney occupe ce poste au moins jusqu’en 1529[30]. Pierre Duluc, avocat au Parlement, le possède ensuite.
Un nommé François de Mompontet s’installe officiellement en mars 1605. François de Mompontet est né au diocèse de Limoges, dans la paroisse de Saint-Pardon. Tonsuré le 25 mars 1583 à Clermont, dans l’église des Carmes, il reçoit les ordres mineurs le lendemain. Plus tard, il se rend à Bordeaux, y suit les cours de l’Université et obtient, en date du 15 décembre 1593, le diplôme de bachelier en droit. Entre temps il s’est fait admettre à l’ordination sacerdotale. Puis le 28 décembre 1594, il obtient la vicairie perpétuelle de Saint-Jean de Libourne, poste dans lequel il parut à peine, si même il s’y présenta jamais ! Lorsque le prieuré du Barp lui appartient en propre, il établit sa résidence habituelle dans la paroisse. Là il mène la vie paisible, monotone d’un curé de campagne, tenant son journal, vaquant accessoirement au soin des âmes, selon les obligations de sa charge ; et sans doute y fut-il mort, sans rien souhaiter de plus, s’il n’eut à soutenir presque aussitôt un grand procès, dont la perte devait amoindrir notablement ses revenus.
La Dîme des Agneaux
Le 3 septembre de l’an 1555, Jean de La Rendonette, pour lors prieur du Barp obtient du Parlement de Bordeaux un arrêt lui confirmant le droit de percevoir la dîme sur les agneaux et chevreaux qui paissent dans la paroisse, même quand les troupeaux appartiennent à des propriétaires étrangers. Or, dans le cours de l’annéc 1606, un habitant d’Hostens, Pierre Dubourg, amène ses brebis et ses chèvres sur le territoire du Barp, où il les fait « paistre et pascager » plusieurs mois durant. Suivant l’usage, il s’est entendu pour cela avec le seigneur du lieu, auquel il paye un droit d’herbage, et qui l’autorise, comme il le fait toujours, « à construire un parc ou cabane pour y retirer et serrer son bestailh, au temps de la naissance de ses aigneaux et chevreaux, avant ou après leur naissance. » Le lendemain du jour et feste de la Magdelene, Dubourg s’en revint chez lui d’un pas tranquille, avec « tout son bestailh, brebis, chèvres, aigneaux et chevreaux ». De fil en aiguille, on en vient au procès en appel devant le Parlement de Bordeaux, qui l’inscrit au rôle par arrêt du 13 février 1609 : Pierre Dubourg, dont tous ses domaines sont situés à Hostens, expose « et par ce que les terres de la dicte parroisse sont extrêmement ingrates et ne rendroient qu’avec difficulté la semence, sy elles n’estoient eschauffées et boniffiées par une grande quantité d’engrais, l’appelant et autres habitans dudict lieu estoit contrainctz de tenir une grande quantité de bestailh ; et par ce aussy que le bestailh se plaisoit à changer d’air et de pascage, en quelque saizon de l’année et pour quelques mois, l’appellant avoict accoustumé de remuer son bestailh, tantost en ung lieu, tantost en ung aultre. » C’est donc de façon très accidentelle que ses troupeaux se trouvèrent au Barp au cours de l’année 1606. Et par conséquent, il ne doit rien au prieur de cette paroisse. « La raison de cella, expliquait-il, estoit prinse de ce que les ouailles et aultre bestailh qu’on nourrit pour engraisser et bonniffier quelques héritages estoit censé partie de la mesterie ; aussy est-il certain que la dixme des aigneaux et aultres semblables est prédialle. Or, est-il que les dixmes prédialles se doivent paier au curé de la parroisse où les fondz sont sciz et scituez. »
Le syndic du collège de la Madeleine, intervenant à son tour, expose tout d’abord qu’on n’a aucun droit de le citer en garantie, le contrat de ferme signé par lui portant, d’une façon générale, sur les fruits décimaux réellement dus au curé d’Hostens, sans la moindre mention « des aigneaux en la qualité controversée au procès. » Toutefois, comme la tentative de M. de Mompontet risque de léser gravement les intérêts dont il a la charge, il accepte de rester partie en l’affaire, et adopte l’argumentation de Pierre Dubourg en y ajoutant des considérations nouvelles, dont voici le résumé. « La dixme, déclare-t-il, se debvoit paier pour les offices divins et sacremens que le curé administre à ses parroissiens. » Le prieur du Barp donc n’y possède nul droit dans l’espéce puisqu’il ne fait « aulcun service divin aux paroissiens d’Hostens ny aux pasteurs de leurs troupeaux. » Se ranger à ses prétentions serait, d’ailleurs, « une guépière de procès pour l’advenir, n’y aiant parroisse dont les circonvoisines ne se servissent réciproquement du pasturage les ungs des aultres. » Puis on ne peut nier que les usages du Bordelais « ne condemnassent cette façon d’agir. En effet, il se voioye tous les jours que les bouchiers de Bourdeaux envoyent leurs troupeaux à la lande, néanmoins il estoit inouy que les curés des lieux demandassent dixme des aigneaux. » De même pour les nombreux animaux qu’on menait, soit l’été, soit l’hiver, paître dans la palu de Bègles. De plus, une raison très grave milite contre le prieur du Barp. Si on se range à son avis, « ce seroit ouvrir la porte à mil fraudes que les parroissiens, par vengeance et inimitié contre leurs curés, ou de pure mauvaiseté pour s’exempter aulcune dixme ou pour en priver celuy à quy légitimement il apartiendroit, ils feroient transmuer les troupeaux d’une parroisse à aultre pour rendre les dixmes dubteux et précipiter les curés en une fondière de procès. » Enfin on peut constater d’une façon certaine que, de temps immémorial, les curés d’Hostens perçoivent la dîme des agneaux, sans que les prieurs du Barp les eussent jamais inquiétés. Pour conclure, le syndic des Jésuites se porte « appellant comme de nouveau venu à la notice » et demande la condamnation de son collègue.
Les fermiers de la dîme, eux, ne dirent rien, jugeant avec beaucoup de bon sens qu’on se passerait à merveille de leurs éclaircissements, si lumineux fussent-ils.
Quant à M. de Mompontet, il répondit point par point au syndic, disant :
1er qu’il administrait les sacrements aux pasteurs d’Hostens, lorsque ceux-ci tombaient malades durant leur séjour au Barp ;
2e que le cas des bouchers de Bordeaux et celui du bétail amené en la palu de Bègles, ne ressemblent aucunement au cas de Pierre Dubourg. Ce dernier, en effet, s’est établi à demeure, pour plusieurs mois, sur les landes du Barp, après y avoir fait construire des parcs ; tandis que les premiers circulent sans cesse, ne s’arrêtant nulle part plus de quelques jours;
3e enfin, que le syndic des Jésuites ne justifie pas être, comme il l’affirme, en possession de lever la dîme des agneaux sur tous les troupeaux d’Hostens sans exception.
Cette troisième raison présente évidemment une importance beaucoup plus considérable que tous les dires accumulés jusqu’alors. De fait, elle détermine l’issue du procès. Le 29 août 1609, un arrêt ordonne, « avant faire droit, que, dans le premier jour jurisdicq après la saint Martin », le syndic des Jésuites justifierait de la possession immémoriale dont il se targuait. Or c’est là un coup mortel pour M. de Mompontet, car le syndic des Jésuites ayant fait procéder, le 5 novembre 1609, à une enquête dirigée par le juge de Sore, les dépositions reçues mettent en évidence la vérité de ses affirmations. Et sur le vu du procès-verbal qui constate ces choses, le Parlement rend, en date du 7 septembre 1610, un arrêt déboutant le prieur du Barp de ses prétentions, et maintenant les Jésuites, pris comme curés d’Hostens, « en la pocession de jouissance de percepvoir le droict de dixme des aigneaux et chevreaux apartenant aux habitans de la dicte parroisse, nonobstant qu’ilz naissent au dict lieu du Barp, pendant le temps qu’iceulx habitans y envoyent pascager leurs troupeaux ».
Cet échec décourage-t-il M. de Mompontet, en lui laissant croire qu’il ne serait jamais de taille à lutter contre les grands seigneurs ecclésiastiques ? L’infortuné plaideur craignit-il de voir surgir, les unes après les autres, de nouvelles difficultés devant lesquelles il échouerait encore ? C’est bien possible. En tout cas, il ne va pas tarder à se démettre de son bénéfice. Quelques années plus tard, en effet, il le cède aux Feuillants, qui viennent de s’établir à Bordeaux. Ont convenu et accordé par formel concordat que ledict Mompontet « jouyra de la maison, jardrin et garenne, le tout joignant au dict prieuré, et ce pendent sa vye seullement ».
Ces Feuillants constituent une branche du grand Ordre bénédictin, née depuis peu, et dont il ne sera pas inutile de raconter brièvement l’histoire, avant d’exposer comment Le Barp passa entre leurs mains.
Le prieuré est vendu en 1792 pour une somme insignifiante.
Trois appendices dont un fournit des renseignements sur les 24 vicaires perpétuels jusqu’en 1791 et sur les curés desservants du Barp depuis le Concordat jusqu’en 1902
Abbé A. Gaillard, Revue historique de Bordeaux et du dép. de la Gironde, Tome XIV, année 1921 p. 37-48 (fin) Bordeaux Feret
https://archive.org/details/revuehistoriqued1315sociuoft/page/n89/mode/2up?q=Barp
http://www.ville-le-barp.fr/decouvrir-le-barp/78-histoire-locale.html
[1] Cette étude a été trouvée parmi les papiers légués par M. l’abbé A. Gaillard aux Archives municipales de Bordeaux. En la publiant, la Revue croit rendre le meilleur hommage au grand travailleur qui, depuis sa fondation, l’honora maintes fois de sa prérieuse collaboration. [S D. L. R.]
La plupart des documents qui nous ont servi à rédiger cette étude sont conservés aux Archives départementales de la Gironde dans le fonds non classé des Feuillants. Ils se trouvent plus particulièrement aux cartons ou liasses no- 6, 12, 15, 21, 23, 25, 35, 36, 37, 40, 44, 60, 61, 62, 65, 66 et 68.
[2] L’auteur que nous citons s’occupe plus spécialement, dans les lignes précédentes, de la Septimanie et de la Marche d’Espagne; mais ses réflexions ne sont pas moins applicables à la partie dévastée de l’Aquitaine et des autres provinces où l’invasion avait passé. « L’histoire des autres monastères, déclare M. Imbart de la Tour, nous présenterait des faits analogues. » (Ibid)
Questions d’histoire sociale et religieuse. Epoque féodale p. 33-36.
[3] Baurein, Variétés bordelaises, édition de 1876, t. II!, p. 197.
[4] Le mayne n’est pas autre chose que la manse.
[5] – Charte du 9 juillet 1366.
En 1355, Bernard de Libero paie une amende au receveur archiépiscopal de Bordeaux: « Onero me de IX s. VU d. sterl. receptis a Bernado de Libero, fratre hospitalis de Barbo, pro valore v. flor., quolibet pro XXI II sterl. computato, quibus tenebatur pro quadam muleta. » (Arch. hist. de la Gironde. t. XXI, p. 206). C’est donc un des religieux du Barp, mais on ne peut dire qu’il en est prieur.
[6] – Arch. dép. de la Gironde, c;. 386. « E bolorom que l’ospitau don Barp fos mos en la letra deu compte d’Arinanhac. »(registres de la Jurade de Bordeaux, t. IV. p^ 173.)
[7] – Une des copies de cet acte, citée par Jules Delpit dans les Archives historiques de la Gironde, t. XV, p. 536, remplace les mots : « toute la terre de La Canau Sèque », par ceux-ci : « toute la terre d’Argenteyres ». Cette modification est évidemment due à un scribe du xvie siècle, qui a voulu justifier la possession d’Argenteyres par les Feuillants. Elle n’est basée sur rien de sérieux, la charte de 1220 n’indiquant point les confrontations de la terre de La Canau Sèque. Cette terre englobait-elle Argenteyres ? s’arrétait-elle bien avant ? on n’en sait rien. Quoi qu’il en soit, Tastous est situé à 4 kilomètres du Barp, sur la route qui va à Marcheprime. Deux kilomètres plus loin, en suivant la même route, on arrive à Lacanau Sèque. Ce dernier lieu est arrosé par un petit cours d’eau, nommé la Canau, qui prend naissance un peu plus haut, vers Test, par la réunion de plusieurs sources, gonflées de quelques ruisseaux d’assèchement, coule vers l’ouest après avoir passé par La Canau Sèque, rencontre le quartier d’Argenteyres, dont il traverse le côté sud, et va se jeter dans l’Eyre 1.500 m au-dessous de la station de Lamothe. D’Argenteyres à La Canau Sèque on compte à vol d’oiseau 7.500 mètres, et d’Argenteyres au Barp 12 kilomètres.
[8] Baurein, Variétés bordeloises t. II, p. 283.
[9] – Cartulaire de Saint-Seurin de Bordeaux, publié par J.-A. Brutails, p. 305, Gaillard Lambert était sacriste de Saint-Seurin dès le 26 mars 1237. Il devint
ensuite doyen de cette église, fonctions dans lesquelles on le trouve de 1250 au 2 septembre 1266.
[10] – Abbé V.-M. Foix, Anciens hôpitaux du diocèse de Dax, p. 7.
[11] – Ibidem
[12] – Johannes de Nogeyriis.
[13] – Le fief d’Argenteyre dépend en toute directité du prieur du Barp. Il lui a été donné par Olivier de Pommiers en l’an 1220 ; la dite donation fut confirmée par J. de Grailly, Captal, le 9.7.1366 (A.D.G. – H Feuillants 632).
[14] – Extrait du Bulletin n° 35 du 1er trimestre 1983 de la Société Historique et Archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch
[15] Jean III de Grailly, fils de Jean II et de sa première femme Blanche de Foix, fut un des meilleurs capitaines de son temps. Vaincu et fait prisonnier par Duguesclin, d’abord à Cocherel en 1364, puis à Soubise en 1372, il mourut en 1376 à Paris, dans la tour du Temple, où Charles V l’avait fait enfermer.
Il n’avait jamais été marié.
[16] Le grand-chantre était l’un des principaux dignitaires du chapitre Saint-André de Bordeaux et y occupait le cinquième rang. L’archidiacre de Cernés, lui, tenait le troisième rang parmi les dignitaires. — Cf. Louis Bertrand, sous le pseudonyme d’Antoine de Lantenay, Mélanges de biographie et d’hisloire p. 19’l-206; La dignité de chantre dansl’ancien chapitre Saint- André.
[17] On entendait par la dénomination padouen, « tout objet quelconque, chemin, eau, pacage, forêt, etc., dont l’usage était laissé à d’autres qu’au propriétaire ». Baurredon, cité par Pierre Harlé, dans son étude historique sur Les padouens du Bordelais, p. 1.
[18] – Le prieuré de Comprian est situé dans la paroisse de Biganos. Cf. Baurein, Variétés bordelaises, édition de 1876, t. III, p. 378 à 381.
[19] Ancien nom de l’Isle-Saint-Georges.
[20] – Marié à Agnès de Foix.
[21] Guilhem de Lescun était encore chanoine de Saint- André en 1376 (Arch. dép. de la Gironde, (i. 365).
[22] – Guillaume Dupuch était déjà prieur de Cayac le 7 octobre 1327 (Arch. dép. de la (iironde, H. Chartreux, carton I).
[23] – Cette charte a déjà été publiée dans les Archives historiques de la Gironde, t. XV, p. 535-537. Mais le transcripteur a utilisé un texte si évidemment erroné en diverses parties, que nous croyons devoir en donner une transcription nouelle. Voir plus loin a l’appendice l•
Jules Delpit semble douter de l’authenticité de cette charte. Tout au moins peut on le supposer, car il déclare avoir vu sur une copie la note suivante, qu’il attribue au syndic des Feuillants : « Donation prétendue; » La note existe en effet; mais d’abord elle est tellement anonyme qu’on ne peut, d’aucune façon, en faire honneur à une personne déterminée, pas plus au syndic des Feuillants qu’à un fouilleur quelconque d’archives. Puis la terre de La Canau Sèque et le bois de Tastous, on ne saurait en douter, appartinrent très réellement au prieuré du Barp, qui les possédait encore en 1791. D’autre part, une procuration du 5 mars 1363, contenue dans une charte du 12 octobre 1365, dont nous avons donné le texte à l’appendice 1″-‘^ de notre ouvrage : Gens et choses d’autrefois » p. 190 à 207, prouve que Pierre-Arnaud de Lamensan exerçait bien, à l’époque qui nous occupe, les fonctions de chargé de pouvoirs du captal de Buch. Enfin, il est incontestable que Guilhem Dupuch, prieur de Cayac dès le 7 octobre 1327 (Arch. dép. de la Gironde, fonds des Chartreux, carton 1), occupait encore cette charge à la fin de 1365, comme cela résulte de la charte du 20 octobre de cette année-là, que nous venons de citer.
[24] – Baurein, Variétés bordelaises, t. III. p. 199.
[25] – Arch. histor. de la Gironde, t. XXIII, p. 58. « Sinq soudz por nue los paubre-: (deudeyt espitau) sian tengutz de pregar Diu per la sua arma et de son payre et de sa mayre et deus trespassatz de son linatge.
[26] – Mémoire concernant les reconnaissances du prieuré.
[27] – Cono£(uda causa sia que mossen Johan deu Marquât, prestre, prior, le jourd’huy… tenciit son chapitre en la gleysa de Saint-Jaincs deu Barp, et ajustât plusors homes dignes de fe en son capitoul, a faute de frays, au son de la campana… etc.
[28] – Deu Passadey
[29] – Arch. dép. de la Gironde, G. 392. V. Arch. hist. de la Gironde, t. XXII, p. 628
En janvier 1471, Johan du Marquât possédait une maison rue de Berrau
[30] – Arch. dép. de la Gironde, H. 271. folio 67. Voir aussi G. 1347
Plusieurs copies d’anciennes reconnaissances, Faites au XVIIe siècle par le féodiste des Feuillants, donnent une baillette de 1525 comme émanant de Guilhom Amion, prêtre, prieur du Barp. Or il est certain qu’en 1525, le prieuré était occupé par Pierre Daney, qui en faisait administrer le temporel par un prêtre, nommé Guilhom Daney. II y a donc, dans les copies du XVIIe siècle, une erreur de lecture et il faut rétablir le texte comme suit : Guilhem Daney, prétre, procureur de Pierre Daney, prieur du Barp. De même, dans une baillette du XVIIe siècle, citant une exporle de 1549, consentie par le prieur en faveur d’André Taris, une distraction du scribe a transformé cet André Taris en prieur.
Une très belle étude !
Avez-vous trouvé depuis quand le vocable “Saint-Jacques” est utilisé ?
Merci de votre réponse
Denise Péricard-Méa
Docteur en histoire