Petite causerie vespérale à caractère nautique – Gambeyer : pourquoi, comment ?
Il y a peu, une amie, partageait dans notre groupe un film des années 60 laissant voir des pinassottes évoluant en régate. À cette occasion le néophyte en matière de voile et plus particulièrement de voile au tiers aura probablement remarqué que celle-ci et sa vergue étaient souvent amenées (descendues par leur propre poids) pour être hissées de nouveau. Mais que font donc ces pinasseyres ? Ils gambeyent.
Avant d’aller plus loin, il faut d’abord s’intéresser à la voile au tiers. Celle-ci se compose d’une voile quadrangulaire tenue sur une vergue qui est positionnée, plus ou moins inclinée par rapport à l’horizontale, de manière à ce qu’un tiers de sa surface soit entre le mât et l’avant du bateau (cette caractéristique explique le nom de ladite voile). Le lecteur aussi numérique qu’HTBoïate tirera profit de la consultation du dessin explicatif ci-dessous que nous devons à Jean Merrien.
Ce gréement se caractérisant par son économie de moyens (une seule voile, une drisse, une écoute, pas de hauban) trouva naturellement sa place sur les pinassotes. Cependant il possède un inconvénient au louvoyage (lorsque le navire remonte le vent en « tirant des bords », ce qui se traduit par une marche en zig-zag de part et d’autre de la direction du vent) : Lorsque la direction du vent est orientée du côté opposé à la position de la vergue sur le mât, la voile peut se déployer sans rencontrer d’obstacle, c’est la « bonne main » ; en revanche lorsque le vent est orienté du côté opposé, la voile va venir s’appuyer sur le mât et former une poche de chaque côté de celui-ci, c’est la « mauvaise main », la pinasse va avancer moins vite et davantage dériver. (voir deuxième dessin, mon œuvre)
On peut ajouter que sur ce « faux-bord », la drisse, qui fait office de hauban, se trouvera alors sous le vent (du côté opposé à l’appui de celui-ci sur la voile) et n’assurera plus son rôle de maintien du mât ; cela pourra, si le vent est fort, provoquer la casse de cet espar. Celui-ci pourra également être endommagé par l’application de la vergue directement sur lui.
Pour éviter ces inconvénients, on va devoir faire passer la voile et sa vergue de l’autre côté du mât ; c’est cette action qu’on nomme gambeyer (ou gambéier, voire tout simplement gambier). Tordons illico le cou à une légende : l’origine du mot n’a rien à voir avec les jambes (gambes ou gambettes) pas plus qu’avec un hypothétique pas de danse (gambiller qui d’ailleurs ne signifie pas danser mais marcher) ; il nous vient de l’italien « cambiare » signifiant changer.
Sur les navires d’un tonnage un peu important l’opération est assez longue, nécessitant d’amener la vergue, de déverguer la voile, de hisser la vergue seule et en la dressant à la verticale de la faire passer de l’autre côté du mât, de la descendre, puis d’enverguer de nouveau la voile avant de la hisser sur le bon bord. Ouf ! Heureusement, le pinasseyre s’est doté par souci d’économie d’une embarcation simple et légère dont les espars le sont tout autant, c’est pourquoi il peut se permettre de gambeyer en passant simplement le mât par-dessus vergue et voile lorsque celles-ci ont été amenées. L’exercice requiert néanmoins force, rapidité et sens de l’équilibre.
Thierry PERREAUD