Domaine de Certes

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Ce lieu n’étoit ci-devant qu’un simple Village de la Paroisse d’Audenge en Buch ; il est devenu maintenant de quelque considération, soit par l’établissement de la Maison Seigneuriale, qui existoit auparavant, ainsi qu’on l’a déjà observé, dans la Paroisse de Lamothe, où étoit l’ancien Château de Buch ; soit par le transport du Siège de la Justice, qui est maintenant établi au quartier de Certes ; soit par les marais salans qu’on y a pratiqués depuis quelques années, soit par les foires que M. le Marquis de Civrac y a établies.

Certes, qui est situé au levant du Bassin d’Arcachon, seroit placé dans le pays de Médoc, si on s’en rapportoit à l’Auteur du Dictionnaire Universel de la France, et même à M. l’Abbé Expilly. Cet Auteur qualifie et donne le titre de Paroisse au lieu de Certes, qui, selon lui, est à six lieues et un quart de Bordeaux, et qui dépend de la Jurisdiction de la Mothe-Certes.

Pour rectifier ces inexactitudes, on dira, en premier lieu, que Certes n’est point placé dans le Médoc, mais dans la contrée de Buch ; en second lieu, que Certes n’est pas une Paroisse, mais un simple quartier ou Village de celle d’Audenge : il y existe néanmoins une Chapelle érigée sous l’invocation de Saint Yves, auquel jour les gens des Paroisses voisines se rendent en affluence ; en troisième lieu, que Certes est placé à la distance, vers le couchant, de huit grandes lieues de Bordeaux ; en quatrième lieu, que ce quartier n’est plus de la Jurisdiction de Lamothe, mais qu’il est actuellement le nouveau chef-lieu de cette Jurisdiction.

L’Auteur du Dictionnaire universel de la France lui attribue 223 habitans. M. l’Abbé Expilly y compte 52 feux. Suivant un dénombrement dressé en 1770, on y comptoit pour lors 102 feux; ce qui, à cinq personnes par feu, formeroit le nombre de 510 habitans.

Le quartier de Certes étoit placé ci-devant au bord du Bassin d’Arcachon ; mais il en est maintenant distant d’environ une demi-lieue ; ce n’est pas que l’eau de la mer se soit retirée ; il ne faut attribuer ce changement de distance qu’aux travaux qui ont été faits sur le terrein que les eaux de ce Bassin découvrent à basse marée, et qui a été renfermé par des digues qui empêchent que les eaux ne montent aussi haut qu’elles faisoient autrefois. Or, c’est dans cet espace qu’on a formé des marais salans, et c’est ce qui a occasionné la distance qui se trouve actuellement entre le quartier de Certes et le Bassin d’Arcachon.

Les habitans, à la vérité, qui avoient la propriété d’un chenal, au moyen duquel ils aboutissoient, d’une façon ou d’autre, au Bassin où ils exerçoient la pêche, cédèrent en 1770 cette propriété à M. le Marquis de Civrac leur Seigneur. C’est au moyen de cette cession que ce Seigneur a fait pratiquer les marais salans qui existent dans le quartier de Certes. Il en possède lui-même 260 livres. Il a d’ailleurs concédé au sieur Guenon de Bonneuil un terrein où celui-ci en a pratiqué 40 livres; on a expliqué ci-dessus ce qu’on entend par une livre de marais salans.

Les habitans de Certes, qui ne faisoient la pêche que dans le Bassin d’Arcachon, ont entrepris depuis quelques années de la faire dans l’Océan, comme ceux de la Teste et de Gujan. On a lieu de douter s’ils sont aussi à portée que ceux-ci de la pêche du peugue.

La Seigneurie de Certes appartenoit, vers la fin du seizième siècle, à M. le Duc de Mayenne; elle avoit antérieurement appartenu à la Maison d’Albret. Plusieurs Auteurs attribuent à cette Seigneurie le titre de Captalat. Si cette opinion étoit fondée, ce seroit une raison pour qu’elle fût regardée comme un démembrement du Captalat de Buch. Antoine de Jaubert de Barrault, Chevalier, est énoncé Captai de Certes dans un titre du 28 octobre 1638. Haut et puissant Seigneur Messire Jacques de Durfort est également énoncé Captai de Certes en Buch dans un titre du 2 septembre 1668. Jean de Durfort étoit propriétaire de cette Seigneurie dès l’an 1669.

Variétés Bordeloises, abbé Baurein

Des Durfort de Civrac à Dauberval

La maison de Durfort est une famille de la haute noblesse de Guyenne, tirant son nom de Durfort-Lacapelette près de Lauzerte (Tarn-et-Garonne).

La branche Durfort-Civrac commence avec Jean de Durfort (1488-1535), baron de Civrac, fils de Jean de Durfort, seigneur de Duras, maire de Bordeaux, et de Jeanne Angevin. Il épouse en 1524 Louise de Castelbajac.

Cette branche s’est alliée aux Maisons de Castelbajac, de Castelnau-en-Chalosse, d’Aydie, de Lannes, de La Rochefoucauld-Montendre, de Pons-Bourg-Charente, de l’Isle, de Courtenay, de Calvimont, Jaubert de Barrault, Acarie du Bourdet, Fouquet de Belle-Isle, de Génissac, de Mélac, de Carles, de Grammont, en Franche-Comté, de La Faurie, de Lescure, etc.

19 juin 1761- Recueil de pièces, contrat de vente de 240000 arpens de terres dans le marquisat de Certes, sénéchaussée de Bordeaux…

La tradition fait remonter à 1610 la date de la première tentative d’un établissement d’essais de culture entrepris sur les landes de Bordeaux par les derniers Maures chassés d’Espagne ; aucun monument authentique n’en garantit la vérité. On descend ensuite jusqu’à M. le comte de Beaumont, qui obtient, en 1759, une concession de terre, mais sans réaliser aucun de ses projets de défrichement.

Le 19 juin 1761, François de Durfort, devenu seigneur de Certes, vend à bail à cens 52 lieues carrées de terrain [240 000 arpents] de terres incultes à une Société Moriencourt, Vallet de Savignac, le grand négociant en sel de Brouage, et Chaulce de Chazelle.

Moriencourt compose un fort beau prospectus, qu’on dirait de notre époque, et dissipe ses fonds en un long et dispendieux procès avec le propriétaire, M. de Civrac.

Ladite Dame Marquise de Civrac audit nom concède aux-dits Sieurs de Moriencourt, de Sallignac & Compagnie, ou autres envoyés principaux de ladite Compagnie, un Logement pendant dix années consécutives, à compter de ce jour, dans sa Maison noble de Berganthon, avec la faculté de se servir des meubles qui se trouveront dans ledit Logement, dont (…) pour laquelle jouissance & Logement lesdits Sieurs de Moriencourt, de Sallignac et Compagnie, ne payeront rien audit Seigneur Marquis de Civrac.

Cette société, très mal administrée, ne tarde pas à être dissoute ; son fondateur Salignac est obligé de s’expatrier et le marquis de Civrac forcé d’entamer d’interminables procès devant la Cour des Aides, pour rentrer en possession de ses terres.

Ces actions en justice terminées non sans peine, Civrac ne se laisse pas rebuter et traite aussitôt, en 1765, avec une autre Compagnie dont le directeur se nomme Roth. Civrac entreprend lui-même des dessèchements près d’Andernos, au nord-est du bassin d’Arcachon qu’il veut relier à Bordeaux au moyen d’un canal passant par Lanton, Berganton et le ruisseau de Pessac. Ce projet, mal conçu, ne fut pas admis, et la Compagnie Roth, de son côté, commence quelques travaux dont il ne reste bientôt aucune trace visible de son existence

 

Recueil des actes de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts (Bordeaux), 1849.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33947f/f571.item.r=%22Bronod%22Moriencourt

Autre contrat de conventions pour un établissement de marais salans… Procès verbal qui vérifie la bonté du terrein… Arrest du Conseil d’Etat… qui accorde tous les privilèges et exemptions à la Compagnie… Prospectus de l’état de l’affaire… 1762

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96319208.r=%22seigneurie%20de%20Certes%22?rk=64378;0

A.N., Minutier Central : Bronod et [Bernard] Maigret, notaires [au Châtelet, à Paris] : Bail à cens emphytéotique, du 1761, pour 240 000 arpents de terre incultes à Moriencourt et Cie

L’armateur Balguerie-Stuttenberg et son oeuvre : le réveil économique de Bordeaux sous la Restauration, Pierre de Joinville (18..-19.. ; docteur ès lettres), 1914.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96183002/f144.image.r=Moriencourt%20et%20salignac?rk=85837;2

De la Mise en valeur des landes de Gascogne : résultats économiques de la loi du 19 juin 1857 / Thèse pour le doctorat… par Arnaud Fourcade ; Faculté de droit de l’Université de Bordeaux Éditeur : (Bordeaux) Date d’édition : 1909

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96191725/f65.item.r=%22seigneurie%20de%20Certes%22

La faillite du marquis de Civrac

Le marquis François Eymeri de Durfort de Civrac 1727-1773, veuf en 1764 de Françoise de Pardaillan de Gondrin-d’Antin, décède à Paris le 29 décembre 1773. Il est en état de cessation de paiements. Quelques jours plus tard, le Roi, par mesure de bienveillance, confie la faillite du marquis de Civrac à une Commission extraordinaire du Conseil avec mission de gérer au mieux le patrimoine Civrac et de le vendre.

La seigneurie de Certes comme tous les autres fiefs du marquis est mis en vente dès que possible. Des affiches sont publiées en 1783, décrivant ces propriétés.

Certes restant invendable, est saisi et géré par des mandataires successifs, agissant pour le compte des héritiers du marquis et de ses créanciers.

En 1788, le fils du marquis de Civrac, Louis Venant de Durfort de Civrac, est envoyé en mission officielle aux Indes et il devient maire de Pondichéry où il décède en 1792 ; sous le mauvais prétexte de son expatriation, l’administration révolutionnaire décide que ses biens seront saisis et vendus ; en attendant, ces domaines sont affermés par l’administration locale.

L’Administration fait procéder à l’inventaire et estimation des biens de Civrac. Le 8 brumaire an VI, cette opération est confiée à Me Jean Eymeric, notaire de La Teste, avec mission de « procéder à l’estimation en revenus et capital sur la base de 1790 des domaines de Durfort Civrac émigré, à Audenge, Lanton, Mios, Biganos, Saint-Jean d’Illac ». Jean Eymeric, assisté de Guillaume Gassian, agent municipal de Biganos, procède le 28 brumaire à sa mission : « J’ai décidé, plus profitable pour la République, de diviser ces biens immenses offrant une superficie de plus de 10.000 arpents » (5 000 hectares).

Les inventaires sont établis commune par commune ; les adjudications ont lieu sur ces bases. Concernant la commune d’Audenge, l’inventaire compte 14 articles et l’évaluation s’élève au total de 145 000 francs, calculée à partir d’un revenu annuel de 7 250 francs, ce qui correspond à une rentabilité de 5 %.

Article 1 : une maison à rez de chaussée, chartreuse de 24 chambres ayant 13 pieds de haut, 198 pieds de longueur, 50 pieds de large.

Hangar et volières sur chaque côté sur terrain de 2 journaux et pelouse de 12 journaux au levant et midi parsemé de chênes, ormeaux, châtaigniers avec un pigeonnier au midi.

Au total 45 journaux en un tenant.

Confrontant au levant au chemin public de Certes à Lanton ; au couchant au canal qui va à Lanton ; au nord au ruisseau de Passaduy ; au midi à divers particuliers, fossé entre eux.

Évaluation en revenu 1200 livres en capital 1200 livres x 20 = 24 000 livres

Article 2 : Deux journaux de terre labourable près de la maison

Confrontant au levant, couchant et nord à divers particuliers ; au midi au chemin public du port de Certes

10 livres x 20 = 200 livres

Article 3 : 190 journaux au nord et près de la maison, dits  » la Casse de Certes  » partie en taillis de chênes et pins résinants, partie en pins au Pas du rey

Confrontant au nord et près de la maison au grand pas Simonet ; au levant partie aux pins du grand parc et Lizée (ou Lisey) ; au midi au ruisseau de Passaduy et divers au couchant au canal de Certes à Lanton

14.000 livres

Article 4 : 222 livres de marais salans entourés de digues dont 3 réservoirs à poisson

Confrontant au levant à Bonneuil ; au midi au canal de Certes ; au nord et couchant au Bassin

Revenus : réservoirs: 1 310 livres ; foin des digues : 250 livres ; vente du sel : 2100 livres par an

Total : 3 660 livres x 20 = 73 200 livres

Article 5 : 9 maisons de sauniers sur les  » Places de Certes  » et une boulangerie

Confrontant du midi, couchant et nord aux landes et pelouses vacantes

340 livres x 20 = 6 800 livres

Article 6 : 60 journaux de pins résinants au lieu le Grand Pas Simonet. 3 000 livres

Article 7:12 journaux de bois taillis à Ménian. 300 livres

Article 8 : 2 journaux de jonca près le moulin d’Audenge ; au levant chemin de Certes à Audenge ; au midi à divers particuliers ; au nord ruisseau. 100 livres

Article 9 : 5 journaux près de la maison principale ; du couchant au chemin de Certes à Lanton ; du midi au chemin des landes ; au nord à Lizée et Caupos. 500 livres

Article 10 : 6 journaux au Goua en taillis. 500 livres

Article 11 : Le bois de Rabe en taillis. 500 livres

Article 12 : 290 journaux à Lubet en bois taillis et futaie ; du Nord, couchant et levant aux landes vacantes ; au midi à Dedieu. 8.000 livres

Article 13 : Le moulin d’Audenge à deux meules, maison et écurie. 550 livres x 20 = 11 000 livres

Article 14 : 4500 journaux de lande inculte environ « plus ou moins s’il y en a ». 3.000 livres

Total 145 000 livres pour un revenu de 7 250 livres.

Jean Eymeric inventorie scrupuleusement bâtiments et maisons qui souvent sont loués ou ont une valeur locative. Il inventorie aussi et évalue les salines, les bois et forêts mais avec des omissions nombreuses.

Quant aux landes, il procède avec une fantaisie telle qu’on doit bien admettre ou bien qu’il n’attache à ces surfaces incultes aucun intérêt ou importance, ou bien qu’il pense qu’il ne doit retenir que des surfaces très minorées en raison des droits de pacage concédés aux populations. Peut-être enfin estime-t-il que tout ce qui n’est ni inventorié ni vendu resterait la propriété des communes du fait des lois de la Révolution sur les bien « usurpés ». On constate, en effet, qu’aucune des communes intéressées n’émet de réserves ou de protestations sur le contenu de l’expertise.

On peut rapprocher les inventaires de Jean Eymeric de ceux qui ont été publiés en 1783 en vue de la vente de la seigneurie. Les divergences sont flagrantes. Eymeric parle de « plus de 10 000 arpents de lande » (5 000 hectares) ; les affiches de 1783 indiquent 276 000 journaux (90 000 hectares).

À Audenge, il indique « 4.500 journaux en plus ou en moins », soit 1 500 hectares alors que les landes audengeoises dépassent 4 500 hectares.

Eymeric ignore la « Garenne de Certes » de 395 journaux située entre Certes et Lanton. L’important bois de Lubec en haute futaie et taillis est indiqué avec 290 journaux au lieu de 482. Enfin et surtout, Eymeric relève qu’il existe 9 maisons doubles de sauniers sur les « Places de Certes » mais il ignore les immenses terrains vagues sur ces mêmes places entre les villages d’Audenge et de Certes.

Toutes ces différences créeront, plus tard, de longs et difficiles conflits entre la commune et Dauberval, puis avec les héritiers Civrac.

La vente par adjudication des biens Civrac, le 3 pluviôse an VI (22 janvier 1798), dure plusieurs jours. Pour Audenge, elle débute sur une mise à prix de 96 075 francs. La première enchère, d’un certain Vassal, est de 100 000 francs. Il y a 65 enchères successives. Dauberval est le dernier enchérisseur au soixante-cinquième feu pour un montant de 660 000 francs.

Si la musique est aimée à Bordeaux, on peut dire que la danse y est idolâtrée. Le premier maître de ballet & le premier danseur dont le Grand-Théâtre se glorifie est Dauberval ; il fut engagé, avec sa femme Théodore (née Marie-Madeleine Crespé), à vingt-huit mille livres par an, quelques années avant la Révolution, ce qui était un prix énorme pour l’époque. Dauberval était alors dans la force de l’âge & du talent. Quelques mots sur ses antécédents vous intéresseront peut-être.

Dauberval avait eu pour maître ce bon Noverre, qui plaçait la danse au niveau de la philosophie, & qui écrivait de graves traités sur la portée sociale des entrechats. Noverre, lui ayant donné la théorie, le céda à Vestris, qui lui donna la pratique. Après avoir composé, dès l’âge de quatorze ans, des ballets pour les théâtres de Lyon & de Turin, Dauberval, qui était alors svelte & beau, débuta à l’Opéra dans le genre sérieux. Il y obtint des succès réels & qui, dit-on, franchirent même la rampe, car à cette époque les plus grandes dames, même celles qui avaient tabouret chez la reine, ne dédaignaient pas de prendre des leçons de danse auprès des zéphyrs de l’Opéra.

Au milieu de ses triomphes, de toute espèce, la fatalité voulut que Dauberval devint gros. Il maudit les dieux & l’Olympe, & il se résigna à l’emploi des comiques. L’amant de Flore se transforma en un Faune bruyant & aviné ; le rire chassa le sourire. Ce jour-là, ce fut un grand scandale chez les duchesses & les maréchales du côté cour ; en revanche, ce fut un grand bonheur pour l’art.

L’acteur, dramaturge et directeur de théâtre David Garrick (1717-1779) et l’acteur Henri-Louis Cain, dit Lekain (1728-1778)  le regardent plutôt comme un comédien célèbre que comme un danseur. Il reste vingt ans à Paris, & mérite d’être appelé le Préville de la danse, un beau & ingénieux surnom !

Maintenant, qu’est-ce qui vaut à la scène de Bordeaux l’inappréciable privilége de fixer Dauberval, depuis l’âge de quarante ans jusqu’à sa mort ? Un ordre d’exil, simplement. Comme tous les grands artistes, Dauberval a ses caprices : il refusa de danser devant la reine. Le lendemain, il lui faut quitter Paris.

Rendons grâce à ce hasard, car Dauberval doit être regardé avec raison comme le père de cette école de danse bordelaise d’où se sont élancées presque toutes les réputations aériennes de ce siècle. C’est de Bordeaux qu’il a daté cette composition si gaie de « La Fille mal gardée », rêve de Florian, toile de Greuze, traversée par un rayon de la malice de Beaumarchais. Madame Dauberval y était ravissante dans le rôle de Lise, bien qu’elle commençât à être âgée. On la citait également dans l’Isaure de Raoul Barbe-Bleue, mais à des titres bien différents, car, dans ce dernier ouvrage, c’était le plus vif attendrissement qu’elle savait exciter.

Les autres ballets de Dauberval sont : Télémaque, le Page inconstant (Le Page inconstant, c’est le Mariage de Figaro mis en ballet à l’époque où le roi venait d’interdire la représentation de la pièce de Beaumarchais dans toutes les villes de province. Cette idée fut suggérée à Dauberval un jour qu’il dînait avec sa femme chez un des premiers négociants de Bordeaux ; le Page inconstant eut un succès d’enthousiasme ; vingt ans plus tard il fut joué à Paris, où il produisit le même effet), Amphion, ou l’Élève des Muses, Psyché & l’Amour, Annette & Lubin, & le Déserteur, où il remplissait le rôle de Montauciel.

L’explosion révolutionnaire permit à Dauberval de retourner à Paris, où il tint un salon renommé ; mais il n’y resta que peu de temps ; ses prédilections étaient définitivement acquises à Bordeaux.

Il est vrai de dire que Dauberval ne faisait pas de longs séjours dans ses bois de pins & dans ses champs de sable. Après avoir pris sa représentation de retraite, ennuyé de l’inaction, comme tous les vieux artistes, il se mit à voyager. Ce fut dans un de ses voyages, à Tours, qu’il mourut, âgé de soixante-trois ans, le 14 février I805.

 

De Montmartre à Séville par Charles Monselet (1825-1888), 1865

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56843087/f151.item.r=dauberval%20lanton#

Mémoires et comptes rendus des séances publiés par M. J. Pérard et M. Manley-Bendall. Rapport d’ensemble sur la pêche aux colonies / par M. Boutellier. La Mutualité maritime / par Ch. Barret, 1908

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1183562c/f627.image.r=dauberval%20lanton?rk=236052;4#

Voir : Dauberval, Maître de ballet, Pierre Labat, bulletin SHA N°104

https://shaapb.fr/media/pdf/bulletin/shaa-104.pdf

L’administration consent aux acquéreurs des biens nationaux un paiement échelonné :

– d’abord le règlement des frais,

– puis la moitié du montant de la mise à prix soit 48 000 francs qui sont payés le 27 pluviôse,

– enfin, le solde de 611 962 francs payés le 2 floréal.

Pour rassembler des capitaux aussi importants, Dauberval épuise d’abord toutes ses liquidités, puis fait appel à quelques emprunts.

Au cours des opérations d’enchères, sûr de lui, Dauberval demande le 5 pluviôse à son ami Charles Lebel, de l’Opéra, qui s’occupe de ses intérêts parisiens, de retirer l’argent qu’il a au Trésor national, puis le 18, il lui demande de transférer à Bordeaux tous ses comptes parisiens « en vue de l’acquisition du domaine de Certes ».

Au lendemain du décès de son épouse, Dauberval emprunte à Beumarth et Herzog, hommes d’affaires et banquiers bordelais, plusieurs sommes dont le total de 18 050 francs donnent lieu à une prise d’hypothèque sur Certes le 8 brumaire an VIII. Dans son acte d’emprunt, Dauberval déclare que cet emprunt « avait servi à payer l’achat de Certes … et qu’il n’avait pas d’autre inscription hypothécaire ».

Cet achat est une opération importante et risquée. Il est risqué de porter le prix d’achat à cinq ou six fois le montant de la mise à prix ; la rentabilité de l’affaire ne peut être que médiocre. Les Dauberval ignorent tout des difficultés d’un domaine diversifié, des difficultés de l’agriculture dans un pays où la terre est stérile, la production du sel aléatoire ; ils ignorent le négoce des sels, des résines, des bois, de la pisciculture.

Ils ont sans doute minimisé l’insalubrité du pays dont la population souffre de fièvres, c’est-à-dire du paludisme chronique. Enfin, éloignés de toute vie mondaine, ils vont devoir vivre comme des paysans.

Sans doute, les Dauberval sont-ils les premiers notables de la région et Dauberval est-il amené à siéger au « Bureau de bienfaisance », mais il est plus tard relevé de cette mission par arrêté du Préfet.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Maison_de_Durfort#Branche_de_Civrac

« Dauberval, maître de ballet », Pierre Labat, Bulletin SHA n°104, 2e trimestre 2000

https://shaapb.fr/media/pdf/bulletin/shaa-104.pdf

 

Lire : « Les châteaux de Certes à Audenge », Bulletin de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch n°124 du 2ème trimestre 2005

https://www.shaapb.fr/les-chateaux-de-certes-a-audenge/

Jean Bercher Dauberval

Arcachon, situé dans le vaste et triste rayon tracé par les Landes, n’avait pas alors grande renommée. Des résiniers et des pêcheurs formaient toute sa population. Très peu de personnes songeaient à y aller prendre les bains.

Les Bordelais savaient — par tradition — que ce côté de leur province était habité par des hommes vêtus de peaux de bêtes et hissés par de grands bâtons. Mais là s’arrêtaient leurs renseignements.

Les frères Péreire n’avaient pas encore passé par là.

II fallait à nos amis et à moi tout notre amour du pittoresque et du nouveau pour nous décider à faire en voiture le tour du bassin d’Arcachon que le coiffeur-poète Jasmin avait justement baptisé : « l’antichambre de la mer. »

Une surprise nous attendait à Audenge, un petit village à moitié englouti dans les sables. Nous étions entrés chez le facteur de la poste pendant un relais. Jules de Goncourt sentit ses yeux attirés par deux médaillons qui décoraient le mur : c’étaient les portraits du célèbre danseur Dauberval et de sa femme [Louise Crespé dite Théodore], très finement exécutés.

Au-dessous du premier, on lisait : « Jean Bercher Dauberval, né le 19 août 1742 », et cette inscription de Tibulle : « Mille habet ornatus, mille decenter habet ».

Au-dessous du second médaillon : «Théodore Dauberval, » et ces deux devises : « Ses talents séduisent, son esprit entraîne ».

L’Amitié seul peut apprécier son cœur. Du reste, pour elle, ni âge, ni lieu de naissance, ceci sans doute par galanterie. Cette tête de Théodore, coiffée à l’antique, était d’un beau caractère.

Les deux portraits avaient été dessinés par Le Fèvre et gravés par Ledoux. Surpris, comme on le pense bien, d’une telle rencontre au milieu des Landes, j’appris du vieux facteur que monsieur Dauberval avait possédé des terrains entre Audenge et Lenton. Et quels terrains, miséricorde ! Le cheval de voiture qui nous les fit traverser s’y enfonçait jusqu’aux genoux.

C’était bien la peine, pensais-je, d’avoir été une des célébrités de l’Opéra et la coqueluche des grandes dames du dix huitième siècle, pour venir sur la fin de ses jours s’enterrer mélancoliquement dans ces sables brûlants et pour voir s’écouler sa vieillesse dans un désert qui était vraiment en ce temps-là le au bout du monde !

L’Avenir d’Arcachon du 10 août 1879

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5422199m/f2.image.r=audenge?rk=3261818;4

Pour son épouse, danseuse vedette du nouveau Grand Théâtre de Bordeaux, Jean Dauberval a acheté le domaine de Certes où elle est décédée.

Le nez retroussé, le menton volontaire et des yeux clairs, rassemblant ses jupes tandis que son amant remonte sa culotte. Voilà « La Fille mal gardée », grand succès de la Dauberval au Grand Théâtre de Bordeaux…

https://www.sudouest.fr/2014/07/29/la-dauberval-a-la-plage-1627754-2742.php?nic

 

En décidant de se retirer à Audenge pour y prendre leur retraite, les Dauberval adoptent un mode de vie entièrement différent de celui qu’ils ont connu jusqu’alors.

Quelles nécessités, quelles considérations, quels objectifs ont-ils pu motiver leur choix ?

Une brève esquisse des personnalités de Dauberval et Théodore en 1797 permet d’entrevoir une réponse aux questions et de mieux comprendre aussi leur comportement et leurs problèmes.

Dauberval est alors âgé de 55 ans. Il est toujours maître des ballets du Grand Théâtre [de Bordeaux] mais il ne danse plus depuis longtemps. Il a perdu son incroyable souplesse, son don pour la dislocation, le saut et le mime burlesque. Cependant il continue à produire de nouvelles chorégraphies.

Ses tentatives de retour à l’Opéra ont été vaines. Le temps de la retraite est arrivé.

Le personnage qui a passé le meilleur de sa vie dans les milieux de l’aristocratie, goûté tous les plaisirs, connu toutes les gloires, conserve dans les milieux du théâtre plus spécialement de nombreuses amitiés chez ses anciens élèves. Cependant, il ne choisit pas Paris pour sa retraite mais Audenge et c’est, sans doute, à contrecœur. Ce choix est celui de Théodore.

Dans la notice nécrologique qu’il consacre à Dauberval, Fabre Guillardelle dessine du personnage le portrait suivant : « L’âme de Dauberval était encore au-dessus de ses talents. Son extrême sensibilité ne lui permettait pas d’apprendre les malheurs de celui qu’il affectionnait sans verser quelques pleurs, mais ces pleurs n’étaient point stériles. Il venait au secours de celui sur qui il avait pleuré. Le talent dans l’indigence rencontrait en lui un ami ; le jeune homme sans expérience dans son art, un protecteur et un ami. Il offrait sa bourse et ses leçons et on peut dire que sa vie fut une bienfaisance continue…

Je lui dois tout ; orphelin dès l’enfance, il m’a servi de père… »

Fabre se garde bien d’insister sur les conséquences de ces bienveillances et générosités. Il ne peut ignorer les difficultés financières de Dauberval à Paris lors de la création de la fameuse salle de spectacle, ni la ruine qui suivit le décès de Théodore.

Car Dauberval est un grand seigneur fastueux, ignorant les contingences financières. Il est un personnage typique de son milieu et de son temps.

Les chroniques de l’époque représentent Théodore comme une intellectuelle, une femme de caractère : susceptible, moqueuse, percutante, combative et brillante. Le couple a traversé bien des difficultés professionnelles à Paris puis à Bordeaux et Théodore n’y est pas étrangère. Dans une lettre écrite à Bordeaux le 22 germinal an XI, bien après le décès de son épouse et adressée à Pierre Gardel fils, Dauberval écrit en quelques mots chaleureux et significatifs : « C’est avec plaisir et franche amitié que je te prouverai que je n’aurais jamais eu le moindre tort à tes yeux sans l’esprit satirique de Théodore. Mais tu sais et tu sauras encore mieux à mon âge que les femmes qui aiment à écrire (souligné dans le texte) sont cause de beaucoup de malheurs ; aussi mon ami dispose en tout de ton vieux papa et camarade ».

Comme on dit aujourd’hui vulgairement : « Théodore menait la barque ».

Maintenant âgée de 37 ans, Mme Dauberval conserve entière sa grâce et tous ses talents. Mais elle est arrivée à l’âge où les danseuses quittent la scène.

Si Dauberval et Théodore sont très différents sinon opposés par leur caractère et leurs goûts, ils le sont aussi en raison de leurs origines. Dauberval est né dans le milieu du spectacle ; Théodore est fille de la petite bourgeoisie parisienne qui gagne péniblement sa vie dans le négoce. Elle a le respect de l’argent et généralement elle sait le gérer.

Lors de son mariage en 1783, le patrimoine de Théodore n’est pas négligeable ; la jeune danseuse a habilement investi ses économies et ses héritages dans des placements rentables. Par contre, Dauberval ne possède rien d’autre que ses pensions de danseur retraité.

Malgré la modicité de leur fortune en 1783, les Dauberval disposent en 1797 de 660 000 francs pour l’achat de Certes.

Or, dans son testament, Dauberval affirme qu’il a été ruiné par « l’exécrable Révolution ». Il semble bien qu’il ait voulu tranquilliser sa conscience en imputant à la Révolution une catastrophe financière dont il est sans doute le principal auteur.

On sait que les Dauberval avaient acheté un bourdieu à Bruges. Ils devaient le revendre.

Le long séjour à Poinchy a conforté chez Théodore son goût pour la nature et la campagne. Elle a vécu en châtelaine. Mais Poinchy n’est que l’usufruit de Dauberval sur lequel elle n’aurait jamais elle-même aucun droit.

En 1797, les circonstances restent favorables à un investissement immobilier durable. Or, le château Civrac, à Audenge, et son immense domaine sont à vendre au titre des biens nationaux. Les Dauberval vont trouver là le placement de leur choix qui compenserait la perte de leurs appointements et pensions.

Enfin, les Dauberval, en redevenant des châtelains, vont en quelque sorte faire figure de successeurs des prestigieux Durfort de Civrac.

Cet achat va consacrer leur ascension sociale.

Les Dauberval et les Audengeois

Les Dauberval arrivent dans une petite commune de 630 habitants, composée de deux villages d’égale importance : au sud, le bourg d’Audenge autour du cimetière et de l’église ; au nord, le village de Certes où se trouve le « Château », jadis siège de la juridiction. Les gens du vieux bourg sont plutôt de petits paysans, ceux de Certes plutôt des marins et des pêcheurs.

Entre les deux bourgs, Civrac a fait construire les maisons des sauniers charentais.

De cette population pauvre et illettrée, aucune bourgeoisie ne s’est dégagée au XVIIIe siècle, à l’exception des Duvigneau.

Les quatre ou cinq familles évoluées qui encadrent la population sont toutes d’origine « estrangeyre ». On trouve ainsi :

– au vieux bourg, dans son presbytère, l’abbé Bardy, moine plus ou moins défroqué qui complète ses ressources en exerçant le métier d’instituteur, et Amant Vieilleville, chirurgien ;

– au village de Certes, Jean Caupos, lui aussi chirurgien, qui habite près du carrefour de Certes – il a été Procureur d’office de l’ex juridiction et va être l’un des premiers maires puis juge -, et Pierre Thérèse Lizée, alors agent municipal (maire), ancien régisseur de la seigneurie – il habite toujours le Château avec une nombreuse domesticité.

Encore à Certes, à Cournalet, Pierre Hazera père, marchand de poisson, âgé d’environ 50 ans, habite en limite des « Places de Certes » et deux siècles plus tard sa maison est toujours occupée par sa descendance. Son fils aîné Pierre Hazera, déjà marié, a quitté la famille pour s’installer au village de Certes ; personnalité entreprenante, affirmée, lettré comme son père, il est lui aussi marchand de poisson.

Tout à l’extrémité des « Places de Certes », Philippe Masson, « importé » de Lyon, gère les grands domaines de salines de Pierre de Pardaillan et des Bonneuil ; il sera plus tard maire et notaire. Il est en effet de tradition que tous les maires de cette époque soient issus de cette bourgeoisie.

Très vite, des liens d’amitié, sinon d’intérêts, s’établissent entre les Dauberval et Jean Caupos, ainsi qu’entre les Dauberval et les Hazera père et fils. Ceux-ci joueront un rôle de premier plan dans la gestion des domaines de Dauberval et plus généralement dans la gestion des affaires publiques d’Audenge et de Lanton.

C’est dans les descendances des Caupos et des Hazera que sont conservés jusqu’à nos jours deux petites estampes des portraits de M. et Mme Dauberval, selon des eaux-fortes de Lefèvre.

Quant à Jean Eymeric, le notaire de La Teste, il est le gestionnaire exclusif des contrats signés par les Dauberval pour la gestion de leurs domaines.

La plupart des actes que les Dauberval signeront à Bordeaux en vue du règlement de leur achat de Certes sont conjointement signés par M. et Mme Dauberval. Les grands contrats établis à Audenge pour la gestion de Certes sont, de même, signés par les deux époux. La participation de Mme Dauberval à la signature des actes notariés fait exception aux usages, à la règle de l’incapacité de la femme mariée. Par son intervention dans la gestion de Certes, Mme Dauberval tient à manifester son intérêt, sinon sa compétence et son autorité pour les questions de gestion et d’administration.

Certes est acheté pour satisfaire le goût de Mme Dauberval pour la nature ; ce n’est pas, le cas de son mari.

Lors de la création des marais salants et de l’ouverture du grand canal de Certes au milieu des prés salés (1764-1768), le château féodal est démoli et le castéra rasé. Civrac fait édifier une nouvelle demeure seigneuriale qu’on appelle Château Civrac par analogie ; elle est construite à la sortie du village, à quelques mètres près, sur l’emplacement du château actuel. Il s’agit d’une grande maison bourgeoise dans le style des chartreuses de l’époque. Elle est longue, plate et basse, ornée de deux pavillons sur ses extrémités, composée de 24 pièces sur deux façades, l’une à l’est, l’autre à l’ouest. D’après l’inventaire Eymeric, la maison mesure : 198 pieds de long, soit 61,34 mètres – 50 pieds de large, soit 15,50 mètres et 13 pieds de haut soit 4 mètres. Un long couloir traverse le bâtiment d’un pavillon à l’autre. « Il est semblable à un obscur corridor et ressemble assez à un trottoir de moines ».

Pour éviter les désagréments de l’obscurité, Dauberval fait démolir les deux pavillons. En 1806 – date du décès de Dauberval -, les matériaux de démolition restent encore sur place !

Cette maison subira ultérieurement d’autres transformations. Elle est raccourcie et élargie : en 1817, elle mesure 40 mètres sur 31. C’est Boissière qui démolit la maison Civrac en 1850.

La maison Civrac est conçue comme la résidence d’un propriétaire agriculteur important, au centre d’un vaste domaine. Tout près de la maison de maître, on a construit granges, étables, volières ; le jardin potager couvre plus d’un demi hectare ; il existe encore.

Devant la maison, s’étend le « quinconce » de chênes et ormeaux dont on a perdu le souvenir.

Tel est donc le cadre dans lequel les Dauberval comptent vivre leur retraite. La propriété leur assure toutes leurs ressources : le bois de chauffage et le charbon vient du bois de Lubec ; la volaille est produite sur place, le poisson vient des réservoirs, le gibier de la lande ou des marais (bécasses ou oiseaux de mer), le blé et le seigle du moulin d’Audenge, la viande de mouton du troupeau qui se développe pour atteindre 500 têtes, sans omettre le troupeau de vaches.

Comme tous les propriétaires agriculteurs, les Dauberval peuvent ainsi vivre confortablement avec très peu d’argent : ce qui n’est pas dans leurs habitudes. Ils vont donc manquer d’argent….

Les grandes propriétés agricoles, et celles d’Audenge en particulier, sont exploitées selon diverses formes juridiques : ou bien en faire-valoir direct par le propriétaire agriculteur lui-même, ou bien en fermage à prix convenu ou en métayage avec partage par moitié des productions entre propriétaires et métayers.

À l’époque des Dauberval, l’exploitation du domaine de Certes est multiforme :

– les marais salants sont loués aux sauniers en métayage pour la production du sel ; les bosses des marais sont affermées avec redevance fixe ; de même, les maisons des sauniers sont louées selon le droit commun ;

– toutes les autres activités agricoles sont également l’objet de baux à redevance fixe. Le domaine de Certes est ainsi affermé en tout ou partie, et à plusieurs reprises : forêts, foin des digues, terres en culture, résinage.

Certaines activités restent alors, semble-t-il, gérées directement : élevage, entretien, certaines cultures.

Il faut attendre 1818 pour revenir à la gestion directe de tout le domaine par Boissière.

Les Dauberval trouvent à leur arrivée à Audenge un domaine dégradé, des marais salants mal cultivés, souvent abandonnés ; leur reconversion en réservoirs à poisson s’impose dès la suppression de l’avantage fiscal qui a motivé la création des salines.

Et surtout, les équipes de gens qualifiés et responsables qui ont géré le domaine, surveillé son exploitation au temps du marquis de Civrac ont disparu. Les gestionnaires se sont succédé trop rapidement au temps des séquestres. Certes a été mal géré. Tout doit être repris en mains avec fermeté et compétence comme ce sera le cas, beaucoup plus tard au temps de Boissière qui y trouve sa fortune.

Les efforts de Dauberval s’orientent dans deux directions principales : d’une part l’exploitation des marais salants et des réservoirs à poisson, la gestion des sauniers et d’autre part la forêt et la lande. S’il ne s’intéresse pas à la vie publique, Dauberval ne peut ignorer qu’il est le premier notable d’Audenge ; cela lui crée des obligations supplémentaires.

Deux périodes distinctes et bien différentes vont se succéder, à Audenge, durant la période Dauberval : celle de M. et Mme Dauberval qui est, en fait, la période de Mme Dauberval ; après le décès de Mme Dauberval, celle de son mari seul, jusqu’à son décès en 1806.

Au cours de son bref passage à Audenge qui dure quelque dix-huit mois, Mme Dauberval n’a à gérer que deux contrats importants : la location du bois de Lubec et celle des quatre réservoirs à poisson.

Puis Théodore disparait : « Aujourd’hui 23 fructidor an VII (9 septembre 1799) a comparu devant moi Jean Duvigneau, agent municipal de la commune d’Audenge, le citoyen Jean Caupos, officier de santé, assisté de Antoine Dehillotte-Ramondin, témoins, ont déclaré que : Madeleine Louise Catherine Crespé âgée de 39 ans fille du citoyen Crespé et de la citoyenne Goubert ses père et mère, native de Paris et épouse de Jean Bercher Dauberval, était décédée dans cette nuit ; d’après cette déclaration je me suis transporté dans la maison […] du dit Dauberval époux de la défunte et me suis assuré de son décès ».

On ignore les circonstances et les causes du décès de Mme Dauberval. Son corps est transporté à Poinchy où Dauberval avait acheté une concession dans le cimetière ; elle est située dans l’angle du cimetière, sur la droite près de l’église. Dauberval a prévu une grille entourant la tombe formée par une pierre énorme recouverte par une plaque de marbre noir gravée en lettres dorées. Cette plaque a été volée. Et à Poinchy, on sait cependant qui s’en est emparé…

Au temps de Mme Dauberval, le couple gère au mieux son immense domaine et programme sans doute les deux ou trois grands projets qui vont transformer le visage d’Audenge : vente des maisons des sauniers, échange du bois de Lubec contre la garenne de Certes.

Le décès de Théodore laisse Dauberval complètement désorienté ; il perd ses repères. Il vit dans le souvenir du passé plus que dans les perspectives d’avenir. Il manque d’argent, malgré les revenus de Certes et ses droits d’auteurs. Il liquide progressivement ou tente de liquider son patrimoine, spécule et se ruine.

Le désarroi de Dauberval est tel que quelques semaines après le décès de Théodore, il établit son premier testament daté du 6 nivôse an VIII, déposé chez Duprat, son notaire bordelais, par lequel il dispose de son patrimoine en faveur de ses amis Charles Lebel et Frédéric Didelot, danseurs des ballets de l’Opéra ; mais chaque legs est limité à un douzième de l’héritage conformément à la loi de nivôse an VII.

Le 9 nivôse an VIII (30 décembre 1799), Dauberval n’habite plus en permanence son château de Certes mais à Bordeaux, rue du Champ-de-Mars, une maison appartenant à Beumarth et Herzog, des négociants et banquiers que plus tard, dans son second testament, il accuse de l’avoir exploité et ruiné.

Le 31 janvier 1800, Dauberval emprunte pour deux mois une somme de 2 000 francs et donne en garantie ses biens de Poinchy. C’est le début des liquidations.

Tout au long de cette année 1800, Dauberval vend par procuration chez le notaire de Chablis une douzaine de petits lopins de bois, prairies, pour un montant de 10 000 francs. Il s’agit sans doute de la suite de l’emprunt de 2 000 francs.

À l’automne de cette même année, le 15 vendémiaire an IX (17 octobre 1800), Étienne Dauberval, son père alors âgé de 75 ans, décède dans le château de Poinchy où il vit retiré et perclus de rhumatismes. Alors les spéculations se développent à grande échelle. En l’espace de deux ou trois ans, Dauberval se lance dans des opérations immobilières assez bizarres qui sont le reflet de ses difficultés financières.

Le 11 nivôse an IX (1er janvier 1801) Dauberval vend son domaine de Certes à Michel Peyrotte, négociant de Bordeaux, et Martial Rochefort, architecte, son associé, pour le prix de 116 200 francs, partie comptant – en créances diverses – et le solde en rente viagère de 4 000 francs par an.

L’opération « L’aimable Rosé » est tout aussi singulière : les 13 et 14 vendémiaire an IX, Dauberval a acheté un bateau de haute mer, encore tout neuf et appelé « L’Aimable Rosé ». Antoine Glangé, de Lège, lui vend deux-tiers de ce chasse-marée et Alexandre Fleury de La Teste le troisième tiers. L’achat de ce bateau, destiné au transport du sel, est la suite normale de la location que Dauberval a faite d’un magasin à sel à La Teste en l’an VII. Or, le 26 pluviôse de l’an IX, quelques jours après la vente de Certes, Dauberval revend le bateau rebaptisé « Aimable Théodore » aux mêmes Peyrotte et Rochefort, ce bateau étant alors à quai à Bayonne.

En outre, Dauberval vend toutes ses récoltes et son cheptel de Certes : 5 000 boisseaux de sel sur les bosses, au prix traditionnel de trois francs le boisseau, des dizaines de boisseaux de froment et de seigle, sa part dans le prix d’une dizaine de juments et poulains, deux bœufs, dix vaches et anouils (dans le Médoc, l’anouil désigne le jeune bœuf destiné au labourage) et tous les matériaux de démolition provenant sans doute des transformations subies par le château.

Le montant de ce contrat s’élève à 26 674 francs. Cet achat est payable en créances sur divers débiteurs dont l’ex-Captal de Ruat qui aurait bien pu se dispenser lui aussi de spéculer et d’aller tout droit à la faillite comme ce sera le cas pour Dauberval.

Dauberval prend goût aux opérations spéculatives, à leurs profits et à leurs risques. Il se livre aussi à deux interventions, comme un homme d’affaires éclairé, sur les patrimoines des Cravey, de La Teste, et des Hazera, de Certes, ses amis.

Le 28 nivôse an X, il achète à Gérard Cravey son domaine de « Verdalle » à Gujan – ex propriété Verthamon – pour le prix de 12 000 francs. Le lendemain, il revend Verdalle à Nicolas Cravey, son fils aîné, mais en prélevant une petite commission de 850 francs, soit une revente pour 12 850 francs.

L’affaire se dénoue bien. Elle sert de référence. Plus tard, le 11 nivôse an XII, Dauberval achète à Pierre Hazera père sa maison de Cournalet, en limite des Place de Certes. Quelques jours tard, il la revend à Pierre Hazera fils aîné, mais Dauberval aime les Hazera : il ne prend pas de commission. Le contrat, par discrétion sans doute, est signé à Gujan.

Une brève explication sur l’affaire Hazera permet de comprendre le mécanisme utilisé dans les deux cas. Pierre Hazera père est veuf, il a deux fils déjà établis et, selon l’usage, envisage de transférer sa maison de famille à son fils aîné. Mais il décide aussi de se remarier et il se remarie bien à une jeune lantonnaise Marie Martin qui lui donne une fille et une descendance. Pour éviter des conflits de succession dans la famille Hazera, Dauberval achète la maison Hazera et, quelques jours plus tard, la vend donc à Pierre, le fils aîné. L’amicale intervention de Dauberval est sans aucun doute heureuse puisque la maison Hazera est toujours restée dans la descendance directe de Pierre Hazera aîné.

Dauberval s’est enfin débarrassé du domaine de Certes où il n’habite pas et qu’il aime peu. Rochefort et Peyrotte ont fait un placement ou une spéculation mais ils ne sont pas des paysans. Ils confient la gestion de Certes à « Ramondin », plus officiellement « Dehillotte-Ramondin cadet » de Gujan qui, comme Pierre Hazera, se consacre en qualité de régisseur aux grands domaines, tel celui de Pierre de Pardaillan.

Pour des raisons qui nous sont inconnues, Ramondin laisse à Dauberval un mauvais souvenir de sa gestion, puisque dans le bail du 9 brumaire an XI, il doit être expressément écarté par Dauberval lui-même.

Cependant, la réussite de Rochefort et Peyrotte repose sur un montage financier lourd et complexe mettant en cause de nombreux et importants débiteurs dont le crédit est douteux. Les nouveaux propriétaires doivent cesser leurs activités au bout de dix-huit mois ! Sans doute, sont-ils mis en faillite car on ne trouve trace d’aucun accord contractuel annulant la vente de pluviôse an IX.

Dauberval reprend, à regret sans doute, possession de Certes et tente une nouvelle vente.

L’irremplaçable Eymeric établit à Audenge un mandat de Dauberval en faveur de Jean Combe Vaintin, homme de loi de Paris, afin d’aliéner Certes à la « Banque Territoriale » établie à Paris, mais avec une clause de réméré de dix ans. Ce mandat reste sans suite car Dauberval reste propriétaire de Certes jusqu’à son décès.

Ce mandat présente un intérêt. Il nous décrit en effet l’état de Certes à ce moment. Le domaine n’a subi que des transformations limitées :

– le château est formé de deux beaux salons et quatre « appartements de maître » en bon état ;

– le jardin potager couvre 31 ares ;

– les digues ont une longueur de 3 390 toises et entourent 144 livres de marais salants – la livre étant formée de 20 carreaux de 18 pieds carrés – ;

– les bosses de marais, cultivées en froment, couvrent 45,74 hectares en sus de 6 hectares de terre à froment ;

– il y a maintenant quatre réservoirs à poisson et la diminution du nombre des livres de marais salants doit correspondre à la création d’un réservoir ;

– le bois de Lubet ou Lubec ouvre 111,25 hectares ou 350 journaux ;

– enfin, Dauberval affirme détenir 14 000 journaux de landes, ce qui représentent toutes les landes de la commune et pas seulement les 4 500 journaux (1 500 hectares) dont il est officiellement question dans les documents d’achat.

Les autres parcelles de bois ou autres propriétés sont restées identiques.

Cet acte est passé chez Hazera fils, témoin, et non au château que Dauberval a déserté.

Cette nouvelle tentative, restant sans suite, Dauberval n’a plus que la possibilité d’affermer toutes ses propriétés.

Le 9 brumaire an XI (31 octobre 1802), Dauberval décide d’affermer pour trois ans l’ensemble de ses domaines. Me Eymeric publie des affiches, fait un appel d’offres pour affermer château, maisons et moulin, bois, prairies, terres cultivables, bestiaux. Dauberval se réserve cependant quatre pièces du château, une écurie pour son cheval et diverses prestations en nature dont il pourrait profiter lors de ses séjours éventuels : plats de poisson, poulets et gibier, sel et légumes.

L’appel d’offres exclue expressément Lizée, ancien régisseur de Civrac, et Ramondin, ancien régisseur de Rochefort et Peyrotte dont la gestion a été jugée abusive. Le prix de la mise en adjudication est de 9 000 francs. Les enchères montent à 13 000 francs. Jean Duvigneau est déclaré adjudicataire mais Pierre Hazera, bien décidé à conserver la haute main sur les domaines Dauberval, surenchérit à 16 000 francs. Ce prix est disproportionné aux revenus du domaine. D’ailleurs, quel usage du château Hazera pourrait-il faire ? Il est contraint de renoncer à son fermage et, le 30 floréal (mai 1803) suivant, il résilie son bail par acte sous seing privé.

Un an plus tard, le 16 prairial an XII (juin 1804), l’incontournable Pierre Hazera obtient un nouveau contrat qui s’étend maintenant à la totalité des biens de Dauberval, sauf le château ainsi que quelques prestations minimes. C’est une des dernières décisions prises par Dauberval pour la gestion de Certes.

La présence de Dauberval est en effet signalée à Audenge au mois de mai 1804. L’abbé Desbiey a été chargé par l’archevêque d’une mission à Audenge en vue de la fermeture, sinon de la disparition, de la fameuse chapelle Saint-Yves où le 19 mai accourent des foules de pèlerins.

L’abbé Desbiey rend compte : « Toute la matinée du samedi 19 mai, cette chapelle, qui est beaucoup plus vaste que l’église paroissiale, fut remplie de pèlerins. J’y célébrais la première messe basse et M. le Curé chanta la seconde à laquelle assistaient des messieurs de Bordeaux qui étaient venus s’amuser chez M. Dauberval acquéreur du château et des biens de M. de Civrac… ».

Le franc-maçon Dauberval n’est sans doute pas athée et ses amis non plus et ils ont peut-être des ennuis de santé que Saint-Yves pourrait guérir, mais surtout la véritable maladie dont souffre Dauberval est un mal d’argent…

Le 26 décembre 1799 (6 nivôse an VIII), trois mois après le décès de sa femme, Dauberval dépose chez Duprat, son notaire à Bordeaux, un testament clos et scellé dans lequel il dispose en quelques lignes du sixième de sa fortune en faveur de ses amis danseurs Charles Lebel et Didelot. Ce testament, rédigé dans un moment de désarroi, est explicitement annulé par le dernier testament. À la fin de l’année 1804, Dauberval décide de régler sa succession ; il rédige deux nouveaux testaments, en janvier puis en avril 1805.

Sa santé n’est pas bonne ; il le sait. Évitant la formule traditionnelle « sain de corps et d’esprit », Dauberval se déclare dans ces deux textes « sain d’esprit ». Son dernier testament ne le quitte pas. Lors de son voyage de Paris à Bordeaux, il décède le 14 février à Tours dans l’auberge de « La boule d’or », à quatre heures de l’après-midi. Le testament est là. Il est immédiatement ouvert, enregistré et déposé chez le notaire Bidault. Le corps de Dauberval est ramené à Paris pour être inhumé à Poinchy. Ses bagages et tout ce qu’il déménageait avec lui suivent sur Bordeaux.

Testament de Jean Bercher dit Dauberval en date du 13 germinal an XIII (3 avril 1805)

Ceci est mon testament.

Au moment où j’écris mes dernières volontés, certainement je n’ignore point qu’avant de faire des legs, on doit être assuré que les dettes qu’on a contractées n’absorberont pas la force de la succession qu’on laisse mais comme M. Emericq notaire à La Teste de Buch département de la Gironde a fait faire l’estimation de mes biens dans la commune d’Audenge dépt de la Gironde par quatre experts lesquels experts les ont évalués à trois cent quatre-vingt-quatre mille francs en bazant le produit des dits biens à raison de cinq pour cent net, j’ai tout lieu de croire que ma succession sera de cent vingt mille francs net de mes dettes, et que toutes mes dispositions pourront être exécutées, car n’ayant que des cousins maternels, la loi me permet de disposer à mon gré de ma fortune puisque je n’ai ni ascendant ni descendant ce considéré.

Je soussigné Jean Bercher Dauberval demeurant à Poinchy, département de l’Yonne sain d’esprit nomme pour mon exécuteur testamentaire Monsieur Merle père md épicier à Auxerre le priant de vouloir bien accepter mon secrétaire à serrure anglaise et mon petit buste avec son pied et sa cage en verre, comme une faible marque de l’estime que j’ai pour lui et pour toute sa famille respectable.

Si la mort m’ottait subitement de ce monde sans que j’aie terminé la fondation de ma sépulture dans le cimetière de la commune de Poinchy dépt de l’Yonne, dont j’ai fait ma soumission au profit du dit département de l’Yonne, je veux qu’à mon décès il soit pris sur le plus clair de ma succession les cent francs nécessaires pour cette fondation afin de remplir mes vœux et ceux de ma défunte épouse Madelaine Louise Catherine Crespé. Je veux de même que si de mon vivant je n’ai pas achevé de faire poser les pierres et inscriptions que j’ai préparées pour mettre sur la sépulture de ma femme Crespé, ainsi que sur la mienne.

Qu’on fasse poser les dites pierres et inscriptions sur marbre noir et lettres dorées que j’ai fait faire et qui sont dans ma maison de Poinchy et que ma sépulture et celle de ma femme soient entourée d’une grille de fer surmonté d’une croix dorée.

Je veux que mon enterrement soit des plus simples et que l’on donne aux pauvres réellement indigents une somme de cent francs. Je voudrais avoir conservé ma fortune pour pouvoir leur donner bien davantage, mais l’exécrable révolution m’a ruiné, et je ne peux pas disposer de plus. Fasse que la justice divine punisse tous les scélérats qui m’ont volé et qui ont déshonoré ma patrie par leurs crimes et leurs brigandages.

Si Françoise Chattelain ma domestique (actuellement) est encore à mon service à l’heure de mon décès je lui lègue cent francs de rente viagère et dans le cas où la dite Françoise Chattelain ne serait pas à mon service à l’heure de mon décès le présent legs sera nul.

Je lègue à Charles Didelot, danseur actuellement à SPétersbourg, mon ancien élève, homme que j’aime infiniment parce que je l’ai toujours […] un grand homme, toute ma musique, mes programmes manuscrits, lui recommandant de mettre au jour ceux du Temple de Gnide et d’Andromaque, et quoique ces deux manuscrits ne soient pas mis au net, il en tirera de grands effets, car je meurs avec le regret de n’avoir pu les monter à l’Opéra de Paris, seul théâtre où j’aurais pu trouver tous les moyens nécessaires à leur spectacle, mais pour les y faire représenter il m’aurait fallu briguer la protection de ceux qui sont en place aujourd’hui et j’ai préféré qu’ils ne vissent pas le jour plutôt que de faire la cour à des gens que je méprise, par le seul fait que ce ne sont que des intrigants. Je lègue aussi au dit Charles Didelot mon portrait peint à l’huile et le portrait de M. Noverre, en l’assurant que si j’avais conservé ma fortune mon intention était de l’adopter pour mon fils.

Je lègue à Favre Guiardelle danseur mon ami et mon élève, qui partage dans mon cœur les mêmes sentiments que je viens de détailler ci-dessus pour Didelot, ma boite d’écaillé noire doublée d’or, cercle idem, et où il y a un médaillon peint en cheveux par le célèbre Woxin représentant une allégorie en faveur de mes ouvrages suspendus au Temple de mémoire. Je le prie d’être bien convaincu que si je n’étais pas ruiné, que lui et Didelot auraient eu la moitié de ma fortune, mais grâces aux voleurs révolutionnaires j’ai à peine de quoi satisfaire la millième partie des projets de mon cœur et de mon amitié.

Je lègue à Piot, célèbre artiste à Bordeaux, ami estimable auquel aussi mon intention était de laisser partie de ma fortune (si je lusse conservée) mon grand Bureau que j’ai acheté à la vente de Me Birac, lequel bureau est chez lui à Bordeaux, plus je lui lègue ma grosse montre d’argent, mouvement de Nobin horloger du Roi Louis seise qui a coûté mille francs, le priant d’accepter cette faible marque de mon attachement pour lui.

Je lègue à Me Piot, son épouse, mon amie, mon portrait peint en montauciel qui est dans un médaillon cerclé en or, et une tresse de mes cheveux qui est de l’autre côté du dit médaillon.

Plus je lui lègue mon forte piano qui est chez elle à Bordeaux, l’assurant que je l’aime comme ma fille, que je meurs avec le regret de ne pas avoir pu sauver ma fortune pour assurer la sienne et que j’emporte au tombeau le souvenir de tous les soins qu’elle m’a rendus dans la maladie que j’ai faite chez elle à Bordeaux en mil sept cent quatre-vingt-quatre.

Je lègue à Me Rosalie Beauval, actuellement à Bordeaux, femme rare par ses qualités personnelles, femme que je n’ai jamais cessé d’estimer, et pour qui j’ai toujours eu une considération particulière, le médaillon en or émaillé à pans coupés représentant d’un côté l’apothéose de ma femme couronné par les grâces et de l’autre côté une allégorie en cheveux sur la mort de ma défunte épouse ; la peinture en miniature est d’un peintre italien et la peinture en cheveux de Wexin. La priant de recevoir ce médaillon comme preuve de mon amitié et si (de mon vivant) je venais à recouvrer une partie de ma fortune, elle aurait bientôt la preuve que ce n’est pas là où je bornerais mes bienfaits, mais dans ce moment à peine puis-je espérer que les faibles legs dont je dispose auront leur exécution, tant j’ai lieu de craindre les poursuites cruelles d’un créancier, M. Beumarth qui, comme le sait Me Beauval, non contant de m’avoir prêté des fonds jusqu’à trente pour cent d’intérêts, quoique se disant mon ami depuis vingt ans, veut m’exproprier de mes biens parce qu’il ne veut pas que je lui paye les intérêts de ce que je lui dois à six pour cent ; ainsi Me Beauval voit bien que dans la position où je suis, je ne puis rien faire de mieux. Dieu veuille que ma situation change avant mon décès, pour pouvoir alors faire ce que je désirerais.

Je lègue à Mlle Oranger, artiste actuellement à Bordeaux, sage, honnête et brave fille que j’estime, six couverts d’argent avec deux grandes cuillères et ma boite d’écaillé gorge en or où sont écrites les paroles de J.-J. Rousseau sur l’empire des femmes. Certainement, si j’avais la fortune que j’ai perdue elle ne doit pas douter que je n’eusse laissé une rente viagère, mais à nul possible, nul n’est tenu. Qu’elle soit bien convaincue de l’intérêt qu’elle m’inspire dont je lui ai prouvé argenteusement la véracité tant que j’en ai eu la faculté. Qu’elle soit donc persuadée (de même que Me Beauval) que je meurs bien malheureux en ne pouvant lui assurer une retraite certaine.

Je lègue à Melle Nozière peintre (actuellement en Pologne, ancienne amie de ma défunte épouse et la mienne depuis plus de trente ans, fille très délicate, très aimable et remplie de mœurs) ma bague où est le portrait de ma femme dessiné au crayon par Le Fèvre, mon portrait dessiné au crayon par le même M. Le Fèvre, et monté en épingle d’or, la priant de croire que si de mon vivant je peux me parvenir à me délibérer et à pouvoir disposer de quelques capitaux, que mon intention est de lui assurer (comme à Me Beauval et à Melle Oranger) une rente viagère qui puisse la mettre à l’abri de l’infortune et la convaincre de ma tendre amitié.

Je lègue à Me Bussi (actuellement à Paris, mon amie de cœur et avec qui j’aurais voulu pouvoir finir mes jours, si ma fortune n’eut pas été détruite, car elle réunit les plus estimables qualités, mais comme je n’aurais pu augmenter ni assurer son bien-être, j’ai préféré mourir seul misérable que de l’entraîner dans les malheurs qui m’environnent) ma pendule de Robin représentant une urne marquant les phases de la lune, le grand portrait de ma mère et de mon père qui sont à Poinchy, et ma montre d’or à répétition où est écrit autour du couvercle « Le temps n’efface pas la douleur véritable ». La priant de croire que depuis le moment que je l’ai connue, je l’ai toujours chérie, aimée et que sans les enchaînements de la bizarre fortune mon plus grand bonheur eut été de l’avoir pour ma femme, mais le sort si est opposé et non mon inclination.

Si à l’heure de mon décès Melle Nainci que j’ai menée avec moi de Bordeaux est chez moi à Poinchy, je prie mon exécuteur testamentaire de lui payer son voyage par la diligence et de la renvoyer à Me sa mère Radre cordonnière n° 7 rue Notre Dame au Chartron à Bordeaux et de lui payer en sus les six cent livres du billet que je lui ai fait au premier vendémiaire An quatorze, mais comme ce billet est conditionnel, et que sa mère pourrait vouloir s’en faire payer, je prie mon exécuteur testamentaire de ne solder le dit billet de six cent livres qu’autant que Melle Nainci en sera porteuse et que elle-même recevra les dits six cent livres lui recommandant d’en faire bon usage, de s’établir avec cet argent, et de conserver ma mémoire, ne pouvant faire mieux pour elle.

Je lègue aux deus servantes qui seront à mon service à l’heure de mon décès cent francs à chacune et un gobelet d’argent de la valeur d’environ cinquante francs pour chacune d’elles.

J’annule et casse dans tous ses points le testament que j’ai fait à Bordeaux chez Me Duprat notaire, comme l’ayant fait dans un temps où la loi gênait ma volonté et voulant qu’il soit nul et de toute nullité.

Je reconnais bon et valable le testament que j’ai fait, écrit et signé, sain d’esprit le dix-sept nivôse dernier en faveur de MMarie Antoinette Le Moine veuve Joubard demeurant avec moi à Poinchy, voulant que toutes les dispositions y contenues soient ponctuellement et religieusement exécutées en reconnaissance de tous les bons soins qu’elle a eu de ma défunte belle-mère, de ma défunte femme et de moi, et de ma maison de Poinchy, l’assurant que le peu que j’ai disposé en sa faveur est bien loin de ce que j’aurais fait si (comme je l’ai déjà dit plusieurs fois) l’abominable, l’exécrable et criminelle Révolution ne m’avait ôté les trois quarts et demi de la fortune, mais elle connaît mon cœur et cela me console de n’avoir pu lui en laisser davantage.

Une fois tous ces legs satisfaits, c’est avec grand plaisir que je nomme pour mon seul et unique légataire universel mon ami Jacques Le Bel artiste professeur de l’Ecole de Danse de l’Académie impériale de musique, en reconnaissance de toutes les peines et soins qu’il s’est donné pendant plus de vingt ans dans la gestion de mes affaires, désirant que ma succession puisse lui laisser la faculté d’établir sa filleule Rosine, car si de mon vivant je puis vendre mon domaine de Certes, mon intention est de lui donner au moins six mille francs pour sa dot, ainsi pour peu que mon légataire universel puisse remplir la moitié de ces six mille francs, je le prie par respect pour ma mémoire, et par l’intérêt qu’il porte à Rosine sa filleule, de lui donner trois mille francs pour la marier avec un brave et honnête homme choisi dans la classe des bons ouvriers, plutôt que marchands, enfin je prie Jacques Le Bel mon légataire universel de faire tout ce qu’il pourra pour rendre sa filleule, mademoiselle Deslauriers heureuse, car les braves gens sont si rares !… qu’il faut au moins que le peu qui en reste donnent de bons exemples.

Je déclare n’avoir jamais eu aucun enfant naturel, et pas un de toutes les femmes publiques qui m’ont fait l’honneur de m’en donner, n’a jamais été reconnu par moi légalement.

J’ai lu et relu le présent testament, je l’approuve pour qu’il soit exécuté ; je l’ai écrit et signé de ma signature ordinaire et au bas des précédentes pages ; fait à Paris le treize germinal an treize correspondant au trois avril mil huit cent cinq.

Jean Bercher Dauberval

NOTA

Le testament a été signé sur sa partie droite par le Premier juge du tribunal civil de Première instance de l’arrondissement de Tours [où Dauberval vient de décéder] et (pour) tenir lieu du procès-verbal d’ouverture de ce jour quatorze février dix-huit cent six. Signé Japhil.

À gauche, enregistrement du 15 février 1806 pour cinquante-cinq francs, quatre-vingt-trois centimes. Signé Archambaud.

 

« Dauberval, maître de ballet », Pierre Labat, Bulletin SHA n°104, 2e trimestre 2000

https://shaapb.fr/media/pdf/bulletin/shaa-104.pdf

Dauberval avait passé les fêtes de fin d’année 1804 dans son château de Poinchy, en compagnie de Marie Antoinette Lemoine veuve Joubart, une parente de sa femme qui habite et garde cette grande demeure.

Le 17 nivôse an XIII (7 janvier 1805), il rédigea un testament olographe par lequel il donnait à cette parente – la seule, semble-t-il – la totalité du mobilier du château, plus une rente de 1 200 francs au capital de 10 %. Le testament est, en fait, l’inventaire très précis du contenu du château. Mais cet inventaire est incomplet car Dauberval a retiré tous les papiers de famille et titres divers ; on les retrouvera dans ses malles à Bordeaux après son décès.

Sur son retour, trois mois plus tard, Dauberval s’arrête à Paris et rédige un dernier testament (13 germinal an XIII ; 3 avril 1805). Quelques points méritent d’être soulignés : Dauberval confirme le testament précédent ; il distribue de nombreux objets souvenirs à ses amis, Bordelais pour la plupart, mais il ignore les Parisiens et les gens d’Audenge. Cependant il insiste sur sa profonde amitié pour Didelot qu’il aurait voulu adopter pour fils ; il fait un legs à Fabre Guillardelle et désigne Charles Lebel pour son héritier universel.

On ignore si tous ces legs furent délivrés. Ce qui paraît douteux ; le jugement du tribunal d’Auxerre, qui autorise les ventes de la succession, réserve la possibilité de mise en vente de ces legs. Le testament est sans doute précieux pour permettre l’identification des portraits ou autres souvenirs de Dauberval mais il reste insuffisant. Cependant il semble bien que le portrait de M. Novere, donné à Didelot, soit le même que celui du Musée de l’Opéra.

Dauberval évalue son domaine d’Audenge à 384 000 francs, somme très excessive ! Il omet de parler de façon détaillée de son endettement… Mais il estime que sa succession sera de 120 000 livres net.

Il insiste sur sa ruine. Pour chaque legs, il regrette de ne pouvoir faire plus. Il attribue cette ruine à la Révolution : « Grâces aux voleurs révolutionnaires, j’ai à peine de quoi satisfaire la millième partie des projets de mon cœur et de mon amitié.

L’abominable, l’exécrable, criminelle Révolution m’avait ôté les trois-quarts et demi de ma fortune ».

On ne voit pas très bien comment la Révolution a dépossédé Dauberval. Sans doute a-t-il perdu ses pensions royales mais cette perte ne justifie pas l’énormité de la faillite de Dauberval qui a dilapidé près de 200 000 francs en quatre ans. Sans doute aussi, a-t-il, avant la Révolution, prêté des capitaux importants à des aristocrates émigrés et … ruinés.

Par contre, Dauberval s’en prend clairement à son ex-ami Beumarth. « À peine puis-je espérer que les faibles legs dont je dispose auront leur exécution tant j’ai lieu de craindre les poursuites cruelles d’un créancier M. Beumarth qui, non content de m’avoir prêté des fonds jusqu’à 30 % d’intérêts quoique se disant mon ami depuis vingt ans, veut m’exproprier de mes biens parce qu’il ne veut pas que je lui paye les intérêts de ce que je lui dois à 6%  « .

Il est vrai que, un mois avant le décès de Dauberval, Beumarth commence la procédure de saisie immobilière en vue de la mise en vente du domaine de Certes.

Enfin, Dauberval parle des femmes. Il aurait bien voulu épouser Mme Bussi mais il n’a pas les moyens d’entretenir un ménage. De façon très pittoresque, il parle de ses amours de jeunesse qui furent débordants.

« Je déclare n’avoir jamais eu aucun enfant naturel et pas un de toutes les femmes publiques qui m’ont fait l’honneur de m’en donner, n’a jamais été reconnu par moi légalement ».

Dauberval désigne Charles Lebel pour son légataire universel et M. Edmé Merle père, marchand épicier à Auxerre, comme exécuteur testamentaire ; il le connait bien depuis son séjour à Poinchy au temps de la Révolution et a pour sa famille considération et confiance.

Ces deux personnages n’ont pas la possibilité de remplir personnellement leur mission. Charles Lebel désigne un mandataire en la personne de M. Louis Lambin-Bonnière, « homme de lois » de Paris, le 22 février 1806 ; M. Merle fait de même avec son propre fils Antoine Merle, marchand de bois à Auxerre. Ils vont consacrer huit mois à la liquidation de la succession Dauberval.

Les scellés sont posés tant à Poinchy qu’à Audenge. On dresse les inventaires successivement à Poinchy, Bordeaux et au château de Certes. Le 20 septembre, le tribunal civil d’Auxerre désigne les notaires chargés des mises en vente : Me Poulain à Chablis et Me Bernard Brice Darrieux aîné à Bordeaux.

1 – À Poinchy.

Le 25 mai 1806, le notaire se rend au château de Poinchy en compagnie de MM. Merle et Lambin-Bonnière. Il y trouve Mme Joubard, une servante, le fondé de pouvoirs de M. Jacques Devin, propriétaire du château, et plusieurs autres personnes créancières de la succession.

« Tout devait être vendu publiquement à l’exception des objets légués par testament, la vente desquels n’aurait lieu qu’en cas de besoin ».

On dresse la liste des créances et des créanciers :

– créance de 85 000 francs de Beumarth et Herzog de Bordeaux ;

– créance de 34 000 francs pour Mme Vendenmuller de Créteil ;

– créance de 8 000 francs pour une dame Gallion et 9 000 francs plus les intérêts pour Fabre Guillardelle.

– M. Devin réclame 8 000 francs pour les travaux à entreprendre au château.

– Enfin le notaire relève un très grand nombre de petites créances de toutes origines et importances (fournisseurs, jardiniers, percepteur, etc.)

Au total, Dauberval est endetté de 150 000 francs au moins ; la réalité est pire.

Dauberval a emmené avec lui tous les papiers et objets de valeur, le testament en faveur de Mme Joubart inventorie tous les meubles et objets divers ; il ne reste plus à établir que l’inventaire des bibliothèques. Cet inventaire compte plus de 550 ouvrages, tous importants et érudits : L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, livres d’histoire ancienne et moderne, quelques œuvres de Rousseau et autres philosophes.

Tout ce fonds provient sans doute de Théodore ou d’Étienne Dauberval.

La vente des meubles du château de Poinchy a lieu à partir du 15 juin 1806 ; elle dure douze séances, porte sur 880 pièces et rapporte 15 280 francs, sur lesquels on déduit quelques dettes locales et 4 950 francs pour « les frais occasionnés par la succession et voyages à faire à Bordeaux où existe la majeure partie des biens de la succession ».

Dauberval possède aussi une vingtaine de petites parcelles de terre labourable, prés et petits bois autour de Poinchy, qui ne couvrent chacune qu’un à deux hectares. Tout est vendu le 10 avril 1807 par Poulain, notaire de Chablis, pour un montant d’environ 12 000 francs.

Déjà au lendemain du décès de Théodore, en l’an VIII, Dauberval avait vendu une dizaine de parcelles pour 10 000 francs.

Toutes ces petites propriétés dispersées provenaient des ventes des biens nationaux du clergé. C’était le temps de Théodore qui aimait la nature…

2 – À Bordeaux et Audenge.

Après Poinchy, MM. Lambin-Bonnière et Antoine Merle se rendent à Bordeaux. Ils logent place du Chapelet, à l’hôtel des Asturies, où ils font procéder aux inventaires des ballots trouvés au bureau de la diligence à La Bastide, de deux caisses trouvées au bureau de Bordeaux et enfin d’une caisse que M. Beumarth, l’ancien ami et financier de Dauberval, fait transporter.

Cette dernière caisse, qui contient une grande partie du vestiaire de Dauberval, est destinée à M. Piot, cet ami que Dauberval a désigné comme légataire de quelques petits souvenirs et chez qui il espérait, sans aucun doute, finir ses jours. Mais M. Piot est mort entre-temps et la caisse n’a pas été livrée…

L’inventaire est établi par Me Darrieux, le 19 août 1806.

On trouve, dans de petites boîtes contenues dans les ballots, les titres de propriété de Certes, les actes d’état civil de la famille, de l’argenterie dont le poids est de cinq kilogrammes, d’innombrables petits objets précieux ou souvenirs, tels que petits portraits, boîtes à bijoux, nombreuses tabatières…

À la suite, tous les intéressés partent pour Audenge le jeudi 25. L’inventaire y dure deux jours en présence du juge Jean Caupos et de son greffier. On ne trouve plus que les vestiges de l’époque de Mme Dauberval, une armoire et un lit, un cheval qui ont quelque valeur, et de nombreuses pièces de ménage de très faible valeur. On note aussi des matériaux provenant de la démolition de la maison et le stock de sel évalué à 5 000 francs.

Le 5 novembre 1806, Me Masson, notaire d’Audenge, procède à la vente. De nombreux Audengeois deviennent ainsi acquéreurs de souvenirs de Dauberval et c’est sans doute dans ces circonstances que Jean Caupos et Pierre Hazera entrent en possession de petites estampes représentant Dauberval et son épouse. Si leur valeur commerciale est à peu près nulle, le portrait de Dauberval représenté de profil est – à notre connaissance – le seul qui soit identifié et connu. Le montant de la vente n’atteint pas les 1 700 francs.

Reste maintenant à vendre l’immense domaine de Certes et le château. Dans son testament, Dauberval estime, à la suite des évaluations basées sur les revenus, que ses biens valent 384 000 francs et sa succession nette 120 000 francs. Ce qui sous-entend que son endettement est de 264 000 francs, soit beaucoup plus que les chiffres indiqués par le notaire de Chablis qui, sans doute, ne connait pas tout.

Or, les droits dus au fisc par la succession ont été avancés par Gélibert, créancier, et payés sur la base de 240 000 francs.

En vue de cette vente de nombreuses annonces paraissent dans la presse, sans provoquer un intérêt notable. On se rappelle que Dauberval n’est pas parvenu à vendre ses domaines ; il faut se décider à vendre aux enchères. Le 14 octobre 1806, Me Darrieux établit le cahier des charges, se référant au contrat de location de Pierre Hazera. Il est indiqué que le paiement serait exigé dans les quarante jours mais payé par le rachat des créances hypothécaires. La vente a lieu chez ce notaire le 10 décembre 1806.

Le désaccord est complet entre les intéressés sur cette date. On craint, à juste titre, que la vente soit décevante, et elle le sera au-delà du plus grand pessimisme.

Beumarth offre 90 000 francs, puis Hazera enchérit de 3 000 francs et Gélibert monte à 107 000 francs. Lambin-Bonnière est scandalisé et parle de différer la vente ; le Tribunal maintient l’adjudication. Un seul étranger se présente et propose 110 000 francs. Enfin, au cinquième feu, Guillaume Darles, pharmacien à Bordeaux est déclaré adjudicataire pour 120 000 francs.

Dauberval avait quelque raison de dire et redire dans son testament qu’il est ruiné ; il a aussi ruiné tous ses créanciers à l’exception des trois titulaires d’inscriptions hypothécaires. Guillaume Darles règle ces créanciers, mais rencontrera les difficultés financières les plus grandes. Il fait faillite lui aussi.

Et il n’est pas le dernier…

 

« Dauberval, maître de ballet », Pierre Labat, Bulletin SHA n°104, 2e trimestre 2000

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1837 – adjudication

Étude de Me Lavaux, Avoué, rue Neuve-Saint-Augustin, n° 22. De par la Loi, le Roi et la Justice, Vente sur licitation, entre Majeurs,

En l’audience des criées du Tribunal civil de première instance du département de la Seine, séant au Palais-de-Justice de Paris, local et issue de l’audience de la première chambre dudit tribunal, d’une heure de relevée, du Domaine de Certes, sis Commune et Canton d’Audenge, Arrondissement de Bordeaux, Département de la Gironde.

L’adjudication préparatoire aura lieu le samedi, vingt-trois septembre mil huit cent trente-sept.

On fait savoir à tous qu’il appartiendra, qu’en vertu :

1° d’un jugement rendu contradictoirement entre les parties ci-après dénommées par la première chambre du tribunal de première instance de la Seine, le onze novembre mil huit cent trente-six, enregistré et signifié ;

2° d’un autre jugement rendu par la même chambre, contradictoirement entre les mêmes parties, le vingt-huit juin mil huit cent trente-sept, enregistré et signifié ;

Et à la requête de Mme Agnès-Charlotte Martin, veuve de M. Philippe-Augustin Walbrecq, propriétaire, demeurant à Paris, quai de l’École, n° 18.

Agissant :

1° à cause de la communauté de bien qui a existé entre elle et le feu sieur son mari ;

2° comme créancière de ladite communauté et de la succession de son mari pour raison de ses reprises et conventions matrimoniales ;

3° comme donataire d’un quart en toute propriété, et d’un quart en usufruit de tous les biens composant la succession de son mari,

Ayant pour avoué Me Jules-César Lavaux, avoué près le tribunal civil de première instance de la Seine, demeurant à Paris, rue Neuve-Saint-Augustin, n° 22 ; En présence de Madame Anne Josèphe Walbrecq, épouse de M. Joseph Beaugrand, propriétaire, demeurant à Paris, rue du Pont aux Choux, n° 18 ; Agissant tant en son nom personnel, comme seule et unique héritière de M. Philippe-Augustin Walbrecq son père, que comme tutrice du sieur son mari, interdit ; ladite dame, autorisée à ester en justice par jugement du tribunal de la Seine, du 30 août 1836, enregistré, confirmé par arrêt ; Ayant pour avoué MLouis Joseph Charles Collet, avoué près le tribunal civil de première instance de la Seine, demeurant à Paris, rue Neuve-St-Méry, n° 25.

Il sera, le samedi vingt-trois septembre mil huit cent trente-sept, une heure de relevée, procédé à l’adjudication préparatoire, en l’audience des criées du tribunal de première instance de la Seine, des immeubles dont la désignation suit :

Ce domaine se compose ainsi qu’il suit :

1° Domaine principal de Certes, consistant en pacages, vastes prairies, réservoirs à poisson de mer, marais salans avec leurs bosses ou éminences cultivées en prés et en terres labourables, maison de pêcheurs, hangars et dépendances, corps-de-garde occupé par la douane, parcs à bétail couverts en tuiles et construits en bois ; le tout tenant du levant à M. Boissières, et au-delà, au canal de Lanton ; du midi, à Madame Viardot, dont il est séparé par le grand chenal, sur lequel chenal est un pont faisant partie du domaine ; du couchant, à M. Boissières, digue mitoyenne entre deux ; et du nord, en partie au bassin d’Arcachon, et d’autre partie aux héritiers de Madame Noël. Entre ces derniers et le domaine de Certes se trouve un réservoir appelé « Réservoir des Roseaux », qui appartient aux deux riverains indivisément par moitié.

2° Autre domaine sis même commune d’Audenge, et quartier de Certes, consistant en : 1° une maison ayant rez-de-chaussée et premier ; 2° un jardin entouré de fossés et haies vives ; 3° quatre hectares environ de terres labourables au nord de ladite maison, bordant au nord le grand chemin d’Audenge à Lanton.

3° Terres sises au lieu-dit le Hanieux, d’une contenance d’environ soixante ares, entourées du levant, midi et couchant par des fossés, tenant du nord au pré dit de Hanieux, ledit terrain semé en graines de pins ;

4° Terres sises au lieu-dit le Camotant, formant vingt-quatre hectares environ de bois taillis, broussailles, landes et pinadas ; le tout entouré des levant, midi et couchant, par des fossés, et du nord par la Berle ou ruisseau appelé le Passillot ;

5° Domaine de Piecravey (ou Picrabey ; Pierabey pour Cassini et État-Major), commune de Lanton, canton d’Audenge, consistant en trois pièces de pinadas et bois taillis ; la première de la contenance d’environ un hectare cinquante-neuf ares soixante centiares, équivalant à cinq journaux, mesure locale, tenant du levant au communal, du midi à Bernard Camin et à Pierre Andrat, du couchant au chemin public, et du nord aux propriétés de Jean Lassale ; la seconde de la contenance d’environ un hectare quatre-vingt-onze ares cinquante-deux centiares (ou six journaux) tenant du levant au communal et à Jean Lassale, du midi audit Lassale, du couchant au chemin public, et du nord aux propriétés de Boisset, dit Poutiron ; la troisième de la contenance d’un hectare vingt-sept ares soixante-huit centiares (quatre journaux), tenant du levant au communal, du midi à Boisset, dit Poutiron, du couchant au chemin public, et du nord au nommé Méric.

En résumé, le domaine de Certes, présentement mis en vente, et composé ainsi qu’il vient d’être dit, est d’une contenance, savoir : le domaine proprement appelé de Certes, indiqué sous les n° 1, 2, 3 et 4 ci-dessus, de cent dix-neuf hectares soixante-quinze ares quatre-vingts centiares, ou trois cent soixante-quinze journaux deux règes treize carreaux, et le domaine de Piecravey, d’une contenance de quatre hectares cinquante ares, ou quinze journaux : le tout environ.

Cette propriété est louée, par bail principal aux sieur et dame Gardé, moyennant cinq mille francs de fermage annuel ; les impôts à la charge du fermier,

Mise à prix : l’adjudication préparatoire aura lieu sur la mise à prix de cent douze mille trois cent dix francs, montant de l’estimation judiciaire qui en a été faite, ci.,. 112,310 fr.

S’adresser, pour prendre connaissance des charges de l’enchère :

À Paris, 1° à Me Lavaux, avoué poursuivant, rue Neuve-Saint-Augustin, n° 22, dépositaire d’une copie de l’enchère et des titres de propriété ; 2° à Me Collet, avoué colicitant, rue Neuve-St-Méry, n° 25 ; 3° à Bordeaux, à Me Chéron, avoué, rue Castillon, n° 14 ;

Et pour visiter la propriété, à M. Gardé, fermier.

Fait et rédigé à Paris, le 11 juillet mil huit cent trente-sept.

Signé Lavaux

Pour pouvoir d’insertion  Signé Chéron, avoué.

 

Le Publicateur du 6 août 1837

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63651986/f2.image.r=lanton?rk=214593;2#

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Raphaël

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