Croquis du Bassin – Le clocher de Saint-Vincent

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Mme Boyosse escagassée.

Le clocher de La Teste ne ressemble à aucun autre. D’abord, il est bas, pyramidal et même trapu depuis 1833, mais parfaitement adapté à un pays plat où les vents d’ouest ne manquent pas de force. Ensuite, il est original car il porte de nombreuses flammes du Saint Esprit. Enfin, il a connu bien des malheurs. Ses travaux ont commencé en octobre 1668 mais ce n’est qu’en 1680 qu’il fut achevé. En 1822, la foudre le démolit et il faut onze ans pour le reconstruire, raconte Jacques Ragot. En 1865, il faut encore le réparer. Et voilà qu’à la veille de Pâques 1991, les cloches ne pourront y sonner. On a détecté d’inquiétantes faiblesses dans la construction. Un événement qui fait beaucoup jaser dans la ville et notamment nos Testerines illustres, Mmes Boyosse et Latestude, dont vous avez été nombreux à nous demander des nouvelles. Elles s’expriment dans ce langage traditionnel bordelais qui a éclaboussé le Bassin et cher à Ulysse Despeaux, à Georges Coulonge ou à Guy Suire.

“- E bé! Mâme Boyosse, que je vous trouve pâlichotte ! Vous êtes toute blanquignouse.

– Ma pauvre Mâme Latestude, ne m’en parlez pas que je m’en fais un sang de casseron : je crois que je deviens sourde.

– Muette, blagasse comme vous êtes, ça m’aurait escagassée mais sourde, même si ça fait pas arguimper, ça donne toujours l’air de débarquer du train de Langon. Et pourquoi vous croyez que vous êtes sourde ?

– Té : figurez-vous que j’habite près de la coopérative. E bé, de là étant, j’ai beau m’enquiller les oreilles à travers le fenestron de derrière, j’entends plus les cloches de l’église.

– Mais pardine, c’est forcé. Vous le saviez pas, vous, que les cloches elles sonnent plus.

– Mais qu’est-ce que vous me dites là, Mâme Latestude. Mais alors on a que la guigne, nous, alors. Après le clocheton de la mairie qui est parti avec une grue, voilà maintenant qu’on n’a plus de cloches à Saint Vincent ! Ca par exemple, té, j’en ai le sang par terre, j’en suis tellement triste que je vais choumiquer !

– Et voui, ma pauvre. Moi, je suis pleine de trembles. Et si je vous disais qu’à force de se dandiner, les cloches elles ont sécoué le clocher comme une canevelle, elles nous l’ont chibré, depuis le temps, tellement qu’aujourd’hui, il branjole, vous vous rendez compte, il branjole, on me l’a dit.

– Mais alors, dites donc, Mâme Latestude, comment on va faire maintenant ? Mais quelle cagade on a bien pu faire au Bon dieu pour se mériter ça ?

– A mon avis, le Bon dieu, il a pas besoin de cloches pour se démouniquer, mais nous, oui. Et même que j’espère bien que les conseillers, ils vont pas discutailler jusqu’à paouse pour le rapedasser, le clocher.

– Ca oui, vous avez raison. Même si c’est pas une cabirotte à rapedasser, il faut quand même pas qu’ils aillent comme des loches.

– Hé bé, oui. Mais maintenant qu’on est dans la mouscaille, qu’est-ce qu’on va faire, comment on va savoir l’heure qu’il est pour mettre la soupe à tremper dans le toupin ? Vous allez voir, qu’avec tout ça, on fera que de la ragougnasse pour manger.

– Remarquez, Mâme Boyosse : j’aurais bien une petite idée. Mon drôle, le dernier, vous voyez, celui qui est instituteur à Caudrot, il m’a dit qu’en Algérie, les cloches, c’est un gonze pité sur une tour qui criasse dans un haut-parleur. Un muezzin, dites, Mâme Boyosse, qu’ils appellent le gonze du pitey.

– Alors, là, Mâme Latestude, vous êtes vraiment une grosse pegaillasse. Imaginez un peu qu’on commence avec votre muezzin et qu’on finisse avec la benèze tournée devant derrière, avec une fente devant un seul oeil pour faire le tchador.

– O ! Malheureuse, mais ça me chacaillerait d’être comme une mounaque là dessous ! En attendant, maintenant, pour entendre les cloches, il faudra qu’il y ait le vent de noroît !

– Et il fait quoi, ce vent ?

– E bé, Mâme Latestude, c’est très enmouscaillant, mais c’est comme ça, si on veut savoir quand faire collation, on va être obligées de s’escagasser les oreilles à pister l’heure à Saint-Ferdinand.

– Saint Ferdinand ? Mais dites, Mâme Boyosse, Saint Ferdinand, c’est à Arcachon. Alors ça, c’est vexant, c’est tellement vexant que ça me daille !”

Jean Dubroca

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Aimé

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