Poursuivons aujourd’hui l’active collaboration de Radio Côte d’Argent à la collecte des mots du langage local lancée par la docte Académie du Bassin en nous intéressant à ces expressions fort imagées qui expriment les divers sentiments par lesquels les Bassinayres, Mmes Léoncia Boyosse et Gélia Latestude y compris, louvoient à longueur de journée. La preuve : ces deux exercices de style, dans un langage qui en manque beaucoup, de style …
Par exemple, le Bassinayre, comme tout un chacun, peut piquer de grosses colères. Voici la truculente histoire du « commis » qui a cabossé la voiture de son patron en laissant tomber en plein milieu sur le capot une palanquée de vieux boulons…
– Quand j’ai chibré sa voiture, ami, il m’a passé une de ces aillades ! Il en devenait branque, quintous, comme s’il avait mangé du quique en concentré, tellement ça lui faisait deuil de la voir toute escagassée, sa voiture ! Il a piqué une de ces quintes, il s’en escanait tellement que j’ai cru qu’il allait me bomber l’arête ou m’expédier un patac ! Il m’a dit de tout : que j’étais un artoupan, un bon à dale, que j’étais juste capable de tout mascagner, quand je faisais quelque chose, que je faisais que brandouiller toute la journée et que le reste du temps je canulais tout le monde et que s’il m’attrapait, il allait me flanquer une de ces roustes qu’elle m’ enverrait tout droit à sainte-agonie, que je pouvais tout juste passer la since dans la souillarde et encore ! Tous les gonzes autour croyaient que j’allais me rendre et qu’on allait se tuster, s’envoyer des trempes ou des taloches et même se flanquer une dérouillée atoua et peut-être même se gnaquer. Mais moi, pas branque, j’ai décarré à bomber parce que j’avais pas envie de me faire tarabuster et d’en sortir avec plein de brognes. Alors, ce tignous il m’a accoursé en trissant. Heureusement, à force de me démouniquer, quand je lui ai fait une feinte, il s’est espataré en pagaille sur le trottoir. Il tournait comme un cibot dans la rigole. On aurait dit un biroulet pendant Hortense ! Alors, les gonzes qui regardaient, ils riaient comme des choines, en disant des barres. Pendant ce temps, je suis arrivé à mon guingue sans counilher, à toute bringue, et je suis parti à Tartifume. Enfin, quand même, une brogne à sa voiture, à peine une escarougnade, c’était pas une affreusité ! Quelle journasse, di’on !
Fort heureuseument, le Bassinayre, homme ou femme, peut être tendre ou romantique, surtout s’il est amoureux. C’est ainsi que Mme Boyosse en a des souvenirs émus qu’elle confie à Mme Latestude, quand ces deux blagasses bavassaient devant la coopé des marins.
– Le mien, il y a paouse, mon premier petit galistrous, quand on se fréquentait, quand on se parlait, tu vois, même s’il était bon à dale et s’il aimait faire la vie, comme il était très bisoucayre et qu’il restait là, à tourner-virer dans la rue, à me bader des tantôts entiers, à se cailler, quand je maillais derrière ma talanquère à la Maison du coton, ça me faisit des trembles jusque dans les garailles. C’est vrai que j ‘étais une chubèbe, pas mestrionne du tout et que j’avais de belles poupes, mais j’avais pas encore vu péter le loup ! C’est que j’avais pas envie de tomber sur une pointe rouillée et d’avoir le ballon, surtout avec un cimeur. Magine un peu qu’on m’aurait dit de tout à la maison : que j’étais une pouffiasse, que je serais une grougne, une sangougnasse de clouque, une bestiasse à force de bavasser avec un gonze qui a les yeux en couilles d’hirondelle, un crâneur et que tout le monde dit que, même avec son uniforme de pèle-gigot qui le rendait enflé comme un tit, il avait pas l’air plus malin qu’un pot de grattons ! Et puis voilà qu’un soir, té, pardine, il a voulu me pougnaquer, ça m’a fait tiquer et même que ça m’a tellement mis le sang par terre que j’ai décaré à toute bringue. On s’est jamais remis !
Et voilà ce que c’est qu’une langue vivante. Le premier qui envoie une traduction complète d’un des deux textes aura gagné toute la considération de RCA. Et vous verrez demain, qu’il est encore bien vivace le bordeluche, puisqu’on vous parlera du pays ….
Jean Dubroca
Traductions
Quand j’ai chibré sa voiture, | cassé, détérioré |
ami, | Interjection, du genre : « Oh la la ! » |
il m’a passé une de ces aillades ! | au sens propre « frottée à l’ail ». Au sens figuré : il m’a disputé. |
Il en devenait branque, | fou |
quintous, | il prend facilement la « quinte » : il est coléreux, le gonze ! |
comme s’il avait mangé du quique en concentré, | cheval |
tellement ça lui faisait deuil | regretter |
de la voir toute escagassée, sa voiture ! | écrasée, pulvérisée. Mais aussi : être stupéfait, anéanti. |
Il a piqué une de ces quintes, | grosse colère (cf plus haut : quintous ) |
il s’en escanait tellement | s’étranglait, s’estouffer |
que j’ai cru qu’il allait me bomber l’arête | « Je vais te corriger jusqu’à te rompre l’échine ! ». A bomber : très vite |
ou m’expédier un patac ! | un coup de poing |
Il m’a dit de tout : que j’étais un artoupan, | un vaurien |
un bon à dale, | bon à rien. « Tu n’es pas bon à rien, tu es mauvais en tout ! » (Pagnol) |
que j’étais juste capable de tout mascagner, | Travailler sans aucun soin. |
quand je faisais quelque chose, que je faisais que brandouiller toute la journée | « Il tourne, il vire : il ne fait rien ! » |
et que le reste du temps je canulais tout le monde | j’ennuyais, j’importunais |
et que s’il m’attrapait, il allait me flanquer une de ces roustes | Correction donnée à un enfant. Mais aussi : « Cette saison, le football d’Arcachon, il n’a pris que des roustes ! » |
qu’elle m’enverrait tout droit à sainte-agonie, | le quartier des incurables à l’hôpital St André. |
que je pouvais tout juste passer la since | Vieux chiffon (la gueille) servant de serpillère. |
dans la souillarde et encore ! | L’arrière cuisine où l’on fait les travaux salissants. |
Tout les gonzes autour croyaient que j’allais me rendre | Se rebiffer. Mai aussi répondre avec effronterie. Et aussi vomir |
et qu’on allait se tuster, | Se battre. Mais aussi : faire du beau travail. « Les gonzes qui ont reconstruit le clocher de Notre Dame, ils se sont tustés. » |
s’envoyer des trempes ou des taloches | Trempes : coups. Taloches : giffles. Mais aussi : « Je suis tout trempe par l’averse » On dit aussi : « Tremper la soupe avec du bouillon sur du pain » |
et même se flanquer une dérouillée atoua | Une énorme bataille perdue. « La France en 40, a pris une dérouillée, mais, etc.. » |
et peut-être même se gnaquer. | se mordre |
Mais moi, pas branque, | fou |
j’ai décarré à bomber | je me suis enfui très rapidement |
parce que j’avais pas envie de me faire tarabuster | Secoué. « D ans Eho ! quand il passe dans un trou, on est drôlement tarabustés ». En gascon : maouté. |
et d’en sortir avec plein de brognes. | Beaucoup de bosses |
Alors, ce tignous | Méchant |
il m’a accoursé en trissant. | il m’a pourchassé en courant très vite |
Heureusement, à force de me démouniquer, | de me remuer. Mais aussi : faire tout son possible. |
quand je lui ai fait une feinte, | une surprise M.ais aussi une farce. Un « feintous » est adroit,malin. |
il s’est espataré | Tomber lourdement. Mais aussi : s’installer sans gêne dans un siège. |
en pagaille sur le trottoir. | en désordre. Tomber brutalement. S’empagailler : s’entraver |
Il tournait comme un cibot dans la rigole. | une toupie dans le caniveau. |
On aurait dit un biroulet pendant Hortense ! | une girouette |
Alors, les gonzes qui regardaient, | les gens, les types |
ils riaient comme des choines, | il riaient bêtement, comme des petits pains |
en disant des barres. | des bêtises |
Pendant ce temps, je suis arrivé à mon guingue | vieux vélo |
sans counilher, | sans perdre de temps, sans peur, sans hésiter |
à toute bringue, | à toute vitesse |
et je suis parti à Tartifume. | Un vieux château proche de Bègles, un lieu perdu, aller très loin. |
Enfin, quand même, une brogne à sa voiture, | bosse |
à peine une escarougnade, | égratignure, tout de même assez grosse |
c’était pas une affreusité ! | une catastrophe |
Quelle journasse, | mauvais journée, fatigante |
di-on ! | interjection : contraction de dis-donc. |
Le mien, il y a paouse, | il y a longtemps |
mon premier petit galistrous, | mon premier amoureux |
quand on se fréquentait, quand on se parlait, tu vois, même s’il était bon à dale | quand on flirtait, même si c’était un incapable |
et s’il aimait faire la vie, comme il était très bisoucayre | s’il aimait festoyer, comme il était très aimant |
et qu’il restait là, à tourner-virer dans la rue, | rôder |
à me bader | à m’admirer |
des tantôts entiers, | tous les après midis |
à se cailler, | à avoir froid |
quand je maillais | quand je travaillais |
derrière ma talanquère à la Maison du coton, | derrière mon comptoir |
ça me faisit des trembles | je frissonnais |
jusque dans les garailles. | jusque dans les jambes |
C’est vrai que j ‘étais une chubèbe, | une très jolie fille |
pas mestrionne du tout | pas capricieuse du tout |
et que j’avais de belles poupes, | de jolis seins |
mais j’avais pas encore vu péter le loup ! | j’étais vierge |
C’est que j’avais pas envie de tomber sur une pointe rouillée et d’avoir le ballon, | je n’avais pas envie d’être enceinte |
surtout avec un cimeur. | surtout avec un coureur de jupons |
Magine un peu qu’on m’aurait dit de tout à la maison : | imagine tous les reproches chez moi |
que j’étais une pouffiasse, | que j’étais une péripatéticienne |
que je serais une grougne, | une femme de mauvaise vie |
une sangougnasse | une femme sans soins |
de clouque, | poule couveuse |
une bestiasse | très stupide |
à force de bavasser | de bavarder |
avec un gonze | avec un homme |
qui a les yeux en couilles d’hirondelle, | sournois |
un crâneur et que tout le monde dit que, même avec son uniforme de pèle-gigot | vaniteux … son uniforme d’employé de l’octroi (ou douanier) |
qui le rendait enflé comme un tit, | qui le gonfle comme petit oiseau |
il avait pas l’air plus malin qu’un pot de grattons ! | un pot de rillettes |
Et puis voilà qu’un soir, té, pardine, | tiens, évidemment, |
il a voulu me pougnaquer, | me caresser |
ça m’a fait tiquer | cela m’a déplu |
et même que ça m’a tellement mis le sang par terre | j’ai été bouleversée |
que j’ai décaré à toute bringue. | je me suis enfuie à toute vitesse |
On s’est jamais remis ! | on ne s’est jamais réconciliés |