Chronique n° 117 – Une pêche qui tombe à l’eau

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Cent deux ans! Arcachon a attendu un port pendant cent deux ans ! Cela provient de l’opposition durable au site choisi, Eyrac, trop proche, pensent les élus, des lieux chics. Et aussi à la volonté, poursuivie plus ou moins sournoisement depuis 1866, de transférer toutes les activités jugées inesthétiques vers l’Aiguillon, dans le désir toujours taraudant, toujours inavoué mais toujours bien présent d’imiter Biarritz, souvent sous la pression de la presse locale. Enfin, la mauvaise volonté des pêcheries locales, déjà bien implantées et dotées d’installations qui leur suffisent, ralentit le mouvement. Car entre Eyrac et l’Aiguillon, sont déjà présentes, entre autres, les pêcheries industrielles “De l’Océan”, fondées par Harry Johnston et “Société nouvelle”. Cette dernière est dotée d’une halle d’expédition, d’une fabrique de glace, d’une fabrique de filets, d’ateliers de réparations et d’une longue estacade en ferraille où circulent, à grands bruits, des wagonnets. Plus à l’est, en 1921, s’installent des concurrents : “Cameleyre Frères”. Présents aussi, l’usine de fabrication de moteurs marins “Couach”, bientôt agrandie par une fonderie fort polluante, en plein boulevard de la Plage, les moteurs Lapeyre et la SMICA, qui assure le ravitaillement en charbon des chalutiers. Viendront aussi, encore plus à l’est, les moteurs marins “Castelnau”. Deux gros cargos désarmés, à mâture et en fer, ancrés au large, servent de réserve pour le combustible. Malgré leur délabrement, ils ont fait naître bien des rêves de voyages exotiques.

À tout cela, s’ajoutent : le chantier naval Auroux et celui de Louis-Georges Bonnin, ou plus anciens encore, ceux de Bossuet, implantés en 1874, ou Barrière, nés un an plus tard. Plus, des fabriques de glace. Plus, une criée aux poissons syndicale, – la quatrième venue- pour les ventes des pêches des plus petits bateaux indépendants, ce qui ne plaît guère aux grandes compagnies. On compte donc dans l’Aiguillon, un grand nombre d’activités qui assurent des ressources considérables dans la ville, venues de ce qui constitue bientôt, une véritable zone industrielle où prolifèrent aussi de nombreuses petites entreprises, proches des besoins maritimes. Mais les protestations se multiplient, face à l’occupation de la plage d’Eyrac par toutes ces installations, peu compatibles, disent les mécontents, avec un tourisme de qualité. On comprend donc que les élus des années trente ne se montrent guère favorables à transformer la criée syndicale qui s’y trouve, en établissement municipal. La décision peut mécontenter, autant les riverains que les grandes pêcheries qui traversent une période socialement difficile, comme toute la France, d’ailleurs. La crise de l’usine Couach en 1937 en est la preuve. Elle ne s’en tire vraiment qu’en 1941, en commençant à construire des bateaux qui formeront, bien plus tard, la fameuse la gamme “Arcoa”. Un singulier acte d’optimisme !

Quant au projet de port, les grandes pêcheries n’en veulent pas. D’abord, parce qu’elles ont investi dans des installations et dans des achats de terrains, ensuite parce qu’une infrastructure publique risque, selon elles, de développer les contrôles administratifs et financiers, enfin, parce qu’elles devraient payer des frais et des taxes nouvelles où, pensent-elles, les conduit tout droit une criée municipale. Ce qui les empêcherait, évidemment, de pratiquer des cours de vente qu’elles organisent directement avec leurs acheteurs de poissons. Pourtant, dès 1922, le projet de port de pêche est repris mais vite abandonné, quand on évoque son installation sur la plage d’Eyrac ou encore, en 1923, dans le prolongement de la rue Alfred-Déjean. En 1927, le dossier resurgit mais comme on ne sait encore que faire de la criée syndicale, la mairie enterre de nouveau l’affaire. Mille neuf cent trente : alors qu’Arcachon héberge trente-cinq grosses unités de pêche, la municipalité de M. Gounouilhou investit dans d’autres projets afin de donner d’Arcachon une image moderne et sportive, loin de celle des “petits tousseux”. La pêche n’est donc pas son primordial souci. Lorsque la guerre éclate, évidemment, plus question du port de pêche !

Il faut attendre la Libération et les municipalités successives de Lucien de Gracia pour que l’affaire évolue, dans les années cinquante. Elle évolue d’autant plus vivement que la grande pêche périclite. Dès sa première mandature, de Gracia peut donc ouvrir une criée municipale. En corollaire inévitable, le 5 juillet 1956 est posée la première pierre du port de pêche, à son actuel emplacement. Il fonctionne avec un local de vente, sur une darse de 120 m sur 250 m, reliée à la rade par un chenal de quarante mètres de large. Mais, est-ce la conséquence d’une grande fâcherie avec la mairie : à peine quatre ans après, la flotte de pêche industrielle commence à émigrer vers La Rochelle ou vers Lorient. Plus qu’une rébellion contre De Gracia, on peut penser que c’est certainement la vétusté des grands chalutiers, les passes océanes aléatoires, la concurrence de grands ports plus modernes et la diminution de certaines ressources piscicoles qui expliquent la fin de la pêche industrielle, là même où elle est née. De courageux petits patrons la remplacent, appuyés sur des armateurs qui récupèrent ce qui reste des grandes pêcheries. C’est une autre histoire.

A suivre…

Jean Dubroca

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