Dans ses opulentes années, Arcachon vit autant de ses charmes que d’une réputation établie à forte dose de “réclames” et d’interventions journalistiques. Si bien que toute la “jet-set” de la fin du XIXème siècle y défile, quelques jours, quelques heures ou quelques mois. Voici une petite revue intéressante des célébrités passées ici. En 1875, le Grand Hôtel voit débarquer Adolphe Thiers, alors âgé de soixante-dix-huit ans. Deganne, devenu très républicain, organise une grande réception de quatre cents invités pour honorer, en son château, « Le libérateur du territoire », dont il ne faut pas oublier que cette libération s’est achevée par la semaine sanglante. Mais Arcachon n’y songe guère, qui tire un feu d’artifice en l’honneur de Thiers, dans une ville pavoisée de tricolore. Deux ans après, en 1877, en pleine tournée électorale, le maréchal de Mac-Mahon, alors président de la République, est, lui aussi, accueilli en son château par Deganne. Il le décore de la croix de la Légion d’honneur.
Passons au 6 février 1878 : un train spécial amène en gare d’Arcachon les Princes d’Orléans, dont la comtesse et le comte de Paris, héritier éventuel du trône de France. Et voilà Deganne, toujours maire, fort gêné aux entournures car, cinq mois plus tôt et cela malgré la visite de Mac-Mahon, Arcachon a largement voté républicain. Comme il ne faut surtout pas fâcher une clientèle d’une telle influence, surtout en plein mois creux de février, Deganne organise pour ces visiteurs une réception dans son théâtre. Les princes y sont accueillis … aux sons de l’hymne national espagnol, en raison de leur parenté avec la couronne d’Espagne, ce que tout le monde applaudit tandis que Deganne triomphe …
Et puis, se succèdent : la grande duchesse, Catherine de Russie, qui, de l’asiatique villa “Pépa” entend très bien les quinze coups de canon qui saluent son arrivée. Elle reviendra deux fois. En 1879, sous la neige fondue d’un dix-sept février, presque anonyme, le futur Edouard VII sort du Grand hôtel et finit par prendre le thé chez Mme Harding, dans la ville d‘hiver. Toujours en 1879, mais en plein mois d’août, le roi d’Espagne célèbre ici ses fiançailles avec Marie-Christine d’Autriche. Septembre 1883 : le frère du tsar, le grand-duc Romanov, apprécie tellement le concert que la fanfare arcachonnaise donne sous ses fenêtres du Grand hôtel, que le chef, M. Pévost, reçoit une bague couverte de diamants que le duc, à l’issue de ses quinze jours de présence, lui fait parvenir, par l’intermédiaire du maire, Georges Méran.
Avec les quinze personnes de sa suite, la princesse, sœur de l’impératrice d’Autriche, s’installe pour trois jours au Grand hôtel avant, hélas, de gagner Biarritz. Du train de 8 heures 44, le 18 mars, débarque Louise d’Angleterre, fille de la reine Victoria. Entre l’express de 11 heures 34 et celui de 16 heures du 8 août 1889, Mohammed El Hadj Bey, fils aîné du bey de Tunis, visite Arcachon, applaudi par une foule nombreuse. Et les grandes figures se succèdent. En pleine crise de recherche de solitude et bien qu’entourée de quatorze personnes voici, au début de septembre 1890, Élisabeth d’Autriche, dite “Sissi”, dans des films sirupeux, souffre encore profondément lorsqu’elle arrive ici, de la mort tragique de Louis II de Bavière et, surtout, de celle de son fils, Rodolphe.
Elle aurait pu rencontrer Charles Gounod, très inspiré par l’atmosphère arcachonnaise, entre 1859 et 1893. En juin 1901, la pauvre reine des Hovas de Madagascar, Ranavalo III, déchue de son trône par le pouvoir colonialiste français, est accueillie comme une vraie souveraine par Arcachon où elle passe vingt-cinq heureuses journées. Autre souverain : le prince de Monaco, dont on connaît l’intérêt pour l’océanographie, visite la Société scientifique, le 26 mai 1902. Quant à Alphonse XIII, roi d’Espagne, il revient deux fois encore, après son premier voyage du 22 août 1907, marquant une prédilection pour le Moulleau, déjà bien lancé lorsqu’il y passe en 1910. La nouvelle station a tous les charmes qu’il faut pour accueillir, en 1910, Gabrielle d’Annunzio. Après avoir fait l’objet d’une polémique virulente entre “L’Avenir”, le journal de l’opposition et “La Vigie”, la feuille du maire, Veyrier-Montagnères, Gabriele d’Annunzio devient « Le surhomme de la Côte d’Argent ». Quoi qu’on pense du personnage, il laisse une marque profonde dans l’histoire d’Arcachon.
Une histoire écrite avec de grands noms, où il n’a manqué, au fond, que la grande duchesse de Gérolstein, enluminée par ces célébrités qui n‘ont fait assez souvent que passer mais qui ont donné à cette histoire l’ampleur d’une fresque éblouissante, trop vive, parce qu’elle a absorbé la réalité et pourtant tout aussi subtilement riche et présente que les couleurs fugaces des couchers de soleil sur le cap Ferret qui, au-delà d’un temps irrémédiablement fini, continuent de fasciner. Cette fascination, c’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca