Dans la création d’Arcachon-commune, il y a les séparatistes et les autres. Pourquoi les premiers l’ont-ils emporté ? Dans un mémoire présenté, en 1998, à l’Institut politique de Paris, Valérie Cappizzi s’est livrée à une étude sur les mentalités dans les deux camps opposés d’où il ressort plusieurs conclusions intéressantes. D’abord, les séparatistes, généralement de bons bourgeois, souvent même riches, sont à 67 % propriétaires à Arcachon. Leurs adversaires, sauf exception notable comme Lalesque, possédant historique, n’y ont généralement rien acheté et, dans leur groupe, les exploitants et les artisans dominent. Un tiers d’entre eux ne sait pas signer son nom. Par contre, le docteur Lalesque, qui maîtrise bien l’écrit vient à leur aide et présente un long rapport bien construit pour s’opposer à la séparation.
Il argumente avec vigueur, sur des faits, financiers notamment, dont on a déjà parlé. Mais il est très, très seul. On mesure ainsi le clivage social entre séparatistes et ceux attachés à l’entité testerine. On le mesure d’autant mieux quand on observe que beaucoup des plus riches propriétaires arcachonnais possèdent de solides relations politiques tant au niveau départemental que national que dans les milieux d’affaires.
Le mieux placé de tous, c’est Lamarque de Plaisance, bonapartiste convaincu. Relevé de ses fonctions de maire de Cocumont le 14 juillet 1852, le voilà, tout aussitôt, nommé maire de La Teste, le 30 juillet suivant. « J’étais loin de m’attendre à cet honneur », déclare-t-il alors, sur un ton de bon apôtre. Autre chose : beaucoup de ces importants propriétaires arcachonnais voient dans la création de la nouvelle commune l’occasion de jouer un rôle politique, alors que toutes les places sont prises dans les instances testerines. De plus, comme ces notables favorisent le développement de l’église arcachonnaise, ils bénéficient tout autant de la bénédiction que de l’appui du cardinal Donnet. Lequel, reprenant une idée déjà émise en 1854 et pour donner un coup de pouce à l’opération d’autonomie, n’hésite pas à évoquer le pactole qui tomberait sur Arcachon avec l’ouverture d’un port militaire…
Quant à Lamarque de Plaisance, toujours aussi bon apôtre, le 8 mai 1856, il fustige « l’esprit de retour de Lalesque », l’opposant à l’autonomie. Il ajoute : « la richesse d’une ville, ce n’est pas le nombre de ses habitants mais la valeur des immeubles et des industries qu’elle renferme ». Et, après avoir évoqué l’intérêt général et la force des choses, Lamarque ajoute benoîtement et la main sur le cœur : « Le moment pour cette séparation ne peut pas être mieux choisi mais cette solution n’est pas due à la haute position des propriétaires d’Arcachon, car, sous un gouvernement comme le nôtre, protecteur de tous, les influences, si elles étaient mises en jeu, viendraient échouer devant le droit ».
Finalement, comme le démontre Valérie Cappizzi, cette indépendance d’Arcachon, où se mêlent étroitement, dans chaque camp, intérêts publics et privés, résulte avant tout de la victoire d’une minorité active et riche, bordelaise plus que testerine et investie dans les nouvelles industries. Elle l’a emporté sur une majorité silencieuse, silencieuse car ne pouvant vraiment s’exprimer et de plus diversifiée et complexe et attachée à ses traditions, forestières notamment. Mais y a-t-elle perdu matériellement, dans ce changement ? La question mérite d’être posée quand on connaît aujourd’hui le fort et rapide développement économique d’Arcachon dans la seconde moitié du XIXe siècle ? C’est une autre histoire.
À suivre…
Jean Dubroca