Chronique n° 049 – Le train déraille

    Imprimer cet article Imprimer cet article

Le chemin de fer Bordeaux-La Teste connaît le succès dès qu’il fonctionne, en 1841. Mais tous les voyageurs ne sont pas satisfaits. Certains s’estiment, le dimanche, entassés comme des “royans” – nom local de la sardine – dans des wagons mal aérés pour quarante passagers, qui ont sué sang et eau pour acheter leur billet. Il arrive même, devant l’affluence, qu’il faille voyager accroché dans le vide, sur le marchepied de la voiture. D’autres clients protestent contre des horaires mal étudiés qui, se plaignent-ils, les amènent à La Teste en pleine chaleur, après vingt-cinq minutes d’attente pour récupérer les bagages. Et ces mêmes horaires les obligent à quitter le Bassin quand ils pourraient profiter de la douceur de ses soirées.

Face à ces récriminations, en 1849, la Compagnie crée un train qui arrive le samedi soir et repart pour Bordeaux le lundi matin. Le genre de convois que, dans toutes les stations balnéaires, on appelle élégamment “le train des cocus”. Quant à l’ambiance à bord, jugez-en, d’après les propos d’un voyageur : “les trains de plaisir sont des trains de désordre. Dans les wagons de 3è classe, les chants et les cris, suscités par les libations de la journée, fatiguent les voyageurs paisibles. Les premières classes sont envahies par les titulaires des classes inférieures”.

Et puis, il y a les incidents de parcours, racontés par Jacques Ragot. Le 21 septembre 1841, un train déraille sur un aiguillage défectueux à la sortie de la gare de Ségur. On le remet sur la bonne voie mais à Gazinet, l’essieu de son tender casse. Ce qui bloque aussi à Marcheprime, le train venant de La Teste. Résultat : tous les voyageurs passeront sur place une longue nuit. Une autre fois, une locomotive baptisée “L’Anzin”, arrive en gare de Ségur à la vitesse trop élevée de seize kilomètres par heure. Elle défonce deux butoirs et s’arrêt, juste avant de s’écraser dans la rue, cinq mètres plus bas. Tout le monde s’en tire avec une belle peur, et notamment le chauffeur, dénommé Fleury. En 1852, le 1er septembre, une locomotive tombe en panne d’eau un peu avant Marcheprime. Sans wagons, elle réussit à gagner la gare mais, quand elle revient chercher les passagers, sa tubulure explose. Il y aura six heures de retard. En 1853, la cheminée d’une machine se brise, elle renverse le chauffeur. Le mécanicien, Édouard Armandy, est légèrement contusionné.

Mais tout cela n’est rien par rapport aux difficultés qui attendent la compagnie. Premier coup dur : la dissolution, le 21 décembre 1846, de la Société agricole et industrielle d’Arcachon, celle qui devait assurer du fret pour le train. Les difficultés s’aggravent alors car l’hiver, il y a peu de passagers. La déconfiture s’accélère d’autant plus vite que le projet de port devant Eyrac n’avance pas. Le 30 octobre 1848, le chemin de fer est mis sous séquestre et le 17 novembre, la ligne est placée sous la protection de l’État. Mais voilà que, le 27 mars 1852, apparaissent Émile et Isaac Pereire, deux financiers qui, un peu comme François Legallais en son temps, signent le nouveau destin d’Arcachon. Ils ont constitué la Compagnie du Midi. Elle établit un traité avec le chemin de fer de La Teste, ce qui la sauve de la faillite totale.

Le 24 août de la même année, l’État, gestionnaire de fait du chemin de fer testerin, autorise la Compagnie du Midi à utiliser la voie testerine jusqu’à Lamothe. Le 30 mai 1843 : les frères Pereire parachèvent la bonne affaire : le chemin de fer de Bordeaux à La Teste est livré à la Compagnie du Midi. En septembre, le séquestre est levé et l’absorption se fait, sans tarder, le 21 décembre. Le chemin de fer Bordeaux-La Teste fait désormais partie d’un long réseau. L’histoire du Sud-Bassin est complètement bouleversée lorsque, le 30 mai 1855, Émile Pereire obtient du conseil d’administration de la Compagnie du Midi, l’autorisation de prolonger la ligne jusqu’à Arcachon. Une belle, courageuse et étonnante page locale se tourne alors. Étonnante parce que ce captalat, éloigné de tout, véritable îlot dans un désert marécageux, a, l’un des premiers en France, voulu le nouveau monde du chemin de fer. Il faut reconnaître aux Testerins d’alors qu’ils ont su saisir la chance qui leur est arrivée, en bouillonnant de vapeur, une chance que de grandes villes comme Tours ou Orléans refuseront. Maintenant, une nouvelle aventure arcachonnaise commence. C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

Images liées:

Aimé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *