L’arrivée du chemin de fer à La Teste en 1841 commence mal puisqu’il faut reporter, in extremis, son inauguration du 25 juin au 6 juillet. Cela, à cause de l’éboulement partiel du viaduc de La Hume, trop vite construit ! Finalement, la fête a lieu dans un grand concours de foule. Le cardinal Donnet bénit la voie unique et il se souvient, en 1876, de l’enthousiasme bruyant et coloré qui régnait. « Il me semble voir encore les hommes aux grandes échasses, les cavaliers venus des rivages de l’océan, les femmes aux costumes antiques et les enfants poussant un ravissant hosanna. Je vois encore, poursuit le cardinal, les autorités civiles et militaires, des députés, les chefs des principales maisons de commerce et toutes les notabilités du pays se pressant à cette fête du commerce et de l’industrie ».
La ligne part de la gare de Ségur, située loin du centre de Bordeaux, rue de Pessac, à l’emplacement de l’ancienne caserne Boudet. La voie mesure cinquante-deux kilomètres, compte vingt-deux stations, dont beaucoup d’inutiles car souvent sans clientèle. Les rails reposent directement sur le sol, sans ballast, sauf sur trois kilomètres. Mais, prétendent les ingénieurs, les trépidations ressenties par certains voyageurs proviennent uniquement d’une mauvaise suspension des voitures. Et surtout pas de leur conception technique de la voie !
Soixante-quatre gardes-barrières signalent l’arrivée des trains en agitant, soit un drapeau rouge, soit, la nuit, une lanterne, soit, dans le brouillard, en sifflant très fort. Le télégraphe électrique Bréguet n’arrivera sur la voie qu’en 1852. Donc, en cas d’incident, le garde le plus proche brandit une sphère rouge et blanche et l’information se répand de barrière en barrière. Lesquelles, aux premiers mois de la ligne, restent toujours fermées. Ce qui cause bien du désagrément aux villageois. Tellement que le 1è janvier 1842, des maires demandent que la barrière reste ouverte jusqu’au premier coup de sifflet de la locomotive.
Mécontents aussi des habitants, des Gujanais. Ils constatent que le remblai de la voie empêche l’écoulement des eaux pluviales. Par deux fois, très en colère et même à main armée, comme le prétend la Compagnie, ils creusent des trous dans ce remblai ce qui coûtera 137 francs à la commune. C’est la rançon du progrès ! Et du progrès, il y en a en pagaille grâce aux cinq locomotives acquises par la Compagnie et grâce aussi aux vingt voitures de seize places et aux soixante wagons. En 1841, on compte deux locomotives à trois essieux, venues de Grande Bretagne, -des spécialistes en la matière, les Anglais- il y a aussi trois locos à quatre roues fabriquées par les ateliers d’Anzin sur des plans datant de 1830 et de Stephenson soi-même. D’un modèle déjà ancien, elles ont l’avantage de coûter moitié moins que les Patentees, à deux essieux moteurs.
Mais leur nombre reste insuffisant car il faut laisser les engins refroidir pour les entretenir convenablement. On doit donc se résigner, en 1842, à acheter trois locomotives supplémentaires, dont une d’occasion, “La Gironde”, datant de 1838. Ainsi, pour parler comme dans le style de l’époque, La Teste se trouve propulsée à la pleine vitesse de la force motrice de la vapeur domptée, dans le grand train du progrès. Mais, comme l’écrit Claude Levi-Strauss, « chaque progrès donne un nouvel espoir, suspendu à la solution d’une nouvelle difficulté ». Ce qui va, évidemment, se produire sur les rives d’Arcachon. C’est une autre histoire.
A suivre…
Jean Dubroca