On ne le répétera jamais assez, Arcachon repose sur un socle mobile, au bord d’un monde étrange où les eaux douces et salées se mêlent à des terres qui vont et viennent, labourées par des courants puissants ou de petites rigoles qui se perdent dans des herbes dures, couvertes d’embruns et de sel et exhalant une moite odeur de vase saline et d’humidité chaude, une de ces odeurs qu’on n’oublie jamais, comme le disait Bonaparte des senteurs du maquis corse. Arcachon se trouve donc au cœur d’une étrange et fragile planète de 15 500 hectares, imbibée de lande, remplie de pulsations océaniques et découpée de tentacules qui se gonflent au rythme des marées.
Avec toutefois un gros ennui : au nord, la planète se comble au rythme lent mais inexorable d’un centimètre au maximum par an. Les sables s’accumulent, les algues prolifèrent et l’eau circule mal. Qu’on se le dise bien. Non seulement, Arcachon s’accroche à un sol mouvant mais si l’on n’y prend garde, bientôt, trop tôt, trop vite, il ne dominera plus que des prés salés spongieux car l’on sait que nos terres se transforment à la grande vitesse des courants de marées d’équinoxe. Fort heureusement, on pompe, on pompe, on pompe, à grands renforts d’euros, pour éviter le pire.
Ce qui n’empêche point que se poursuivent les modifications incessantes qui marquent l’évolution du site. Car il va continuer de se modifier. De très savantes extrapolations ne prévoient-elles pas que, dans la prochaine décennie, le cap Ferret s‘allongera et que la pointe d’Arcachon se creusera autour de La Salie et même, on le voit bien déjà, au pied nord de la dune de Pilat ? Ensuite, le banc d’Arguin, déjà bien malmené, disparaîtra car les deux passes auront fusionné. Enfin, en 2100, deux chenaux du nord se confondront et aboutiront dans un chenal central. Ainsi, le Bassin continue de profondément changer. Il n’a donc rien d’inerte et par conséquent, ce n’est ni un lac, ni une lagune, ni un marécage, surtout pas une baie, ni un étang et encore moins, quoi qu’en disent de très méchantes langues, une vulgaire mare et encore moins un bain de pieds pour Bordelais. En vérité, oui, nous avons bel et bien un bassin à nul autre pareil et pas autre chose. Mais c’est beaucoup car c’est unique.
Ce Bassin, on l’a d’abord appelé Petite mer de Buch puis Havre d’Arcachon quand Choiseul rêvait, le malheureux, d’y installer un port militaire. Mais c’est au XVIIe siècle qu’il a pris son titre de gloire et son originalité insaisissable. Il sera, désormais et pour toujours, un Bassin qu’on trouve baptisé Archix en 1375, Arcasson en 1420, Archasson en 1436 et Archaxon en 1407. Mais, quel que soit son nom, il reste, ce qui fait son charme, un extraordinaire entrelacs d’artères, de veines et de veinules qui bat comme un cœur, au rythme des marées. Son exploration, c’est une autre histoire.
À suivre …
Jean Dubroca