Chronique n° 060 – Un temple pour le rêve

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Arcachon vend du rêve et c’est très bien que son histoire comporte une part qui flatte l’imagination de ses visiteurs. C’est le cas avec le Buffet Chinois ou le Casino Mauresque. On la tient aussi avec Adalbert Deganne qui, devenu riche, va trouver un moyen original d’assouvir une certaine vengeance car il n’a pas oublié l’avanie que lui aurait infligée la richissime veuve Clicquot. Laquelle dame, au début de l’année 1839, lui a refusé la main de sa petite fille Clémentine, pour éviter toute mésalliance. Et comme il faut marquer le passage de la famille vers la haute aristocratie champenoise, la veuve demande à l’architecte Arveuf et en toute simplicité : « Construisez-moi un château et inspirez-vous de Chambord ! ». De 1843 à 1848, on élève donc, à Boursault, un édifice élégant qui arbore effectivement des tourelles et des clochetons dominant le monument mais d’une manière plus proche de l’exubérance de Chenonceaux que de la folle fulgurance de Chambord.

Et voilà que Deganne décide de bâtir, lui aussi son château, dans ses terres, à la limite d’Eyrac. Une revanche sur le camouflet passé, alliée à la beaucoup plus prosaïque manière de démontrer que l’on peut construire en dur et en lourd sur le sable. Il le fait édifier à partir de 1853 et c’est une réplique du château de Boursault, exacte dans la proportion des deux tiers qui, depuis et bien que massacré, domine la plage. De ses terrasses, on aperçoit dans la droite ligne de l’actuelle avenue Nelly Deganne, un carrefour où convergent six voies. Bien sûr, qu’il s’agit du carrefour des Six routes où Adalbert et Clémentine se rencontraient en cachette au temps de leurs belles amours si clandestines qu’elles restent douteuses.

Peu importe car, la légende rejoignant la réalité, le château Deganne, ainsi qu’on le désignera longtemps, reste un temple de la passion. Non point parce qu’on y sent encore planer les grandes ombres de Thiers et de Mac-Mahon, reçus ici par Deganne en 1875 et en 1877. Non point parce que le château devient, en 1887, un pensionnat de jeunes-filles, dirigé par des Dominicaines. Encore qu’on sache très bien tout ce que cache de passion rêveuse et inassouvie, l’ombre des jeunes filles en fleurs… Si le château Deganne reste lieu de passion, c’est parce qu’en 1902 Eugène Dubousset et son associé, l’entrepreneur Blavy, l’achètent, pour 160 000 francs, à la famille Maupassant qui en a hérité. Dès 1903, ils en font un casino, dit de la Plage, pour concurrencer celui de la Ville d’hiver. Une création qui correspond à un désir longtemps exprimé dans la ville basse, depuis longtemps, la ville d’été, sans doute par prudence, rechignant à grimper vers la Ville d’hiver…

L’architecte Peigné fait bâtir, côté Bassin, une salle de 700 mètres-carrés longée par une terrasse encore plus vaste, mesurant quatre-vingts mètres de long et quatorze de large. S’y ajoute, à l’est, un joli théâtre à l’italienne de près de six cents places, construit et décoré dans les règles de l’art et de la mode de l’époque. Deux sirènes, alanguies et dénudées, dominent le cadre de scène où s’ouvre un rideau jaune clair, orné d’une frise basse évoquant le Bassin. En 1903, la ville accorde le droit de pratiquer de jeux et, à la saison 1904, de nombreux joueurs peuvent assouvir leur passion. En 1911, Gilles Brissoneau-Steck a répertorié cinq grands jeux. Les amateurs de sensations fortes, passionnés par les bonheurs du hasard, se pressent autour des petits chevaux, du baccara, du trente et quarante, du whist ou de la roulette.

Mais une terrible dispute a éclaté entre les deux associés : Dubousset doit acquitter, lui et lui seul, près de 900 000 francs de travaux à Blavy, ce que le devis primitif n’avait pas prévu. Dubousset refuse de débourser une telle somme et parle d’escroquerie. Un procès, forcément passionné, s’ensuit. Il dure jusqu’au 6 février 1914 où le Tribunal reconnaît Blavy « cupide et malhonnête ». Deganne aurait-il imaginé que son château dont il voulait faire un musée, puisse devenir cela et même par la suite un hôpital militaire où l’on soigna 2300 blessés de 1914 à 1916 et la Maison du soldat Allemand de 1840 à 1944 ? Toujours est-il que, devenu assez sage pour mesurer les limites de la passion et de l’argent, Deganne, qui, craint, peut-être, d’y réveiller quelque belle au bois dormant, n’a jamais habité son château. Seul son cercueil y fut exposé en 1886. Mais Deganne reste vivant car c’est aussi celui qui a contribué à donner à Arcachon son chemin de fer et aussi sa belle structure urbaine. C’est une autre histoire.

 À suivre…

Jean Dubroca

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Aimé

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