1776 – Le modèle d’exploitation landaise de Desbiey

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Les frères Desbiey, Guillaume et Louis-Mathieu sont bien moins connus que Brémontier et Chambrelent, bien qu’ils aient été au XVIIIe siècle, grâce à leurs sens de l’observation et de l’expérimentation, les précurseurs de la fixation des dunes et du boisement des landes.

Guillaume Desbiey (1727-1785) n’utilise pas le mot « désenclavement » si cher à nos aménageurs, mais il pense nécessaire de construire de bonnes routes et des canaux dans les Landes pour permettre aux productions locales, et surtout au bois, d’être vendues.

Parallèlement à ces nouvelles voies de commerce que sont les routes et les canaux, il propose un modèle d’exploitation agricole et sylvicole landaise. Les exploitations auraient été longilignes, le petit côté étant celui en façade sur la route et le canal, et le long côté s’enfonçant dans les terres.

Guillaume Desbiey fixe les dimensions optimales de l’exploitation[1] :

« Afin de multiplier encore davantage les habitations sur les bords des grands chemins et des canaux, on pourroit ne donner que huit jornaus[2] de face sur une profondeur qui en auroit alors soixante-quinze. »

Sauf erreur d’interprétation, c’est donc sur une bande de 600 « jornaus » (8×75), donc autour de 300 hectares, donc un rectangle d’environ 700 m sur 4 km, que Desbiey projette de faire vivre « une famille de maître ou de fermier, deux familles de bouviers laboureurs, une de pasteurs et trois de résiniers ».

Desbiey dessine avec précision le plan, très géométrique, de l’utilisation du domaine, séparé des domaines voisins par « de larges et profonds fossés mitoyens qui le garantiroient tout à la fois et de la stagnation des eaux et des incursions du bétail étranger ». La terre issue de ces fossés doit servir à fertiliser l’intérieur du domaine.

Les cultures et activités du domaine :

1 – Seigle, petites fèves, panis, et surtout maïs (appelé selon les endroits blé d’Espagne, d’Inde ou de Turquie – le mot « turguet » employé en Albret pour le maïs vient peut-être de cette dernière origine).

Desbiey pousse au remplacement de la culture du millet par celle du maïs, grâce à des méthodes de culture adaptées aux Landes.

Conformément à la tradition landaise, il déconseille la jachère, qui ferait plus de mal que de bien en multipliant les mauvaises herbes.

2 – « vergers et jardins potagers nécessaires pour l’usage des colons ».

Desbiey voit dans cette mise en valeur des Landes un moyen de recycler les « peuplades de fainéants des villes » en en faisant des colons.

 3 – Chènevières et pépinières : « soit des arbres fruitiers et à pépin et à noyau, arbres d’agrément et d’utilité qui viennent de bouture, tels que les différentes espèces de peupliers et de platanes, dont on pourroit garnir les bords des fossés de clôture, soit de ceux qui viennent de graine et de provin, comme le frêne, et surtout le faux acacia, dont on pourroit former des haies qui sont impénétrables et faire des échalassières qui en général sont trop négligées dans une province où la principale culture est celle de la vigne. » […] « haies vives d’acacia, toujours préférables à celles d’aubépin dont les progrès sont plus lents, l’entretien plus coûteux et le produit infiniment moins utile ».

4 – Noyers, cormiers.

5 – Vigne, que Desbiey suggère de faire courir en hauteur, sur les fourches des peupliers et des platanes.

Dans un esprit d’économie qu’on a oublié aujourd’hui parce qu’on se repose sur les machines, Desbiey s’arrange pour que chaque élément de son projet ait plusieurs utilités : ainsi tel arbre donne à la fois de l’ombre pour protéger les travailleurs, des fruits, du bois, sert de support à une autre plante, etc…

6 – Prairies naturelles et artificielles (au « fromental de Nice » ou « rai gras ») pour nourrir les bestiaux ; prairies naturelles ou artificielles de genêts épineux [Desbiey fait probablement allusion à la toja (prononcer « touye »), petit ajonc épineux], pour le pâturage, la litière des animaux, et l’engrais des terres.

 7 – Futaies et taillis : pins, chênes francs (utilisés pour les charpentes), chênes-lièges (« d’un revenu considérable » lorsque le liège est bien exploité et travaillé, et qui donnent aussi les meilleurs glands pour « l’engrais des bœufs et des porcs »), chênes tauzins, dans des proportions variables selon les parcelles.

Comme les autres plantes, les arbres doivent s’entraider : l’ombre des uns aide les autres à pousser, etc…

8 – enfin, au plus profond du domaine, le pinhadar pur, destiné surtout aux productions résineuses, entrecoupé de « bire-huc » (« vira-huc » en graphie occitane normalisée ; signifie « écarte-feu ») ; ces « vira-huc » servent aussi à « fournir du pâturage et de la litière pour un troupeau de brebis ou de chèvres, qui procureroit l’engrais des terres destinées à la subsistance des résiniers ».

Au total, les bois auraient occupé près des deux tiers de l’espace. Mais pas de monoculture du pin !

 

Guillaume et l’abbé Louis-Mathieu Desbiey sont les fils de Jean Desbiey (1663-1753) notaire royal, procureur fiscal, capitaine général de la Ferme générale de Bayonne dont la famille serait d’origine anglaise et se serait fixée en pays de Born et en Marensin entre le XIIe siècle et le XVe siècle. Ce sont des gentilshommes campagnards et surtout des hommes de loi occupant plus précisément des fonctions de procureurs, notaires royaux et juges.

Guillaume Desbiey né le 13 octobre 1725 à Saint-Julien-en-Born fait ses études au collège des Barnabites de Dax. Il fait un apprentissage de géomètre. Dès ses 14 ans il assiste son père comme « praticien » à son étude de notaire à Lévignacq. Il devient à son tour notaire royal puis en 1750 à 25 ans, procureur fiscal à Saint-Julien-en-Born à la suite de la démission de son père, qui étant devenu capitaine général de la Ferme générale en 1739, souhaite se consacrer entièrement à cette charge. Guillaume entre un an plus tard en 1751 à la Ferme générale tout en occupant la charge de notaire. Au décès de son père en octobre 1753, il quitte la maison paternelle. Intègre mais volontiers tracassier, il intente un procès à sa mère qu’il accuse d’avoir brûlé le testament olographe de son père, dans le but de favoriser à ses dépens son frère Louis-Mathieu, le benjamin « si chery » de sa mère.

En août 1760, à 35 ans il épouse en l’église Saint-Pierre de Bordeaux, Jeanne de Segonnes (1734-1762), fille Jacques de Segonnes procureur du sénéchal de Guyenne et de Marguerite Verdelet. Peu de temps après, il accède au grade de capitaine général des Fermes, c’est-à-dire au contrôle des brigades qui composent une inspection avec pour mission de surveiller le trafic des marchandises et de réprimer la contrebande dans la direction de la Ferme de Bayonne. Durant cette mission, il poursuit ses activités de notaire et de procureur, et accroît son bien par des achats successifs ou par héritage.

Son mariage est bref puisque son épouse décède deux ans plus tard en octobre 1762 à l’âge de 28 ans à Margaux dans la maison de sa mère.

En 1769 il quitte la direction de la Ferme de Bayonne pour celle de Bordeaux et se rapproche ainsi de sa sœur Catherine Rose et de son beau-frère Emile Turpin pour lequel il éprouve du ressentiment en raison de ses négoces frauduleux sur les taxes dues sur le sel.

Guillaume Desbiey est un ami des « Lumières », qui cultive son esprit par ses travaux personnels et la lecture de sa bibliothèque où se côtoient l’Esprit des Lois, les premiers volumes de l’Encyclopédie ou la Maison Rustique.

En décembre 1771, après 20 ans de services dans les brigades des Fermes, las de chevaucher après les contrebandiers et passablement enrichi, le capitaine général Guillaume Desbiey demande un emploi du service sédentaire. En arrangement avec sa direction il obtient d’acheter l’entrepôt de tabac et la recette des traites de La Teste au sieur Guillaume Sauvé âgé de 88 ans et à sa fille. Il prend ses fonctions de receveur-entreposeur de La Teste début 1772, sans se douter qu’en renonçant à la retraite de capitaine général des Fermes, il se prépare une fin de carrière mouvementée.

Il se remarie en mai 1772 en l’église Saint-Éloi de Bordeaux avec Marie-Madelaine Gouteyron, fille Jacques Gouteyron, chirurgien-juré de la ville de Bordeaux, et de Marie Fonfrède et par cette union, s’allie à la famille Boyer-Fonfrède et devient le beau-frère de Joseph Garat, mari de la sœur cadette de sa femme, futur ministre de la Justice puis de l’Intérieur.

À La Teste il subit les manœuvres frauduleuses des trafiquants du lieu dont fait partie son propre beau-frère Étienne Turpin. Homme au caractère difficile, procédurier, « grand tracassier», âpre au gain, il est peu soutenu, voire désavoué, par sa hiérarchie, et fait l’objet de calomnies multiples. Sa vie à La Teste est un enfer fait de procès incessants, de chargements fictifs, de barques prétendument naufragées, de servante faussement engrossée, de différends et de deuils familiaux.

En 1774, il rédige avec son frère Louis-Mathieu, membre associé de l’Académie de Bordeaux, un mémoire faisant état des travaux réalisés vers 1760 sur la dune de Broque, afin de protéger leurs propres terres du quartier de Sart finage de Saint-Julien-en-Born, intitulé « Recherche sur l’origine des sables de nos côtes, sur leurs funestes incursions vers l`intérieur des terres et sur les moyens de les fixer et ou du moins d’en arrêter les progrès », qui est lu en séance publique. Brémontier, quelque dix ans plus tard, mettra en œuvre ces techniques dont il s’approprie la paternité pour sa propre renommée.

Deux ans plus tard en 1776, Guillaume Desbiey remporte devant la même Académie de Bordeaux le prix Beaumont pour son « Mémoire sur la meilleure manière de tirer parti les landes de Bordeaux quant à la culture et à la population », où il préconise la transformation de la lande par le pin maritime, après assainissement. Par ses recommandations, il anticipe pour la lande cette fois-ci ce que Chambrelent promeut un siècle plus tard, et dont il usurpe, comme Brémontier pour la dune, la paternité afin de s’en attribuer la gloire exclusive.

Persuadé que la fraude prend des proportions considérables sur le bassin d’Arcachon, Guillaume Desbiey plaide en 1777 pour un renforcement des moyens et des effectifs de la Ferme à La Teste auprès de ses supérieurs mais aussi de l’Intendant Dupré de Saint-Maur, mais n’est pas entendu et se retrouve sommé d’alléger les contrôles.

Traîné en justice lors de l’affaire Marie Combes (1777-1784), mis quelque temps en prison, destitué de ses fonctions de receveur-entreposeur puis enfin réhabilité et replacé à son poste de La Teste le 10 juin 1785, il meurt à bout de forces quelques jours plus tard le 22 juin 1785.

 

https://www.gasconha.com/spip.php?article85

https://books.google.fr/books?id=GittQbvkRyoC&pg=PA91&lpg=PA91&dq=%22abb%C3%A9+DESBIEY%22+%22tirer+parti%22&source=bl&ots=zSD4H2XesE&sig=ACfU3U2ren5FMs9RqsOFmkNsM1OUyFm1UA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwijnfGGnZXnAhW2BWMBHe0TAWgQ6AEwAHoECAQQAQ#v=onepage&q=chancelade&f=false

Projet de mise en valeur des Landes, Guillaume Desbiey, 1776

https://www.gasconha.com/spip.php?article85

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A8res_Desbiey

[1] – Souvent attribué à tort à son frère l’abbé Mathieu Desbiey (1734-1817).

[2] – Le jornau est une unité de surface qui diffère d’un endroit à l’autre car elle dépend de la nature du terrain : c’est l’étendue de terrain qu’un homme peut labourer en un jour. D’un tiers à deux tiers d’hectare, en Grande Lande.

Ce champ est nécessaire.

Raphaël

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