Aujourd’hui encore, nous parlons de bateaux, de pinasses et de marins du Bassin. Ce sera aussi l’occasion d’évoquer le souvenir du professeur Jacques Bernard, récemment décédé et qui fut l’un des maîtres de notre histoire locale. Il le fut, notamment, dans ses ouvrages comme « Histoire du Bassin » et dans l’incontournable « Navires et gens de mer à Bordeaux de 1400 à 1550 » dont les précieux renseignements proviennent pour beaucoup d’archives anglaises. Ce qui le qualifie inexorablement pour parler des pinasses. Et savez-vous qu’il ruine complètement quelques hypothèses linguistiques quant à l’origine du mot ? Jacques Bernard révèle qu’on savait réellement peu de choses sur leur nom, jusqu’en … 1988. C’est alors qu’un historien, nommé Michaël Barkham Huxley, qui fouinait dans des actes notariés en a découverts, datant de 1545. Il y a déniché des marchés de construction passés pour des pinasses de vingt tonneaux, des grosses, donc, mais naviguant sur la côte basque. Et on y lit avec étonnement que les dites pinasses sont construites en bois de chêne et de châtaigner ! Ainsi, le nom de la pinasse arcachonnaise ne devrait-il rien au fait qu’elle soit constituée en robuste bois de pin coupé dans la Forêt Usagère testerine ? Voilà donc ce que la vérité historique ferait des plus belles légendes !
Ce qui n’empêche pas des pinasses de naviguer concrètement depuis bien longtemps sur le Bassin, mais ce sont des « pinassottes », beaucoup plus petites que celles des Basques. C’est d’ailleurs pourquoi, l’administration qui a toujours eu besoin d’y voir clair dans ses textes réglementaires, a appelé nos pinassottes des « Tilloles » pour les distinguer de leurs lourdes consœurs du sud. Car, pour pêcher dans l’océan, les marins testerins, gujanais ou autres s’embarquaient, en réalité, sur de grosses chaloupes, longtemps non pontées, puisqu’il y a toujours eu des marins sur le Bassin, dont beaucoup osaient affronter les passes pour gagner l’océan. Où ils ne pêchaient pas la fortune !
Dans un savoureux dialogue avec Charles Daney, un autre de ses grands confrères, paru dans « Arcachon-Magazine », Jacques Bernard les a évoqués ces marins, qui firent d’Arcachon, en 1900, le deuxième port de pêche de France, capable d’envoyer les plus grands navires de pêche à la morue jusque dans les brumes de Terre-Neuve. Tel, en 1932, le fameux « Marcella », le plus moderne et le plus grand du Monde. Le port de pêche d’ Arcachon s’est étendu dans tout le quartier de l’Aiguillon, y créant une véritable zone industrielle, avec des pêcheries-usines, des fabriques de moteurs et de filets, des conserveries de poissons, des ateliers de mécanique, des chantiers navals de toutes tailles, des fabriques de glace, des bistrots en quantité, quelques filles publiques arpentant les ruelles et des filets séchant sur la plage ou s’accumulaient aussi des cordages pourris, des filins rouillés et des baquets disloqués.
Dans des rues taillées au cordeau, autour des petits magasins, bouchers, merceries et épiciers fort nombreux, on voyait souvent voleter des coiffes bretonnes, surtout des basses, venues d’Audierne. Car beaucoup de marins bretons s’étaient exilés, attirés par l’importance des chalutiers et par les bonnes payes qu’on y accordait assez souvent, tandis que leurs femmes faisaient des ménages dans les villas bourgeoises ou servaient dans les restaurants des zones plus huppées de la ville. Car la vie restait dure. D’où cette anecdote racontée à Charles Daney par Jacques Bernard, au sujet d’un vieux marin. « Un jour il m’a dit tout à trac : – Tu sais où il est bien le marin ? Tu sais où il est heureux ? Tu sais quel est son élément, au marin ? Tout fier de moi, j’allais lui répondre : – La mer. Et lui, mettant sa main en biais devant sa bouche de travers, il m’a répondu dans un souffle : – Le marin, son élément, c’est son lit ! »
Décidément, il nous manque beaucoup, Jacques Bernard … Mais point de découragement. Donc, demain, quand même, on vous parlera du pays.
Jean Dubroca