Croquis du Bassin – Le bain en liberté surveillée !

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Tout autour du Bassin, on en a parlé ces jours derniers, le bain de mer forme une tradition, des plus rentables. Dans le Sud-Bassin, leur importateur, en 1823, se nomme François Legallais. Un Normand que le développement à Dieppe de cette pratique, au début du XIXe siècle, a peut-être inspiré. À partir de ce début de siècle, on prête à ce trempage dans les océans bien des vertus médicales. Dès 1805, un médecin, nommé Buchan, a expliqué que, se tremper le corps entier dans l’eau de mer, constitue une véritable thérapie mais  à pratiquer sous surveillance médicale. Car on ne s’immerge point par plaisir mais par nécessité. Il s’agit ainsi de soigner, depuis la migraine ou les névralgies jusqu’aux pires des maladies nerveuses, telles l’hystérie ou la danse de Saint-Guy. On peut aussi ingérer l’eau de mer. Si l’on en glisse seulement deux cuillerées dans un verre de lait, les enfants fébriles s’en trouvent beaucoup mieux. Quant au « Sérum de Quinton », des ampoules d’eau de mer, on l’injecte contre la diarrhée du nourrisson. Et, incontestablement, je les ai vus,  les parqueurs d’autrefois  soignaient leurs rhumes ou leurs sinusites à partir de larges inspirations d’eau du Bassin qu’ils déposaient d’abord au creux de la main.

Cependant, pour être vraiment efficace, le bain de mer idéal doit  être pris chaud. D’où le développement de la livraison à domicile du produit « ad-hoc » ou dans les hôtels et établissements spécialisés. Tel à Gujan, celui de l’officier de santé Pierre Daney qui, depuis 1844, concurrence Legallais à Eyrac. Particularité des installations gujanaises : on accède à des cabines en bois,  alignées sur des pilotis dominant la vasière, par une longue mais étroite passerelle. À Eyrac, l’absence de boue et la présence continue de l’eau ne peuvent cependant que dévaloriser les établissements gujanais.

Une photo fort connue représente les « Bains d’Arcachon », en 1900. Elle montre une imposante construction surélevée, à toiture à multiples pans, surmontant un étage ouvert  sur une galerie et dominant la plage de sa haute cheminée. En lettres énormes, on peut lire qu’on dispense là des bains chauds mais aussi des bains sulfureux et minéraux et à la rigueur de simples bains de pieds. On y trouve, évidemment, des bains froids, bien moins efficaces car annoncés en beaucoup plus petits caractères, pour lesquels on peut louer des costumes et des cabines.

Car la cabine de bains constitue l’élément le plus indispensable du bain de mer. Bien que la cabine ici, ne prenne pas l’importance qu’on lui trouve encore aujourd’hui sur des plages bretonnes ou normandes, on en construit tout de même, rarement sur la plage trop réduite, mais, le plus souvent, dans les étroits passages urbains très officiellement insérés entre les villas. On trouve encore quelques rares spécimens de ces constructions au bout d’une ruelle du Moulleau qu’il faudrait classer comme monuments historiques ! Vers 1860, on pousse le luxe jusqu’à inventer des cabines hippomobiles pour amener les baigneurs au ras de l’eau, par marée basse. Tout est prévu pour leur  confort et aussi pour protéger leur pudeur, un souci essentiel des édiles. Comme, entre 1858 et 1864, on passe de 6 308 baigneurs à 11 000,  des mesures de protection de la morale publique s’imposent.

Dès le 15 juillet 1847, le maire de La Teste, Jean Hameau,  prend un arrêté énergique, cité par Robert Aufan : « Les hommes se baignant seront vêtus d’un pantalon long et ils se tiendront éloignés du lieu où sont les dames. Ils devront se déshabiller et s’habiller dans les cabanes disposées le long de la plage et si quelque motif nécessitait qu’ils se déshabillassent dans leurs appartements, ils devront se couvrir le corps d’une chemise de laine (…) pour arriver aux dites cabanes. Les dames, pour aller au bain ou pour se baigner, devront être vêtues d’un grand peignoir tombant jusqu’aux talons ». Quant à l’article sept, il précise bien : « Il est défendu à tout baigneur de l’un et l’autre sexe de proférer des paroles et de faire des gestes indécents dans le bain et sur la plage ». Arcachon indépendant reste aussi rigide que sa voisine sur les bonnes mœurs. Le 24 juillet 1857, Lamarque de Plaisance arrête : « II est défendu de se baigner sans être revêtu, à savoir, les hommes d’un costume entier couvrant le corps depuis le cou jusqu’aux talons (…) les femmes d’une robe descendant jusqu’aux talons ou bien d’une robe courte mais avec pantalon. Les étoffes des costumes de bain (…) devront être de couleur foncée ».

Le corps médical surveille de près les bains de mer. Selon le docteur Rocca, cité par Robert Fleury : « il faut s’y livrer avec d’infinies précautions et faire très attention au frisson secondaire qui survient au bout de cinq à dix minutes et surtout se couvrir d’un chapeau de paille à larges bords.» Le soleil, voilà l’ennemi ! Quant à  notre éminent docteur Lalesque, il  préconise des bains froids dans une eau de mer à la température de vingt à vingt-cinq degrés centigrades, de juin à octobre. Ce même bon docteur note que les algues peuvent fortifier les poitrines délicates mais en prenant un grand luxe de précautions : « Ne vous baignez pas quand vous avez trop chaud, attendez quatre heures après avoir mangé, renoncez à l’usage du bonnet de taffetas qui cause des névralgies, mouillez-vous la tête avant d’entrer dans l’eau et surtout n’y restez pas immobile. » Les conseils, on l’entend, ne manquent pas, ni en nombre, ni en qualité. Il y va de la survie du baigneur !

Jean Dubroca

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