Croquis du Bassin – Des mots pour cuisiner

Imprimer cet article Imprimer cet article

Nous poursuivons aujourd’hui la chasse aux mots du langage bordeluche dans un domaine sans lequel il n’y a pas de véritable civilisation : la cuisine. Alors, là, le bordeluche est particulièrement nuancé et parfaitement intarissable. Si bien qu’on ne peut tenter qu’une incursion à travers un vocabulaire aussi raffiné qu’une  lamproie à la bordelaise, qu’une omelette à l’alose parfumée à « l’aillet » ou qu’un joli « mourguain », une grosse anguille que cuisine si bien Geneviève, en son estaminet du port d’Audenge.

Il fut un temps où « quand l’estomac demande », la base d’un casse-croûte ou même d’un petit déjeuner un peu dignes, restait la « tripote », c’est à dire la tripe de veau, longtemps vendue par des marchands ambulants dans les rues de Bordeaux. A ne surtout pas confondre avec les « tricandilles », des tripes de porcs qui se mangent grillées. Pour « faire quatre heures », les enfants se régalaient d’une « frottée à l’ail » : une croûte de « miche » sur laquelle on raclait une grosse gousse d’ail, puis on salait et on graissait le tout d’une bonne lampée d’huile ou d’ un morceau gras de « ventrèche », encore qu’il faille l’économiser et utiliser plutôt de «  l’onture », du lard conservé pour faire la soupe. On dit aussi du « rance ». Évidemment, ça ne valait pas un « choine » à la blanche mie ou un « petit pain de La Teste », légèrement parfumé à l’anis. Mme Boyosse, vous voulez intervenir ?

– « La frottée à l’ail c’est très bon pour tuer les vers ! Parce que vous savez, quand les « droles ont les vers », ils n’arrêtent pas de « canuler » tout le monde jusqu’à ce qu’on leur mette une grosse « taloche ».

On s’égare, on s’égare ! Restons du côté de la viande parce que  le bordeluche a aussi beaucoup de mots bien à lui. « L’aiguillette », c’est du plat de côte, alors que le « câprin » désigne le dessus de côte. Pour les sauces, on choisit de la « ganure », un morceau du cou du bœuf. Quand on veut se régaler, on demande au boucher un morceau « derrière le penon », c’est de la bavette d’aloyau. Le « merlan » se coupe dans l’entame et « l’osseline » dans la hampe. Cependant, le met de roi reste « l’entrecôte à la bordelaise », un morceau épais de belle qualité –attention que le boucher ne vous « estampe » pas en vous vendant de la « demingue ». On fait griller l’entrecôte  sur deux fagots de sarments de vigne et on la parfume d’échalotes hachées, d’un peu d’huile, de moelle de bœuf ou de vin rouge, mais les puristes ne sont pas d’accord sur l’ajout de ces ingrédients. De toute façon, avec ça, on « se fout un bon fond ». Il faudrait aussi parler de « l’ouverture », de « la palanque » ou de « l’osseline ».

Pour ce qui est du veau, on se fait tailler une assez épaisse tranche de maigre ou de foie frais que l’on fait griller sur des braises. C’est la « carbonnade ».

– « Moi, si la veux fine et taillée dans la noix, comme une escalope, je demande  une « émincée ».

– Très bien, très bien, Mme Latestude. Mais laissez-moi finir ! Quant au porc, on se régale de ses « coustilles », de toutes petites côtes, ou bien de « grattons », des sortes de rillettes avec de gros morceau de viande maigre, une spécialité de Lormont.

Évidemment, les plus pauvres ont dû longtemps se contenter de la « soupe de Jésus » : un peu d’ail et rien dessus. Et même faire la « sauce pauvre-homme », rien que des oignons et des patates. Beaucoup plus consistante est « la soupe de maçon » que l’on « trempe » sur de larges tranches de « miches ». Après quoi, on peut « faire chabrot », déguster une lampée de vin rouge versée au fond de l’assiette à bords relevés, encore chaude.

Mme Boyosse, encore vous. Qu’est-ce que vous avez encore à dire ?

– « Moi, je veux dire que quand la soupe elle est « au grondin », c’est que le ménage va mal. Alors la femme devient « roupiague », son mari « clume »  et alors, le soir, ça finit à « l’hôtel de tourne-cul ».

– Bon, soyons sérieux, c’est une radio sérieuse, ici. Alors : il peut être blanchi avec un oeuf, parfumé à la tomate ou  à l’ail : c’est « le tourin », une soupe à l’oignon. Voilà maintenant que c’est Mme Latestude qui interrompt l’émission.

– «  Mais, mon drôle, tu ne sais pas qu’autrefois toute la noce apportait le tourin dans un pot de chambre, aux jeunes mariés, dans leur lit conjugal. C’était en guise de vœu de fécondité. On savait rire, quand j’étais jeune ! Enfin, moi ma soupe préférée c’est celle au camajot, un bout de jarret de jambon que tu mets avec des légumes et …».

   – C’est fini, oui ? Alors, parlons de poissons et de coquillages, car un flot de mots les désignent. « Les troques », ce sont de fins éperlans du Bassin.

Mme Boyosse, on vous écoute :

– « Moi, les troques, je me les choisis petites et je me les fais frire  en les enfilant par les  yeux sur une paille de balai. Comme une brochette. Qu’est-ce que c’est bon ! »

 Et sur les sardines, vous avez quelque chose à dire ? Non ? Toujours à Arcachon, les sardines ce sont des « royans ».

– Mme Boyosse, dépêchez-vous, on n’a que six minutes.

– « Moi, je veux dire que les petits royans, je me les découpe en filets et je me les mange tout crus. Et c’est autre chose que les « sardines de baril », pleines de sel qu’on trouvait dans les épiceries à Bordeaux. Mais tu n’achetais pas ça chez Potin. Moi, quand j’allais aux vendanges, ils nous nourrissaient avec ça ! Tu te rends compte si on pouvait avoir soif ! » Bien meilleur est le « mule » …

– « Moi, je le fais froid, avec une sauce vinaigrette ».

 

– Mais taisez-vous donc un peu. Alors, il y a aussi  le « merlus », c’est le colin des Parisiens. Quant à « la loubine », le nom local du bar tacheté, on la pêche aux beaux jours. Nous avons aussi le « grondin », le « pirelon » qui a donné son nom au quartier Saint Ferdinand et même le « tacaud » que l’on s’arrachait durant la disette de la guerre, pendant que l’Occupant s’occupait à déguster nos soles et nos « vendangeurs », ces délicieux petits rougets du Bassin pêchés en septembre. Et le « risteou », qui saute hors de l’eau les soirs d’été. Sans oublier le « coustut », un naïf qui se laisse facilement prendre à la ligne. Quant à la « sipe », la seiche, bien cuisinée en petits carrés dans une sauce à la tomate, elle fond dans la bouche. Au rayon des coquillages locaux …

– « Hé bé mon drole, tu oublies le principal : la soupe de poisson, la vraie, la nôtre, celle où tu mets pas de tomates, c’est de la soupe blanche. Moi j’y mets … »

– Mme Latestude, vous en parlerez après. On n’a plus le temps. Revenons-en à nos coquillages. on trouve le « petoncle », le « lavagnon », « le coutoye », « la clanque », bien coriace, que l’on pêche au plus profond de la vase du fond du Bassin. Beaucoup plus recherché, le « clovisse », nom local de la palourde. Quant aux moules on les a longtemps ici appelés les « charrons », du nom ….

– « Hé, petit : t’as vu l’heure ? Pasqu’à force que tu bavasses comme une agasse, tu vas nous mettre en retard et comme nous, y faut encore qu’on aille gringonner à la maison et qu’on demeure pas là, on s’en va, pour être d’attaque demain. »

Ce champ est nécessaire.

Aimé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *