1570 – La Vraye et entière description du royaulme de France, Postel Guillaume (1510-1581) – Anchises & Gascongne et l’importance de répandre la connaissance de l’arabe

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Guillaume Postel est né le 25 mars 1510 dans le hameau de la Dolerie sur la paroisse de Barenton (dans le diocèse d’Avranches) ; selon ses anciens biographes, il s’est éteint le 6 septembre 1581, à Paris, mais il semble qu’il soit plutôt mort dans la ferme qu’il possède à Trappes. C’est un orientaliste, philologue et théosophe français de confession catholique ; esprit universel et cosmopolite, Postel est le représentant français le plus caractéristique de la kabbale chrétienne.

Ses parents meurent de la peste quand il a huit ans. Très précoce, il commence à enseigner à l’âge de treize ans à Sagy afin de payer son voyage vers Paris. Mais dès son arrivée dans la capitale, un malfaiteur lui vole son argent et ses vêtements. Il tombe gravement malade, avec de la diarrhée saignante, et reste dix-huit mois à l’hôpital. Puis, il travaille comme ouvrier agricole dans la Beauce pour pouvoir à nouveau payer ses études. Il s’inscrit au collège Sainte-Barbe, où il entre au service du professeur espagnol Jean Gelida[1], qui enseigne l’Organon d’Aristote selon les méthodes scolastiques les plus traditionnelles. Mais après la publication de son traité De quinque universalibus (1527), Gelida est persuadé par Lefèvre d’Étaples de l’inanité de son enseignement ; il se remet alors totalement en question et reprend ses études sous la direction du jeune Postel. Le collège Sainte-Barbe est alors très fréquenté par des Espagnols et des Portugais ; il est d’ailleurs en partie financé par le roi de Portugal pour la formation de missionnaires envoyés en Amérique et aux Indes. Postel y apprend le latin et le grec, mais aussi l’espagnol et le portugais, et se passionne pour la géographie et les Grandes Découvertes. Ignace de Loyola, à Paris depuis février 1528, étudie à Sainte-Barbe à partir de 1529 ; c’est là qu’il rencontre Pierre Favre et François Xavier et que se constitue le groupe qui va fonder la Compagnie de Jésus en août 1534. Postel est proche de ces hommes, dont il partage les aspirations mystiques, l’exigence de réforme de l’Église et le goût pour les missions lointaines et l’étude des langues orientales. Postel commence très vite à étudier l’hébreu : il se procure, auprès de Juifs de la capitale, un alphabet, une grammaire (soit celle de Johannes Reuchlin, publiée à Pforzheim en 1506, soit celle de François Tissard, publiée à Paris en 1508) et un Psautier polyglotte (soit celui de Johannes Potken, publié à Cologne en 1518, et qui donne le latin, le grec, l’hébreu et le ge’ez[2], soit celui d’Agostino Giustiniani, publié à Gênes à 1516, avec l’hébreu, le grec, l’arabe et des commentaires en judéo-araméen, qu’il possède en tout cas en 1533, puisqu’il commence à y apprendre l’arabe). À partir de 1530, il peut suivre les cours d’hébreu de François Vatable au collège des lecteurs royaux qui vient d’être fondé. En 1539, Postel reçoit la troisième chaire de mathématiques et de langues orientales. Il prend dans plusieurs de ses ouvrages le titre de mathematicorum et peregrinarum linguarum regius interpres.

En 1535, distingué notamment par Marguerite de Navarre, Postel accompagne Jean de la Forest, ambassadeur du roi François Ier à Constantinople. C’est son premier voyage en Orient (1535/37). On ne connaît pas avec précision son itinéraire, mais on sait qu’il séjourne à Tunis, Constantinople, mais aussi en Syrie et en Égypte. Il est spécialement chargé d’obtenir, du Grand vizir Pargali Ibrahim Pacha, la restitution de l’argent d’un négociant français originaire de Tours qui est mort à Alger, mais la disgrâce et l’exécution imprévue du vizir fait échouer cette mission. Il doit également rapporter des livres orientaux pour la bibliothèque du roi. Pendant ce voyage, il perfectionne son arabe, qu’il parle désormais couramment, et se met au turc. Il racontera plus tard que l’homme qui lui apprenait l’arabe dans le Coran en choisissant des passages en rapport avec le christianisme lui a finalement avoué être un crypto-chrétien comme des milliers d’autres, qui attendent de l’Occident qu’on leur envoie des bibles imprimées en arabe. Cet épisode renforce le zèle missionnaire de Postel, persuadé de l’existence d’un substrat chrétien dans l’islam et les autres religions orientales.

Il est de retour à Venise, venant de Constantinople, en juillet 1537. Il y rencontre Daniel Bomberg, imprimeur spécialiste de l’édition de livres en hébreu, qui lui montre son installation et aussi des manuscrits rares, dont un Nouveau Testament en syriaque. Postel peut en retour lui montrer les livres et autres trésors d’Orient qu’il rapporte pour François Ier, mais aussi un livre cabbalistique en hébreu qu’il a trouvé à Constantinople et dont il fait grand cas. Il fait alors aussi la connaissance de Teseo Ambrogio degli Albonesi, qui connaît plusieurs langues orientales, notamment le syriaque et l’arménien, et a rassemblé une importante documentation sur trente-huit alphabets orientaux différents (pour une large part imaginaires, d’origine magique ou cabbalistique) ; il prépare une publication pour laquelle il a fait fabriquer des caractères typographiques syriaques et arméniens, les premiers ayant existé dans ces alphabets. Postel est passionné par ces travaux, et forme alors le projet de réaliser des éditions imprimées des Évangiles, non seulement en arabe, mais en syriaque et dans d’autres langues orientales.

Postel quitte Venise pour Paris le 9 août 1537 ; ses grandes connaissances linguistiques et son expérience de l’Orient le font désormais admettre dans le cercle des humanistes qui entourent le roi. En 1538, il est nommé lecteur royal pour les langues orientales autres que l’hébreu (qu’enseigne toujours François Vatable). Il publie un livre sur douze alphabets orientaux (Linguarum duodecim characteribus differentium alphabeta. Introductio ac legendi modus longe facillimus, mars 1538), avec des reproductions en gravures, qui lui attire un reproche d’indélicatesse et de plagiat de la part de Teseo Ambrogio. Le même mois paraît aussi De originibus, seu de Hebraica lingua, et un peu plus tard la Grammatica arabica (avec des caractères arabes quasiment illisibles).

Postel approuve les tendances humanistes et réformistes de François Ier (qui a caressé l’idée de faire d’Érasme son confesseur), et fait partie des opposants aux tendances très réactionnaires de la Sorbonne. Ayant en tête un projet de réconciliation universelle sous l’égide d’un christianisme que tous reconnaîtraient comme la vérité sous-jacente de toutes les religions, il affirme à la fois l’importance de répandre la connaissance de l’arabe (langue d’une grande partie du monde) et des autres langues orientales en Occident, et de diffuser l’Évangile en Orient par des éditions imprimées. Il est proche du chancelier Guillaume Poyet, dont il reçoit d’importantes faveurs, mais ce ministre, à la suite d’intrigues politiques, est disgracié et embastillé en 1542. Entraîné par cette chute, Postel perd sa chaire au collège des lecteurs royaux fin 1542. Il publie alors un texte sur la proximité qu’il voit entre l’islam et le protestantisme (Alcorani, seu legis Mahometi, et Evangelistarum concordiæ liber, 1543), mais ce n’est qu’une partie d’un livre plus général intitulé De orbis terræ concordia, qui montre comment le judaïsme et l’islam peuvent se fondre dans le christianisme. Cet ouvrage est censuré par la Sorbonne et ne peut paraître qu’à Bâle en 1544 (avec les passages anti-protestants expurgés). Postel ne trouve plus aucun soutien auprès de François Ier. Se voyant réduit à l’impuissance à Paris, il rejoint Loyola et les jésuites à Rome ; ayant voyagé à pied jusqu’à Rome, il y entre dans la Compagnie de Jésus comme novice en mars 1544. Mais le bouillonnement de ses idées, auxquelles il essaie de gagner Ignace de Loyola, n’est guère adapté à la discipline de la compagnie : il envisage l’instauration d’une monarchie universelle dont le roi de France serait le titulaire, et veut faire transférer à nouveau la papauté en France. Bien que de comportement humble et religieux, il est incapable de s’abstenir de vaticinations (prédictions) en public, ce qui est source d’embarras et de scandale. Il est renvoyé du noviciat au bout de moins de deux ans (9 décembre 1545), mais reste encore à Rome pendant quelques mois, jusqu’au printemps 1546. Il y fait la connaissance, entre autres, de l’hébraïsant flamand Andreas Maes, avec qui il poursuit son initiation à la Kabbale et lit le Livre d’Hénoch (en ge’ez avec l’aide d’un prêtre éthiopien), et à qui il enseigne l’arabe.

En 1547, Postel se trouve à Venise où il travaille sur une traduction en latin du Zohar et du Bahir. Il y rencontre une religieuse, mère Jeanne (ou « Zuana »), qui a fondé des hospices pour les pauvres, d’abord à Padoue, ensuite à Venise près du monastère Saints-Jean-et-Paul, et qui prétend avoir des visions d’origine divine. Elle demande à Postel d’être son confesseur et directeur spirituel, et il s’enthousiasme pour elle, la considère comme une prophétesse, et n’hésite pas à l’appeler « la nouvelle Ève mère du monde ». Cette rencontre entre deux exaltés est à l’origine d’un étrange messianisme, d’essence sophianique : spirituellement proche du grand kabbaliste juif Isaac Louria, Postel professe, en conformité avec le Zohar, qu’il y a deux messies. L’esprit féminin de l’homme, qu’il nomme (le premier) anima, compromis par le péché d’Ève et n’ayant pas fait l’objet de la rédemption du Christ, doit être sauvé par un messie femme, incarnation de l’âme du monde (la Sophia, identifiée à mère Jeanne).

En 1549, avec l’appui de l’imprimeur Daniel Bomberg, Postel entreprend son deuxième voyage en Orient, se rendant notamment à Jérusalem (lettre à Andreas Maes écrite au monastère du Mont Sion le 21 août 1549), en Égypte et à Constantinople (lettre au même datée du 10 juin 1550, où il annonce qu’il vient de recopier un Nouveau Testament en syriaque), et se joignant à la suite de Gabriel de Luetz, seigneur d’Aramon, ambassadeur du roi Henri II auprès du sultan. À la fin de l’année 1550, Postel est de retour à Venise, avec de nouveaux trésors rapportés d’Orient. Daniel Bomberg est alors mort, mais c’est dans sa maison qu’il rencontre Moïse de Mardin, un prêtre syrien envoyé en Occident par le patriarche jacobite, avec des manuscrits, pour réaliser l’impression du Nouveau Testament en syriaque. Les deux hommes étudient ensemble les textes qu’ils possèdent l’un et l’autre. Le projet de Moïse de Mardin est caressé aussi par Postel depuis des années (dans une lettre à Andreas Maes du 22 janvier 1547, il parlait d’une édition bilingue syriaque-arabe), mais il n’a toujours pas les caractères typographiques (en avril 1555, il se rendra à Pavie pour essayer de récupérer ceux de Teseo Ambrogio). Durant l’un de ses séjours à Venise, Postel aurait servi de secrétaire à un groupe de quatre érudits qui se réunissaient deux fois par semaine pour discuter des mérites respectifs des diverses religions. Les notes prises à cette occasion auraient servi à Jean Bodin pour la rédaction du Colloquium heptaplomeres.

Au début de 1552, Postel regagne Paris avec une étape à Dijon. Il est accueilli avec beaucoup d’intérêt à la cour et dans le milieu humaniste de la capitale, mais on ne lui rend pas sa chaire au collège des lecteurs royaux. Il se met à enseigner au collège des Lombards, en y mêlant ses prêches politico-religieux et mystiques, avec beaucoup de succès d’ailleurs, jusqu’à ce que son enseignement soit interdit. Il quitte à nouveau Paris en mai 1553, et avec des étapes à Dijon et à Besançon se rend à Bâle. Dans cette ville, il rencontre notamment Caspar Schwenckfeld von Ossig, Sébastien Castellion et David Joris. Il est de retour à Venise en août 1553. Michel Servet, arrêté à Genève le 13 août, est brûlé vif par les calvinistes le 27 octobre ; Postel réagit par une Apologia pro Serveto, à laquelle Calvin répond par une Defensio contra Servetum. Il poursuit d’autre part dans sa veine mystique et prophétique : la mère Jeanne étant morte (le 29 août 1550, avant le retour de Postel d’Orient), il est alors convaincu qu’elle a pris possession de son « corps spirituel » (le 6 janvier 1552, jour de son « Immutation »), et il prétend avoir des visions annonciatrices de la fin du monde. Il consacre deux livres à la mystique : Les très merveilleuses victoires des femmes du nouveau monde et La vergine venetiana. À la fin de 1553, il est informé que Moïse de Mardin a gagné Vienne à l’invitation de Johann Albrecht Widmannstetter, chancelier d’Autriche et lui-même orientaliste. Le roi Ferdinand de Habsbourg, frère de l’empereur Charles Quint, a été persuadé de financer l’édition du Nouveau Testament syriaque, dont plusieurs centaines d’exemplaires doivent être envoyés aux Églises du Proche-Orient. Postel les rejoint alors à Vienne avec son manuscrit et participe à leurs travaux, qui réalisent un de ses projets. Il est nommé professeur à l’Université de la capitale autrichienne, mais n’y reste que quelques mois (l’ouvrage sortira en 1555). À Venise, ses écrits ont été attaqués pour hérésie, et il y retourne en mai 1554 pour se défendre. Son procès devant l’Inquisition de Venise se termine en 1555 par la condamnation de ses livres, mais lui-même n’est pas personnellement qualifié d’hérétique, mais de fou (amens), et il est laissé en liberté. Mais peu après, s’étant rendu à Ravenne, dans les États de l’Église, il est arrêté à cause d’un autre livre et transféré à Rome, où il croupit pendant quatre ans dans la prison de Ripetta, où sont enfermés les hérétiques. Le pape régnant, Paul IV, est très sectaire et violent contre les Protestants et les Juifs, et d’autre part, en septembre 1553, l’Inquisition romaine a fait brûler le Talmud sur le Campo de’ Fiori ; les accusations contre les « blasphèmes » des écrits juifs ont repris vigueur, et les chrétiens hébraïsants, comme Postel ou Andreas Maes, sont tenus en suspicion. À la mort de Paul IV (18 août 1559), la foule en liesse met le feu au palais de l’Inquisition et libère tous les prisonniers. Postel connaît alors, pendant trois ans, une période d’errance : il est signalé successivement à Bâle, puis à Venise, puis à Augsbourg, puis à Lyon. En 1562, il est de retour à Paris, alors en proie aux troubles de la première guerre de religion. Il y poursuit ses prêches d’illuminé, qui se réfèrent toujours à la Mère Jeanne, et en 1563, considéré comme fou, il est interné au cloître de Saint-Martin-des-Champs. Il y reprend ses savants travaux, et sollicite du roi Philippe II d’Espagne des subsides pour financer une édition du Nouveau Testament en arabe. Il est question un temps d’intégrer cette version dans la Bible polyglotte d’Anvers de Christophe Plantin (patronnée par le roi d’Espagne), mais finalement ça ne se fera pas. Postel n’en joue pas moins un rôle important dans cette entreprise éditoriale, consulté par Plantin pour la taille des caractères typographiques, et aussi par l’entremise de son disciple Guy Le Fèvre de La Boderie.

L’histoire du « miracle de Laon » (l’exorcisme de la possédée Nicole Aubry, en janvier 1566, qui relance le conflit entre catholiques et protestants) le passionne : les faits lui sont rapportés par son disciple Jean Boulaese, et sous le pseudonyme de Petrus Anusius il publie une brochure apocalyptique en quatre langues (latin, français, italien, espagnol), De summopere considerando miraculo victoriæ Christi ou Le Miracle de Laon représenté au vif ; l’événement lui semble annoncer la fin de l’empire du mal, la conversion des infidèles et l’avènement de la monarchie chrétienne universelle, concept dans lequel il associe désormais les rois de France et d’Espagne. Cette publication lui vaut une ordonnance formelle de détention par le Parlement de Paris. En 1570, il publie

« La Vraye et entière description du royaulme de France et ses confins, avec l’addresse des chemins et distances aux villes inscrites ès provinces d’iceluy »

On y voit la Gascongne, et trouve Anchises à la latitude d’Arcachon

Il ne passe cependant pas le reste de sa vie cantonné à Saint-Martin-des-Champs, et il semble qu’il soit en fait mort dans la ferme qu’il possédait à Trappes, oublié de tous.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guillaume_Postel

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550051699.r=postel?rk=64378;0

[1] – Jean Gelida, né à Valence, mort le 19 juin 1558 à Bordeaux, « âgé de plus de soixante ans », est un philosophe catalan qui a été professeur du collège Saint-Barbe puis principal du collège de Guyenne. Il a formé au grec ancien et à la philosophie d’Aristote nombre d’érudits de la Renaissance, tels Guillaume Postel, Élie Vinet et Jules César Scaliger.

[2] – Le ge’ez appelé éthiopien ancien ou classique, est une ancienne langue chamito-sémitique de la famille des langues sémitiques

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Raphaël

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