Croquis en ce jour, de la forêt de Brocéliande. Ou de ce qui y ressemble beaucoup : la forêt usagère testerine. S’il n’y rode pas quelque enchanteur comme Merlin, il s’y dessine bien des histoires à commencer par celle d’un seigneur moyenâgeux, Jean-François de Grailly. Défait en 1453, lors de la dernière bataille de la guerre de cent ans où il combattait aux côtés de l’Anglais Talbot, blessé, exilé, ruiné, il ne doit qu’à la finesse politique de Louis XI de récupérer son captalat de Buch, d’ailleurs en aussi mauvais état que son seigneur.
Lorsqu’il y revient, il ne trouve que quarante maisons habitables dans le bourg de son fief. Il juge les habitants si pauvres et si maigres qu’afin de ne point les achever, il leur accorde des droits d’usage dans la forêt, notamment celui d’user du bois seigneurial et de certaines glanes. Au XVIe siècle, lors de temps moins troublés, se met en place une organisation de la forêt usagère qui est venue jusqu’à nous, avec quelques transactions circonstancielles, âprement disputées. C’est l’objet de successives “baillettes”, complexes car elles se rattachent au droit coutumier le plus authentique mêlé au droit écrit.
Aujourd’hui, les 3 800 hectares de cette forêt, pilier de la tradition testerine, monument historique d’un pays qui en possède si peu d’autres, la forêt usagère appartient à environ cent quarante propriétaires, bien difficiles à identifier pour certains. Ils possèdent le sol et les arbres qui s’y trouvent et ont conservé de tous temps le droit d’en tirer la résine. Quant aux manants, à condition qu’ils résident depuis dix ans sur le territoire communal, ils ont notamment droit, sous l’autorité de quatre syndics, d’utiliser des arbres vifs pour des travaux immobiliers tandis qu’ils peuvent dépouiller les arbres morts pour le chauffage. C’est dire si cette forêt naturelles représente un extraordinaire et vivant document historique qui permet aujourd’hui de comprendre comment et pourquoi elle a constitué un des éléments de la richesse du captalat de Buch en produisant l’or noir d’une longue période : la résine.
Sans doute unique en France dans son mode de fonctionnement qui, aujourd’hui, a trouvé un certain mais fragile équilibre, la forêt usagère testerine s’étend au sud-ouest de la ville, de la dune du Pilat au lac de Cazaux et peut être facilement aperçue à partir des quatre routes qui la bordent ou qui la traversent. Mais attention, pour aller plus loin que les zone proches des chemins, il vaut mieux partir avec quelqu’un connaissant les lieux. Mais alors, quelle étonnante promenade à travers des endroits figés dans le temps et baptisés Crabeyron, les Républicains ou La Truque ! Le soleil gris éclaire par taches irrégulières une étendue vivante aux teintes mordorées. Des pins, plantés au hasard des coups de vent, s’accrochent irrégulièrement aux courbes fantasques et tourmentées des sept reliefs de dunes. Un arbre mort barre le sentier car, pour l’heure, des plans de régénération durables adaptés à la situation particulière du massif s’appliquent difficilement. L’obstacle dépassé, on marche entre des pins de toutes tailles, comme sculptés par des divinités forestières qui les accompagnent depuis la nuit des temps. C’est là que nous rencontrerons le dernier résinier de la forêt usagère.
Jean Dubroca