Ferdinand-Marie Victor-Louis Guyot de Salins 1859-1883

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À proximité de « La Forestière[1] » au Cap Ferret, s’élève un petit monument en mémoire de Ferdinand Guyot de Salins, inspecteur adjoint des forêts à Arès, lieutenant aux chasseurs forestiers. L’histoire retient l’héroïsme dont il a fait preuve, au péril de sa propre vie, en portant secours à son brigadier Louis Popis lors du naufrage de leur bateau en 1883. Des quatre hommes présents sur la baleinière ce jour-là, seuls deux en réchappent, les gardes Ducamin et Bousquet. Salins et Popis disparaissent sous les flots.

Le 16 octobre 1883, après une tournée de service au cap Ferret, M. Ferdinand de Salins, viennent de s’embarquer avec trois préposés, MM. Popis, brigadier, Ducamin et Jean Bousquet, gardes, sur le bateau du service des dunes pour regagner Arès. La mer est houleuse et le vent souffle avec violence. Pendant l’appareillage, la drisse qui retient la voile rompt brusquement ; l’intrépide Salins, se dévouant au salut commun, n’hésite pas à grimper au mât pour réparer l’avarie, mais le poids de son corps fait basculer la barque dans laquelle l’eau se précipite, et les trois préposés, dont aucun ne sait nager, n’ont que le temps de se cramponner à la quille de l’embarcation renversée sur laquelle leur jeune chef vient bientôt les rejoindre. Le naufrage a lieu assez près du rivage pour que les cris d’alarme puissent être entendus, et tout laisse espérer un prompt secours : malheureusement, le brigadier Popis, affaibli par les fièvres paludéennes, à bout d’énergie, lâche l’appui qu’il a saisi comme ses compagnons d’infortune et disparaît, entraîné par la lame. C’est alors que notre héroïque inspecteur adjoint qui, excellent nageur, veille d’un œil anxieux au salut de ses hommes, quitte spontanément à son tour la quille protectrice pour essayer d’arracher à la noyade son malheureux brigadier. Il ne doute pas du succès de son entreprise. « Tenez-vous bien à moi brigadier, je vous sauverai ». Telles sont les émouvantes paroles qui retentissent aux oreilles des gardes Ducamin et Bousquet et leur signalent pour la dernière fois la présence de leur jeune chef au milieu d’eux. Quelques instants après, les flots engloutissent les deux malheureuses victimes.

Une demi-heure plus tard, les deux gardes, plus heureux que leurs supérieurs, sont recueillis par une embarcation que M. Lesca, conseiller général de la Gironde, dont la villa est proche, a envoyée au secours des naufragés dès que leurs cris ont été perçus : Maxime Bordelais, garde-réservoir, court à la villa, et avec le concours de François Dubos, marin, et de Lucine et Darriet, résiniers au service de Lesca, mettent une embarcation à l’eau et sauvent Ducamin et Bousquet.

Le corps du brigadier Popis sera rejeté à la pointe du Cap Ferret, le 4 novembre 1883.

Pendant près de cinq mois, la population d’Arès et des villages voisins ne cesse de rechercher le corps de la dernière victime. L’Administration forestière procède à de nombreuses recherches à l’aide de grands filets traînés attachés à des embarcations. Ces opérations sont dirigées par un marin expérimenté, Daney, plus connu sous le nom de Bélisaire.

Nous n’essaierons pas de décrire le désespoir des parents de notre infortuné inspecteur adjoint ; il n’est pas d’expression pour rendre de telles douleurs. M. de Salins père, arrive à Arès au lendemain de la terrible catastrophe, et fait célébrer, dans l’église de cette commune, un service funèbre auquel M. le Conservateur et tous les agents forestiers du département assistent officiellement, ainsi que M. l’Inspecteur divisionnaire des douanes de la Teste. Ce dernier, pour témoigner encore plus de sa profonde sympathie, met à la disposition de M. le Conservateur un certain nombre de ses préposés pour former avec les préposés forestiers du cantonnement, le piquet d’honneur qui est commandé par M. le garde général Gence, officier des chasseurs forestiers. Il est superflu d’ajouter que l’église d’Arès est remplie d’une foule émue et recueillie, et qu’une réelle tristesse est empreinte sur tous les visages. À cette triste cérémonie, M. le Curé d’Arès, l’abbé Bahougne, qui connaissait et aimait particulièrement Ferdinand, adresse à la nombreuse assistance, venue pour témoigner de son admiration pour le héros qui n’est plus, les paroles suivantes :

 Mes bien chers Frères.

 Suivant le désir du vénérable père du cher et regretté M. Ferdinand Guyot de Salins, je recommande à vos prières son fils et le brigadier Popis ; j’offre, pour le repos de leurs âmes, le saint Sacrifice de la Messe.

 Grâce à Dieu, l’un et l’autre ont été des modèles de vertu et de piété chrétienne.

 Le brigadier Popis comptait vingt-sept années de bons et loyaux services. Il laisse trois enfants en bas-âge et une veuve désolée qui trouvera, nous l’espérons, de grandes consolations dans sa foi et dans sa piété.

 Quant à notre cher Ferdinand de Salins, l’immense douleur et la profonde délicatesse de son père me défendent de vous rappeler ses belles et rares qualités. Vous vous souvenez de sa conduite loyale et franchement chrétienne : il a été héroïque dans sa mort en voulant sauver la vie de son brigadier.

 Faites, mon Dieu ! que l’exemple de ses vertus reste gravé dans le souvenir de tous ceux qui l’ont connu.

 Au nom de sa pieuse famille, au nom de l’affection que vous lui portiez, priez pour lui en ce moment. Son âme si généreuse intercédera pour vous dans le Ciel, où je désire que, tous, nous le retrouvions un jour.

Il est impossible de citer tous les témoignages d’estime, d’admiration et d’affection qui parvinrent au père de Ferdinand de Salins.

Dans la nuit du 11 au 12 mars 1884, une tempête semblable à celle qui a causé le naufrage souffle sur le Bassin. Elle dégage le corps de Ferdinand Guyot de Salins enseveli sous le sable. Il est finalement retrouvé par des pêcheurs d’Arès, flottant sur le Bassin d’Arcachon. Il avait pu se débarrasser de ses vêtements les plus lourds. On a retrouvé sur lui son chapelet et une médaille d’or au cou. Sa mère a succombé à son chagrin quelques jours seulement avant la découverte du corps de son fils.

Le 20 mars 1884, cinq longs mois après la catastrophe d’Arès, les nombreux amis de Ferdinand et de sa famille se pressent dans l’église paroissiale de Saint-Gildas d’Auray pour rendre au vaillant jeune homme les derniers devoirs. Tous recueillis, le cœur plein de regrets, suivent à sa dernière demeure la noble victime de la charité. Ils sont tous là, amis du défunt, supérieurs, camarades, subalternes, compatriotes, pleurant celui qui n’est plus, livrés à une douleur profonde, des larmes dans le regard.

Le premier pasteur du diocèse, monte à la tribune sacrée, et là, d’une voix vibrante d’émotion, simplement, comme un père qui constate l’héroïsme de son enfant, il rend à ce fils de l’Église un suprême témoignage de paternelle sympathie.

Il commente éloquemment ce texte des livres sacrés : Ne pleurez pas sur moi, mais plutôt sur vous et sur vos enfants.

Il n’y a pas lieu, dit Monseigneur Bécel, de pleurer sur ce jeune homme mort au champ d’honneur, et qui, assurément, a rejoint au ciel la mère dont sa perte avait brisé le cœur.

Après l’absoute, le convoi se dirige vers le cimetière. Près de sa tombe, M. Poucin, Conservateur des forêts à Alençon, qui l’avait spécialement aimé et qui s’était fait le guide et l’ami de Ferdinand, adresse à l’assistance les paroles suivantes qui portèrent au comble l’émotion de tous. « […] Ferdinand-Marie-Victor-Louis Guyot de Salins, au sortir de l’École forestière de Nancy, est arrivé dans mon inspection de Bordeaux au mois d’octobre 1881, à l’âge de vingt-deux ans, en qualité de garde général. Je l’ai reçu pour ainsi dire des mains de son oncle, ancien forestier lui-même, mon chef autrefois et mon ami toujours. M. de Wavrechin est descendu dans la tombe peu de temps après avoir appris la noble fin de son jeune parent ; laissez-moi les associer tous deux dans mes meilleurs souvenirs et dans mes plus vifs regrets. Cette recommandation intime vous explique avec quelle sollicitude j’ai guidé les premiers pas de mon nouveau garde général dans la carrière administrative ; la nature d’élite de mon jeune camarade vous fait comprendre l’affection que je lui ai gardée.

 Dès son arrivée dans la Gironde, je l’ai installé au cantonnement d’Arès, qu’il n’a pas quitté depuis. Ses dispositions naturelles, l’élévation de ses sentiments, la droiture de son caractère, sa docilité aux conseils de ses chefs, son amour de la forêt lui assuraient une brillante carrière. Si elle n’a pas été longue, il faut s’en prendre aux qualités éminentes de son cœur dont il a été l’infortunée victime. Sa générosité, son dévouement ne connaissaient point de bornes, vous en avez la preuve dans sa fin héroïque.

 Le 15 octobre 1883, il rentrait de tournée en barque à travers le bassin d’Arcachon ; une violente tempête s’élève, la baleinière sur laquelle il se trouvait avec ses gardes chavire. Tous se tiennent d’abord à la quille renversée ; mais bientôt le brigadier, dont les forces sont épuisées par les fièvres, lâche prise ; et son jeune chef, attentif au salut de ses hommes, voyant que celui-ci va périr, sans hésiter se jette à la nage, et s’élance intrépidement vers lui en criant : « Tenez-vous bien à moi, brigadier, je vous sauverai ». Retenons ces mots, Messieurs ; ce sont les derniers qui soient sortis de sa poitrine. Il y a cinq mois qu’ils ont été prononcés, ils retentissent encore sur le bassin d’Arcachon. Vous savez le reste : une lame énorme surgit, et elle engloutit le malheureux brigadier et son héroïque sauveteur.

Ses camarades sont là aussi, représentés par un des leurs, M. de Lajaumont, qui vient jeter en leur nom ce touchant adieu à celui dont ils se rappelleront l’amitié durant toute leur existence.

Je viens aussi au bord de cette tombe offrir un dernier hommage à mon cher défunt, et je viens exprimer ici les regrets de tous ses camarades de l’École forestière et particulièrement de ses camarades de la 55e promotion. Tous l’ont trop connu pour ne pas l’aimer et je sais qu’il avait l’estime et l’affection de tous. Personnellement j’ai vécu pendant deux ans plus près de lui que tout autre, et ce que l’on devait peut-être admirer le plus en lui, c’était sa conduite exemplaire, c’était sa bonté de cœur, c’était aussi son dévouement sans bornes dont le dernier acte de sa vie est la preuve éclatante. Entré à l’École forestière avec le numéro 1, sa carrière s’ouvrait brillante devant lui. Mais Dieu n’a pas voulu lui faire attendre plus longtemps sa récompense et il l’a appelé à lui. Je ne doute pas que cette pensée ne soit une consolation pour son malheureux père et qu’il ne trouve dans le chagrin de ses nombreux amis un adoucissement à sa douleur.

Ses camarades de l’École Forestière et ses amis ouvrent une souscription pour élever un monument à sa  mémoire. La  souscription est étendue aux  forestiers qui « voudraient participer à une œuvre destinée à honorer la mémoire d’un agent forestier mort pour avoir voulu sauver la vie d’un de ses subordonnés ». Un monument s’élève à la pointe Ferret, près de la baie d’Arcachon.

En forme de pyramide, il est construit en pierres de Sireuil, reposant sur un socle prismatique et entouré de quatre bornes reliées par des chaînes en fer forgé. Sur une plaque de marbre, on lit cette simple inscription :

A LA MÉMOIRE

DE FERDINAND GUYOT DE SALINS,

INSPECTEUR-ADJOINT DES FORÊTS A ARES

MORT EN VUE DE CETTE PLAGE,

LE 16 OCTOBRE 1883

LA BALEINIÈRE DE L’ADMINISTRATION AYANT

CHAVIRÉ, IL SE JETA COURAGEUSEMENT AU

SECOURS DU BRIGADIER POPIS QUE LA

VAGUE EMPORTAIT, ET DISPARUT

AVEC LUI DANS LES FLOTS

TOUS DEUX PÉRIRENT, L’UN VICTIME DE SON

DÉVOUEMENT, L’AUTRE DE SON DEVOIR

LES CAMARADES ET LES AMIS DE FERDINAND

DE SALINS LUI ONT ÉRIGÉ CE MONUMENT

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Ferdinand-Marie-Victor-Louis Guyot de Salins, inspecteur adjoint des forêts, lieutenant aux chasseurs forestiers, René de Belleval (1837-1900), 1891.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6580316h/f39.item.r=cap-ferret

Lumière sur… le monument Guyot de Salins,

http://www.ville-lege-capferret.fr/wp-content/uploads/2019/07/LCF-Larchive-du-mois-de-mars-2018-Le-Monument-Guyot-de-Salins.pdf

[1] – A l’origine, « La Forestière » est une des cinq maisons forestières construites sur la presqu’île de Lège Cap-Ferret à partir de 1842 (règne de Louis-Philippe) pour loger les gardes et ouvriers forestiers qui ont pour tâche d’ensemencer les dunes contre l’envahissement des sables. La maison forestière du Cap Ferret sera occupée par le gardien Jean Bousquet. Lorsque l’État aliène le centre du Cap-Ferret (l’échange Labro de 1919), la maison et son terrain d’un hectare font partie de la cession et sont transformés en hôtel par le lotisseur (la Compagnie d’Entreprises Industrielle). La maison forestière est réaménagée en auberge à partir de 1927 : on rajoute deux bâtisses de chaque côté de la maison forestière d’origine qui est conservée au centre de l’établissement.

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Raphaël

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