Chronique n° 134 – L’eau bout dans la cafetière

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Enfin, les occupants vont partir ! Le 9 août 1944, ils commencent leur méthodique plan de repli, soigneusement prévu par leur état-major. Il se traduit ici, à partir du 15 août, par une évacuation ordonnée et par une destruction systématique de tout le matériel qui ne peut être emporté. Le 16 août, les ouvriers français de l’organisation Todt, celle qui construit le Mur de l’Atlantique, sont débauchés. Au bout de la jetée Thiers, les Allemands brisent des armes et les jettent dans le Bassin, ainsi que le contenu de caisses. Le 20, à “La Matelle”, ils sabordent le yacht de Rommel, devenu navire de guerre. Ensuite, ils encastrent une vedette sous une des arches de la jetée Thiers. Un gros dépôt de munitions saute, près de l’ancien hôpital Jean-Hameau.

Depuis le 19 août, dans la direction de Cazaux, de grandes lueurs rouges illuminent la nuit et de très fortes explosions en parviennent régulièrement. Ce qui reste de la base aérienne, déjà très affectée par trois bombardements alliés entre le 27 mars et le 19 juin 1944, est détruit à l’explosif. Dans Arcachon, les Allemands se regroupent et partent en ordre dans des véhicules hétéroclites, après avoir pillé de nombreuses villas. Ils ont aussi parcouru les rues du centre, raflant des bicyclettes qui leur permettent de rejoindre au plus vite le gros de la troupe. Le 21 août au soir, un message brouillé de la BBC annonce: « L’eau bout dans la cafetière ! ». C’est l’ordre pour la Résistance locale d’entrer en action.

Le rassemblement est prévu à 14 heures, près de la cache d’armes des Abatilles autour de laquelle les hommes, munis de ravitaillement personnel, fébriles et très émus, selon les témoins, s’équipent du mieux qu’ils le peuvent de manière très variée mais assez efficace et ils portent un brassard tricolore marqué de la Croix de Lorraine. Mais voilà qu’au début de l’après-midi, une cinquantaine de soldats allemands arrive par camions, alors qu’on les croyait enfuis. Ils postent un canon sur le terre-plein du casino de la Plage, de façon à couvrir les rues principales et ils font sauter une travée de chacune de deux des jetées.

Lorsqu’ils sont repartis, la foule accourt dans les rues proches de la mairie. Des drapeaux tricolores sortent de sous les piles de draps dans les armoires et montent aux balcons et aux fenêtres. Déjà, on crie des insultes devant les demeures des “Collabos” ou réputés comme tels. Les pancartes noires et blanches portant des inscriptions allemandes s’affalent dans un grand fracas poussiéreux et les drapeaux nazis sont brûlés devant des groupes qui applaudissent. Pendant ce temps, des agents de reconnaissance inspectent les environs pour repérer la présence des derniers groupes allemands qui protègent leurs arrières. Tout à coup, ils annoncent un nouveau retour des Allemands ! Aussitôt, les drapeaux repartent sous les draps et les habitants courent pour se cacher chez eux. Effectivement, sur l’avenue Gambetta, passe un petit peloton d’Allemands à bicyclette. Ils gagnent le rivage, y font sauter quelque chose et repartent au plus vite, sans être inquiétés. Ce qui prouve que l’organisation de la Résistance est disciplinée et que la libération d’Arcachon si elle est, ni héroïque, ni téméraire, est intelligemment menée.

On attendait aux Abatilles, deux cent cinquante “FFI” (Forces françaises de l’Intérieur), il en vient cinq cents. Sous les commandements  de Luze, de Duchez, d’Escarpit et de quelques autres officiers de réserve, ils gagnent La Teste, déployés en tirailleurs. Ils s’assurent que le lieu est libéré, aident un groupe de FFI locaux à contrôler la ville, à s’installer aux points névralgiques et regagnent Arcachon par la “Règue Verte”. Elle devient ainsi “L’Avenue de la Libération”. On les acclame, ceux que l’on surnomme les “FIFI”. Lucien de Gracia, délégué politique du groupe Luze-Duchez, monte dans le bureau du maire, y trouve l’abbé Martin, nommé par Vichy et lui déclare, foi de témoins : « Vous ne devez qu’à votre soutane que je ne vous chasse pas, manu militari ! ». Un langage vif que comprend ce fin lettré qui s’en va par une porte arrière. Édouard de Luze, délégué de la Résistance, le remplace.

Déjà, les premiers prisonniers civils, accusés de collaboration, arrivent à la mairie. On les y interroge. Pour gagner le camp de baraques où on les enferme, près du cimetière, eux, ils sortent de l’hôtel de ville, par la porte de devant, sous les vociférations, les insultes, les coups et les tirages de cheveux jaillis de la foule qui n’ouvre qu’un étroit passage, malgré la protection armée qui s’active. Des années de faim, d’angoisse, d’humiliations, de vexations, trouvent là un exutoire, facile certes, pas très courageux non plus, mais fort compréhensible. De Luze lance alors un appel au calme : « Il ne nous appartient pas d’exercer des représailles qui ne pourraient que créer des troubles ». Car le maintien de l’ordre reste une des premières préoccupations, sinon une hantise, des nouvelles autorités, d’autant plus que l’on apprend, le soir même du 22, l’assassinat par les nazis, à Cazaux, de trois policiers locaux. Ce qui ne peut qu’exacerber la colère populaire. Deuxième préoccupation : contrôler militairement toute la zone autour d’Arcachon de façon à mettre la ville en sécurité. Car les occupants, dont les détachements protègent de grands axes routiers, sont encore postés au Teich et à Lamothe. D’ailleurs, Bordeaux ne sera libéré que six jours après, le 28 août au matin. C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

 

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