La Seconde Guerre mondiale constitue pour les pêcheurs arcachonnais une rude période. Non pas sur le plan économique car les affaires marchent très bien pour les Pêcheries de l’Océan, la Société de Gérance maritime ou Cameleyre-Frères, comme le raconte Michel Boyé. Elles font enregistrer onze unités nouvelles entre 1940 et 1942. Une autre pêcherie, de création plus récente, l’APMA, acquiert en 1942, quatre chalutiers. Enfin, de petites sociétés d’armement ou des armateurs particuliers achètent ou font construire dix-neuf chalutiers, dundees ou sardiniers, entre 1941 et 1943. Par contre, avec les dangers de la guerre, les pêcheurs embarqués sur les chalutiers arcachonnais payent un lourd tribut à la guerre.
Jean-Philippe Dubourg, président d’honneur du Comité local des Pêches, écrit à ce sujet : « La plus grande partie des chalutiers des trois Sociétés est réquisitionnée. Quelques unités seulement restent en exploitation pour le ravitaillement de la population. Il convient de rappeler le courage avec lequel les marins arcachonnais ont accompli leur mission journalière, au milieu des mines qui, draguées par le chalut, éclatent souvent pendant le remorquage de l’engin de pêche. Parfois même, ces mines sont rapportées dans la poche du filet, masquées par le poisson et vidées avec lui sur le pont ». C’est ainsi que près de cent cinquante hommes d’équipage, embarqués sur treize bateaux, disparaissent dans le golfe de Gascogne, entre 1942 et 1944. La Société Cameleyre perd corps et biens, le “Vincent Cameleyre”, le “René Cameleyre”, le « Jules-Pierre” et la “Princesse Marie-José”. Ces deux derniers, bombardés par la RAF ainsi que le bateau de pêche italien “Le Baleina”, allié aux Allemands, qui les accompagne, le 16 janvier 1942. Les vingt-six marins arcachonnais disparaissent, le mousse Pierre Stéphan, a quinze ans.
Ce bombardement déchaîne la colère de l’abbé de Lanauze, curé de Saint-Ferdinand qui, lors de la cérémonie religieuse, devant de nombreuses personnalités locales et départementales, s’écrie : « Cette odieuse agression des aviateurs de la Royal Air Force, commise en dépit des lois élémentaires d’humanité, plonge aujourd’hui tout un quartier dans l’affliction et laisse trente-quatre orphelins ». Le gouvernement s’empresse d’envoyer une aide financière, tout en fustigeant ce « crime anglo-saxon ». Il s’agit, en fait, de l’exploitation politique d’un tragique événement. Michel Boyé a découvert des documents qui donnent la véritable cause de ce drame. Effectivement, des renseignements de la Résistance locale, parvenus à Londres, indiquent une certaine collusion entre des chalutiers réquisitionnés et la marine allemande. Par exemple, le 21 septembre 1940, une lettre de la Société Cameleyre reconnaît que son chalutier le “Vincent-Cameleyre” a prêté son concours au transport d’une partie de l’équipage d’un navire de guerre allemand de la haute mer vers Arcachon. Nouvelle lettre du 25 août 1942, des mêmes, au commandant des troupes d’occupation en France. Ils « demandent une faveur, eu égard à notre action vis à vis des autorités occupantes depuis le début de leur séjour (!) en France, puisque nous collaborons en leur fournissant des conserves de poissons ou de sardines, du poisson frais ou fumé, destinés à la marine, (…) en réparant les navires de guerre allemands ».
S’il avait connu la vérité, le curé de Saint-Ferdinand aurait peut-être alors, plutôt qu’un seul des belligérants, condamné la guerre. Car, à cause d’elle, les Pêcheries de l’Océan perdent quatre gros chalutiers, la “Nouvelle” en perd aussi quatre, dont “La Roche-Grise”, disparue la même semaine que le “Vincent-Cameleyre” et leurs vingt-six marins. Toujours dans l’armement de la Société Nouvelle, “L’Emile-Marie” et ses dix équipiers sautent sur une mine, en plein jour, devant Hourtin. On ne retrouve que le chien du bord ! Mais, paradoxe de la guerre : des marins arcachonnais sauvent la vie, en diverses circonstances, de quatre-vingt-deux soldats allemands. Le 14 août 1944, deux avions des Alliés coulent un autre chalutier devant Arcachon ainsi que le dock flottant dont l’énorme épave trouée restera longtemps devant Eyrac. La ville est en émoi mais il n’y a aucune perte humaine.
Ainsi, le souvenir des marins arcachonnais disparus pendant la guerre, rejoint-il celui des soixante-dix-sept pêcheurs du “Grand Malheur” de 1836, de ceux noyés par la tornade du 20 août 1877, des onze victimes du naufrage de “L’Albatros”, du 28 décembre 1891, des onze autres du “Héron”, coulé le 25 janvier 1902 et de tous ceux qui ont péri durant la guerre 1914/1918. Tous ceux, enfin, auxquels rend hommage, l’imposant Monument des Péris en mer, élevé le 21 juillet 1968, après beaucoup de difficultés financières et techniques, sur le môle du port, par la municipalité de Lucien de Gracia et grâce au talent du sculpteur Claude Bouscau. Deux ans après, en 1970, la dernière grande Compagnie de pêche quitte Arcachon. C’est une autre histoire.
Jean Dubroca