Chronique n° 128 – Images de l’Occupation

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Pendant cinquante mois terribles, à partir du 26 juin 1940, Arcachon vit sous la botte nazie. Située, comme toute la côte ouest de la France, en zone interdite, sur une largeur de douze kilomètres dont l’accès est particulièrement contrôlé, la cité, écrit Jacques Ragot, « À pris, dans ce mois d’août 1940, avec ses rares baigneurs, un visage où se dessine une profonde mélancolie ». Par contre, les occupants se rendent au bain en chantant et en sections organisées. Ils occupent tous les hôtels ou des villas réquisitionnés et des baraquements dans les Abatilles. Mais alors que la ville doit être obscurcie toute la nuit, ces lieux restent illuminés. On n’y craint pas grand-chose, pour le moment et les Allemands s’entraînent même pour s’emparer de Gibraltar ou pour débarquer en Grande-Bretagne. Marie Bartette raconte : “Ils arrivent en canot sur le bord des plages, sautent dans l’eau et se précipitent à l’assaut des parapets. On les regarde avec amusement et scepticisme”. Jacques Ragot précise cependant : “Ces exercices ne sont pas sans péril”. Se basant sur divers témoignages, il raconte que deux embarcations chargées de soldats en armes ont coulé dans les passes et que plusieurs d’entre eux ont aussi péri dans “Les Hosses”, trompés par la profondeur du chenal.

Des sections défilent souvent dans les rues en chantant et les pas lourds des patrouilles brisent l’angoissant silence des nuits. Le casino de la Plage devient la “Maison du Soldat”, annoncée sur sa façade par une énorme pancarte. Le ravitaillement devient rare ; le marché noir s’amplifie et la survie des plus modestes n’est assurée que par la débrouillardise. Le dimanche soir, “le train des haricots” rapporte des marchandises venues du fin fond des Landes, où il a fallu courir les dénicher au prix fort et après force équipées cyclistes. Le troc devient courant. On mange du “pâté de sardines”, du “bolsang”, une sorte de boudin infect. Parce que les Allemands s’en méfient et donc restées en vente libre, on se jette aussi sur les huîtres que les parqueurs rapportent grâce à leurs pinasses munies de voiles rapiécées.

Chaque bout de terrain, y compris ceux des espaces verts publics, est cultivé. Chaque courette devient un poulailler et le Secours national offre des graines de topinambours. On mange encore les poissons que les occupants délaissent et, dans les écoles, les enseignants distribuent des biscuits et des pastilles vitaminées. Certains font chanter en chœur “Maréchal, nous voilà !” et des séances de “plein air” sont consacrés au ramassage des glands pour fabriquer du “Café national”. Quant à beaucoup de commerçants, ils pèsent, en les mesurant au gramme près et parfois avec morgue et condescendance, le pain, le beurre ou la viande, en contrepartie de tickets verdâtres, devenus aussi importants que des billets de banque.

En 1942, on ne distribue qu’une soixantaine de paires de chaussures neuves pour 13 000 habitants. Les dames marchent donc avec des souliers à semelle de bois articulées et les enfants avec des “sabots souliers”, renforcés de bandes de caoutchouc découpés dans des pneus usés jusqu’à la corde. Même si, durant l’été, des lignes de tentes fleurissent sur la plage centrale, les rues de la ville venant du front de mer sont barrées d’obstacles divers, chicanes en fil de fer barbelés, portes antichars ou épaisses murailles percés de meurtrières et des blockhaus ou des nids de mitrailleuses, bordent la plage. Mais, mystère de la stratégie allemande, les parcs des villas longeant le Bassin restent largement ouverts ! On creuse quatre longues tranchées- abris, en centre-ville. À chacune des alertes, qui se multiplient au fil des années, les écoliers, munis d’une lampe à pétrole par classe, doivent se précipiter dans ces boyaux puants. En cours de route, ils surveillent avec autant de craintes que d’espoir, de petites étoiles métalliques : les gros avions des Alliés au lourd ronflement. Ils volent très haut, enrubannés de bandes de papier métallisé pour leurrer les radars et qui constituent de précieux trophées de guerre pour celui qui en ramasse. Mais on n’a pas encore vécu le pire. C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

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