Chronique n° 129 – La guerre aux deux visages

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Les mesures coercitives s’accumulent dès les premiers jours de l’Occupation Les appareils à polycopier sont recensés et les fusils de chasse confisqués. Un avis de la mairie d’avril 1941 réitère l’ordre “D’éviter les manifestations déplacées, vis à vis des membres de l’armée d’occupation” et rappelle “Que tout auteur de menées hostiles sera impitoyablement déféré devant les tribunaux compétents pour atteinte à la sûreté de l’État”. Rien de moins ! À la suite des attentats de Bordeaux contre un officier allemand, “L’Avenir d’Arcachon”, flagorne : “Ceux qui commettent de tels crimes sont des inconscients ou des lâches et risquent de faire fusiller des innocents. Nous avons confiance dans le bon sens des Arcachonnais et nous sommes certains qu’ils ne se livreront à aucun acte répréhensible”.

Il est vrai que quarante-neuf hommes, arrêtés le plus souvent pour délits d’opinion, ont été fusillés par représailles, au camp de Souge. Au 40 du cours Lamarque, une boutique diffuse, gratis et largement, des brochures de propagande françaises et allemandes. Boulevard de la Plage, à partir de 1942, la Légion des volontaires français, destinée à lutter contre le Bolchévisme, inaugure sa permanence. Depuis décembre 1941, des civils “requis”, dont le nombre grandit sans cesse, doivent garder, jour et nuit, lignes téléphoniques ou voies ferrées et assurer le fonctionnement des motopompes de la défense passive, ce qu’ils font en rechignant beaucoup. Des causeries, appuyées par les autorités françaises et invitant à aller travailler en Allemagne, sont organisées chaque mercredi à la mairie et les nombreux Arcachonnais, favorables à la politique du maréchal Pétain sont particulièrement actifs dans la ville, sous la bannière de l’association “Les Amis du Maréchal”, pour défendre “La collaboration”.

La méfiance règne partout et la BBC, la radio de Londres, s’écoute en cachette, malgré le lancinant brouillage de crécelle. A ces pressions morales, s’ajoute l’angoisse des familles des pêcheurs quotidiennement exposés aux dangers de la guerre en mer, celle des familles des prisonniers de guerre, l’angoisse des familles de ceux qui ont gagné les Forces françaises libres et les maquis ou qui ont été déportés en Allemagne ou envoyés là-bas par le Service du travail obligatoire. De plus, des bruits alarmants courent régulièrement sur l’évacuation de la ville par sa population civile. Enfin, le développement du conflit, défavorable aux occupants, les rend, ainsi que leur police et ses alliés français, de plus en plus nerveux.

Cependant, la vie continue et prend parfois une tournure inattendue. Par exemple, Jean-Pierre Ardoin Saint Amand raconte : “Une association, celle des propriétaires des Pacific d’Arcachon, naît en 1942″. Les Pacific, ce sont de jolis voiliers monotypes, créés en 1941 dans les chantiers Bonnin Frères. Cette association obtient, par la prébende, l’autorisation de faire régater sur le Bassin sa cinquantaine de bateaux. D’après Jean-Pierre  Ardoin Saint Amand : “Le chef de la kommandantur maritime n’est pas insensible aux bouteilles de bordeaux ou de cognac qu’il doit à de distingués yachtmen refusant de se voir privés de leur passe-temps favori”. Et Jean-Pierre Ardoin Saint Amand de conclure, amèrement : “Qu’importent les hostilités, pourvu que la saison soit brillante !”.

Dans un autre domaine, on est loin de la guerre et de l’Occupation lorsque, ainsi que le raconte Michel Boyé, le 8 août 1942, puis le 18 octobre, le “Hot club bordelais” organise à Arcachon deux festivals de jazz, et du meilleur, puisqu’on y retrouve par exemple Eddy Barclay et Pierre Cazenave. L’un, a lieu au casino de la Plage, l’autre, à l’hôtel Regina, tous deux occupés par les Allemands. Ils constituent la moitié d’un public, ravi d’écouter “cette musique de dégénérés”, comme le déclarent Vichy et Goebbels, même s’ils la tolèrent. Dans l’autre moitié du public, se trouvent des membres du Parti Populaire Français, le parti de Doriot, qui obligent l’orchestre à jouer “Maréchal nous voilà !”. Comme rythme swing, on fait mieux ! Le voilà donc, ce double visage de la guerre qui la rend encore plus hideuse. D’autant plus que certaines affaires marchent fort bien. C’est une autre histoire.

À suivre…

Jean Dubroca

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